Dungeness, Kent, Royaume-Uni, le 29 août 2022. Des migrants arrivent sur la plage de Dungeness après avoir été secourus en mer par un bateau de sauvetage. Ils pourraient désormais en théorie être envoyés au Rwanda. Sean Aidan Calderbank/Shutterstock

Immigration

Annoncée il y a deux ans par le gouvernement conservateur de Rishi Sunak, cette loi hautement controversée est présentée comme une mesure phare de sa politique de lutte contre l'immigration clandestine.

Le Figaro - 23 avril 2024 - Par Arnaud De La Grange

Correspondant à Londres

Après deux ans de guérilla politique et judiciaire et des semaines de ping-pong entre les deux assemblées, la «loi Rwanda» a finalement été votée dans la nuit de lundi à mardi aux Communes. Ce texte doit permettre l'expulsion vers ce pays d'Afrique centrale des demandeurs d'asile entrés illégalement au Royaume-Uni. Il s'agit de la mesure phare du gouvernement dans sa lutte contre l'immigration clandestine. Et d'un fort enjeu électoral à l'heure où le premier ministre britannique a besoin de redorer son blason avant un scrutin général qui s'annonce mal pour lui.

Ces dernières semaines, le projet de loi avait fait la navette entre la Chambre haute et celle des Communes. Les membres de la Chambre des Lords, où les conservateurs n'ont pas la majorité, essayaient d'adoucir la loi avec une série d'amendements. Ils demandaient notamment que les Afghans ayant travaillé pour les troupes britanniques ne puissent être ainsi expulsés et qu'un organisme indépendant détermine si le Rwanda est un pays sûr ou non. Ils ont finalement accepté de ne plus modifier le texte. «L'adoption de cette législation historique n'est pas seulement un pas en avant mais un changement fondamental dans l'équation mondiale de la migration, a déclaré Rishi Sunak Ce plan doit dissuader les migrants vulnérables d'entreprendre des traversées périlleuses et briser le modèle commercial des bandes criminelles qui les exploitent.»

Rishi Sunak a déploré que la loi ait encore pris du retard en raison de cette opposition des Lords. Un peu plus tôt dans la journée, le premier ministre avait reconnu que la promesse de faire débuter ce plan au printemps ne serait pas tenue et que ce serait pour juillet. Les premiers demandeurs d'asile expulsés du royaume décolleront vers le Rwanda «d'ici dix à douze semaines» a-t-il assuré. «Nous sommes prêts, ces vols décolleront, quoi qu'il arrive» a-t-il martelé. Le premier ministre a précisé que des avions charter commerciaux et des centaines de personnes qualifiées étaient prêts à transporter les demandeurs d'asile – pour lesquels 2200 places de rétention sont prévues - vers l'Afrique et qu'un terrain d'aviation avait été réservé à cet effet. Récemment, la possibilité de faire appel à des appareils utilisés contractuellement par le ministère de la Défense a été évoquée, alors que les compagnies aériennes ne semblaient guère séduites par de tels vols.

«Stop the boat»

En expulsant les migrants arrivés clandestinement dans le pays vers l'Afrique centrale, Le gouvernement conservateur entend les dissuader de tenter l'aventure anglaise. «Le succès de cette dissuasion ne peut reposer sur un seul vol, a expliqué Rishi Sunak, qui a assuré que le rythme de multiples vols chaque mois serait tenu jusqu'à ce que les bateaux soient stoppés». «Stop the boat» est le grand slogan du gouvernement en matière d'immigration. Selon les derniers chiffres du Home Office, depuis janvier 6265 personnes sont arrivées illégalement dans le pays en traversant la Manche sur de petites embarcations, soit une augmentation de 25% par rapport à la même période l'année dernière.

Le plan Rwanda a déjà fait plusieurs faux départs. Il avait été lancé avec fracas en avril 2022 par Boris Johnson. L'idée était d'envoyer les migrants arrivés illégalement - quelle que soit leur origine - à 6000 kilomètres du royaume et qu'ils fassent leur demande d'asile à Kigali. Dans le cadre de cet accord, courant sur cinq ans, un versement de 140 millions de livres par Londres au Rwanda était prévu, la somme devant être affectée à l'aide au développement et à la prise en charge des migrants expulsés. Ce montage avait immédiatement suscité une intense polémique, de nombreuses voix le jugeant à la fois impraticable et dispendieux. Cela n'a pas empêché Rishi Sunak de le reprendre à son compte à son arrivée au pouvoir.

Un enjeu politique majeur

Dès juin 2022, un premier vol devant emmener des migrants en Afrique centrale avait été annulé au dernier moment à la suite d’une décision de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). Au mois de décembre suivant, la Haute cour de Londres avait jugé le projet légal. Mais en juin 2023, la justice britannique avait donné un deuxième coup d'arrêt. Et en novembre dernier, la Cour d'appel a jugé le projet « illégal », estimant que les migrants étaient exposés à un risque d'expulsion depuis le Rwanda vers leur pays d'origine où ils risquent des persécutions. Le nouveau texte vise à répondre à ce dernier point, en définissant le Rwanda comme un pays tiers sûr.

S'il faut choisir entre la sécurité de nos frontières et l'appartenance à une juridiction étrangère, je donnerai bien sûr toujours la priorité à notre sécurité nationale.

Rishi Sunak

Les migrants ne pourront faire appel d'une expulsion que sur la base de «preuves irréfutables» qu'ils risquent de subir un préjudice grave au Rwanda, et non sur la base d'affirmations générales concernant la sécurité du pays. Le texte dispose aussi que le gouvernement pourra outrepasser une éventuelle injonction de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) à éviter les expulsions. «Aucune cour étrangère ne nous empêchera de faire décoller les avions» a assuré Rishi Sunak. Il a refusé d'exclure la possibilité de quitter la CEDH si besoin. «S'il faut choisir entre la sécurité de nos frontières et l'appartenance à une juridiction étrangère, je donnerai bien sûr toujours la priorité à notre sécurité nationale» a-t-il déclaré.

Pour les conservateurs de Rishi Sunak, l'enjeu politique est majeur. À la peine dans les sondages, ils ont besoin de résultats à afficher avant les élections générales prévues cet automne, pour lesquelles les travaillistes sont donnés vainqueurs. Alors que les Tories avaient fait de la reprise du contrôle des flux migratoires leur cheval de bataille, les chiffres traduisent pour l'heure un échec. Après avoir atteint un record en 2022, avec 45.000 traversées, puis baissé en 2023 avec quelque 30.000 arrivées, le nombre de personnes ayant traversé clandestinement la Manche est de nouveau en augmentation. La récente hausse serait essentiellement due à des migrants vietnamiens pris en mains par des gangs criminels.

Sur ce front migratoire, Rishi Sunak s'est trouvé attaqué sur sa droite comme sur sa gauche. L'aide droite des Tories trouvait le texte trop mou tandis que les centristes du parti et l'opposition le jugeaient trop radical et risquant de contrevenir aux engagements internationaux sur les droits de l'Homme. Le Labour a réitéré lundi son opposition au plan. La députée en charge de l'immigration au sein du parti d'opposition, Yvette Cooper, l'a encore jugé trop coûteux pour ne concerner «qu'1% des demandeurs d'asile» présents dans le pays. Soit plus d'un demi-milliard de livres pour envoyer seulement 300 personnes à Kigali.