Fiscalité

Il ne faut pas succomber au réflexe traditionnel d'alourdir les prélèvements. Compte tenu du niveau record de la France en matière de prélèvements obligatoires, le remède serait en effet pire que le mal .

Le Figaro - 18 avril 2024 - Par Jean-Pierre Robin

Le président de la République a décidément le don de rassembler ses opposants de droite et de gauche par des déclarations abruptes. « Nous n'avons pas un problème de dépenses excessives mais un problème de moindres recettes. » Ce commentaire de l'Élysée pour expliquer le dérapage budgétaire de l'année 2023 où le déficit public a atteint 5,5 % du PIB en a fait bondir plus d'un. À droite, Éric Ciotti, le chef de file de LR, y a vu « un plan caché » pour relever les impôts. Et à gauche, la Nupes, pour une fois d'accord en son sein, a trouvé parfaitement contradictoire la démarche de l'exécutif proposant de réduire de 10 milliards d'euros les crédits budgétaires cette année, voire plus, alors que les dépenses ne seraient pas à l'origine de la dérive des comptes.

La lecture que donne Emmanuel Macron de la situation est quasi irréfutable sur le plan comptable. Si le déficit a atteint 154 milliards d'euros en 2023 l'an dernier (5,5 % du PIB), au lieu des 137,2 milliards d'euros prévus à la fin de l'an dernier, la différence de près de 17 milliards ne tient que pour une faible part, environ 4 milliards, à un excès de dépenses par rapport à la trajectoire envisagée. L'essentiel provient en effet des recettes, de l'ordre de 13 milliards d'euros, qui ont fait défaut. C'est considérable.

Les conclusions qu'il en tire peuvent paraître à première vue paradoxales. Il est donc légitime que le chef de l'État suscite les soupçons de LR subodorant des augmentations d'impôts que souhaitent de leur côté LFI, le PC et le PS, en allant chercher « l'argent où il se trouve », chez les riches, entreprises ou particuliers… De même la gauche s'indigne à bon compte qu'on veuille s'en prendre aux dépenses publiques dont le dérapage ne serait pas en cause, selon l'aveu même de l'exécutif.

Emmanuel Macron se range à l'adage « trop d'impôt tue l'impôt » selon lequel les recettes fiscales d'un pays s'autodétruisent à partir d'un seuil d'imposition dissuasif pour l'activité économique

L'Élysée balaie d'un revers de main ces objections et entend « maintenir le cap », refuser d'augmenter les impôts et leurs barèmes. Il ne faut pas succomber au réflexe traditionnel d'alourdir les prélèvements comme l'avaient fait Nicolas Sarkozy en 2010 et François Hollande en 2012. Compte tenu du niveau record de la France en matière de prélèvements obligatoires, le remède serait en effet pire que le mal.

Ce faisant, Emmanuel Macron se range à l'adage « trop d'impôt tue l'impôt » selon lequel les recettes fiscales d'un pays s'autodétruisent à partir d'un seuil d'imposition dissuasif pour l'activité économique : la production et la consommation se rétractent alors, et avec elles les assiettes fiscales. C'est la fameuse courbe de Laffer, du nom de l'économiste américain Arthur Laffer, inspirateur de la révolution fiscale de Ronald Reagan en 1980. Cette courbe en cloche, avec en abscisse le taux d'imposition et en ordonnée les rentrées d'impôt (qui montent puis s'épuisent), n'a sans doute pas une bonne réputation chez nous : elle est connotée à l'idéologie ultralibérale et scientifiquement il est difficile de démontrer précisément quel est le niveau exact du basculement, ce qui n'a d'ailleurs de sens que pour les différentes taxations prises une à une.

Malgré tout, c'est bien un phénomène de cette nature qui s'est produit en France l'an passé où le reflux des recettes fiscales et sociales a été anormalement élevé comparé au ralentissement de l'activité économique. Cette dernière, mesurée par le produit intérieur brut (PIB) n'a certes progressé que de 0,9 % en 2023 au lieu de 2,5 % l'année précédente, et, phénomène aggravant, le reflux de l'inflation a contribué à assécher les bases fiscales et sociales. Mais le coup de frein sur les prélèvements obligatoires (PO), impôts et cotisations, a été bien plus brutal.

En longue période, les PO et le PIB évoluent de façon similaire, leur « élasticité », comme disent les économistes, est voisine de 1 : quand le PIB progresse de 1 % les PO augmentent mécaniquement de 1 % aussi. Plus précisément l'élasticité a été de 1,06 en moyenne de 1990 à 2023, selon les calculs de François Ecalle du site Fipeco. Or cette élasticité avait atteint 1,5 en 2022 et elle est tombée à 0,4 en 2023 selon cet expert.

On comprend que le chef de l'État redoute le « trop d'impôt tue l'impôt ». Son seul problème est d'en convaincre les Français dans leur ensemble et pas seulement individuellement. Car chacun est bien sûr demandeur de baisse d'impôts pour lui-même tout en acceptant des hausses pour autrui !

Une telle contraction d'une année sur l'autre est sans précédent. Elle a affecté essentiellement les impôts et assez peu les cotisations sociales. Les baisses de recettes fiscales concernent tout particulièrement l'impôt sur les sociétés des entreprises (IS), traditionnellement volatile, mais également la TVA, et de façon très massive les DMTO (droits de mutation à titre onéreux), appelés communément « frais de notaire » sur les transactions immobilières, dont les recettes fiscales ont chuté de 22 % (5 milliards d'euros en moins).

S'agissant de la TVA, faut-il incriminer les difficultés de pouvoir d'achat des ménages qui auraient privilégié les produits de consommation courante dont le taux de TVA est réduit (5,5 % au lieu de 20 %) ? Dans un tout autre registre, les rentrées de l'impôt sur les sociétés se sont repliées de 12 % en 2023, après une année 2022 exceptionnelle où l'IS avait bondi de 2 %. C'était le temps où Bruno Le Maire invoquait la courbe de Laffer, se glorifiant des bonnes recettes de l'IS, après que le gouvernement eut ramené progressivement le taux d'imposition des bénéfices de 33 % en 2017 à un taux de 25 % en 2022, revenant ainsi dans la norme européenne.

Alors que l'IS est l'objet d'une concurrence fiscale intense entre les États, que les entreprises y sont très vigilantes dans leurs stratégies d'implantations internationales, et qu'Emmanuel Macron a fait de l'attractivité de l'Hexagone le vecteur de la réindustrialisation, on comprend que le chef de l'État redoute le « trop d'impôt tue l'impôt ». Son seul problème est d'en convaincre les Français dans leur ensemble et pas seulement individuellement. Car chacun est bien sûr demandeur de baisse d'impôts pour lui-même tout en acceptant des hausses pour autrui !