Luc Ferry. Jean-Christophe MARMARA

Politique

On a le gouvernement à la fois le plus «débaucheur» de la Ve République, et «en même temps» le plus isolé politiquement, voire le plus détesté des partis.

FigaroVox - 17 janvier 2024 - Par Luc Ferry

Non, le débauchage n’est pas l’union nationale. C’est même très exactement l’inverse, comme en témoigne, à droite, la rapidité avec laquelle Rachida Dati a été exclue des LR aussitôt après sa nomination au ministère de la Culture. Même son de cloche au centre, la fureur de François Bayrou étant si peu contenue que le MoDem menace de faire liste à part aux européennes. Quant à la gauche écolo-social-démocrate, elle n’est pas plus satisfaite, Raphaël Glucksmann ayant annoncé qu’il ne laisserait pas le débat Attal-Bardella « kidnapper » les européennes.

En résumé, le « en même temps » se termine en « ni l’un ni l’autre », ni droite ni gauche, et à vrai dire pas même le centrisme historique ! On a le gouvernement à la fois le plus « débaucheur » de la Ve République, et « en même temps » le plus isolé politiquement, voire le plus détesté des partis au sein desquels il est allé puiser la participation de ceux que Rachida Dati appelait il y a peu encore des « traîtres » - un gouvernement qui penche certes à droite, mais sans contrat ni appui de la droite ! Beau résultat !

Macron n'a toujours pas compris qu'il avait perdu les législatives

Ce qui me sidère, ce sont les commentateurs qui, en soulignant, ce qui est exact, que sur quatorze ministres, huit venaient plus ou moins de chez Sarkozy, confondent débauchage individuel et union nationale. L’union nationale ne peut pas se faire sur des coups de com et des trahisons personnelles, seulement sur un programme négocié avec les oppositions comme le font les Allemands et comme Emmanuel Macron aurait pu et du le faire en profitant (si l’on peut dire) de son absence de majorité absolue à l’Assemblée. Malheureusement il n’a toujours pas compris qu’il avait perdu les législatives et qu’il était dès lors indispensable d’élargir sa majorité, non par un débauchage au final nuisible à l’union, mais en composant son gouvernement sur le mode d’une cohabitation volontaire.

Cette cohabitation est évidemment plus facile quand elle est négociée avec les chefs de partis, mais à défaut, le chef de l’État pouvait nommer à Matignon un opposant notoire, en l’occurrence un gaulliste, car c’est le poste de premier ministre qui seul compte dans l’optique d’une cohabitation, les ministères étant secondaires. Le nouveau locataire de Matignon aurait pu alors s’entourer d’une quinzaine de ministres LR associés à quelques personnalités de la gauche démocratique qui ont eu le courage de se révolter contre la reddition indigne du parti socialiste à Mélenchon.

Une macronie renfermée sur elle-même

Il est vrai que les dirigeants des LR ont refusé de participer à ce type de cohabitation. S’ils veulent à tout prix rester avec leurs 4,7 % de la dernière présidentielle, c’est leur droit, mais il fallait les contourner. Certains étaient prêts à y aller, je le sais, à condition toutefois d’élaborer un programme sérieux avec le président en l’obligeant à accepter des compromis. Si la nomination de Gabriel Attal à Matignon m’a réjoui pour lui sur un plan personnel, elle m’a consterné sur le plan politique. Réjoui parce qu’il m’inspire estime et sympathie. Emmanuel Macron est brillant et follement content de lui, lui est intelligent (ce qui est tout autre chose), mais simple et modeste, courtois même avec ses opposants. En outre, bien que venant du parti socialiste, il défend des idées de bon sens, souvent en phase avec celles de la droite républicaine.

Pour autant, et je reviens à l’essentiel, la droite ne lui fera pas de cadeau, la logique démocratique poussant inévitablement les oppositions… à s’opposer, ce qui du reste est bien normal. Voilà pourquoi la nomination de Gabriel Attal à Matignon, quel que soit son talent, loin de sortir la macronie de l’entre-soi, elle la referme sur elle. Elle n’élargit en rien l’assise électorale d’Emmanuel Macron ni au sein de l’Assemblée, où sa majorité restera tragiquement relative, ni même dans une opinion publique qui ne vote pas les lois et se fiche comme de l’an quarante de bruits de couloir qui n’amusent que les commentateurs.

Dans ces conditions, faute de pouvoir réformer le pays sur les sujets difficiles – la sécurité, l’immigration (où malgré la récente loi, tout reste à faire), l’inflation, la dette -, le gouvernement devra se contenter de sujets « sociétaux » consensuels (l’euthanasie, la légalisation de l’avortement dans la constitution, encore un coup de com qui ne sert rigoureusement à rien puisque de Mélenchon à Le Pen personne ne conteste la loi Veil !). Faute de réformes de structure, à commencer par celle des comptes publics dont tout dépend, la seule chose qui soit en marche aujourd’hui, les Français le sentent bien, c’est le déclin du pays.