Délinquance

Alors que la France est confrontée à une surpopulation carcérale problématique, les Pays-Bas ferment des prisons. La rapidité d'exécution et la certitude des peines expliquent en partie ce résultat.

Le Figaro - 1 décembre 2022 - Par Mayeul Aldebert

Prisons surpeuplées, procédure pénale trop lente, manque de moyens, archaïsme... La justice en France est malade. Et selon un récent sondage, près des trois quarts (73 %) des personnes interrogées estiment qu'elle fonctionne mal. Un «plan d'action» issu des conclusions des états généraux de la justice devait être dévoilé ce mercredi, mais le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a finalement décalé cette annonce au mois de janvier.

Pendant ce temps, aux Pays-Bas, les prisons se vident, et le gouvernement a fermé ces dernières années de nombreux établissements pénitentiaires. Le pays est passé d'environ 20.000 détenus en 2004 à 11.000 en 2020. Et surtout, dans ce pays fortement urbanisé, aux taux d'immigration et de pauvreté assez similaires à ceux de la France, les Pays-Bas comptent 54 prisonniers pour 100.000 habitants selon les statistiques pénales du Conseil de l'Europe en janvier 2021, soit près de deux fois moins que la France.

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Pourtant, et toujours selon les chiffres du Conseil de l'Europe, le pays enregistre bien plus d'entrées en prison (180 pour 100.000 habitants) que la France (117). Le flux de prisonniers est donc bien plus important qu'en France, contrairement au stock pour lequel la situation est inversée. Ce turn-over est rendu possible par des peines de prison plus courtes. Les détenus restent en moyenne 5,1 mois en prison aux Pays-Bas contre 11,1 mois dans les prisons françaises. «Et ce constat s'accompagne d'une baisse de la criminalité», vante Pierre-Marie Sève, directeur de l'Institut pour la Justice, think thank conservateur qui ne cesse depuis plusieurs années de louer le modèle néerlandais en matière de politique pénale.

Baisse de la petite et moyenne délinquance

Les Pays-Bas souffrent plus que jamais du crime organisé, encore solidement installé sur leur territoire. Le meurtre spectaculaire d'un avocat en pleine rue d'Amsterdam en 2019 ou celui d'un journaliste d'investigation en 2021 le rappelle encore. L'année dernière, les autorités ont même élevé le niveau de sécurité autour du premier ministre Mark Rutte craignant un enlèvement. En revanche, on observe bien une baisse indéniable de la petite et moyenne délinquance. Les vols ont diminué de moitié en 10 ans, et les viols, violences sexuelles, ont également enregistré une baisse, qui reste, même si elle est plus légère, significative. Du côté des homicides intentionnels, le pays peut se targuer d'être passé d'un taux de 1,2 pour 100.000 habitants entre 1998 et 2004 à 0,6 en 2020, soit moitié moins selon les chiffres de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime.

Comment donc expliquer cette baisse de la délinquance conjuguée à une faible population carcérale ? «Les Pays-Bas ont mis en place une politique pénale centrée sur la rapidité d'exécution et la certitude de la peine, inspirée des principes érigés par le philosophe Cesare Beccaria au 17ème siècle», explique Pierre-Marie Sève, directeur de l'Institut pour la Justice, avant de citer plusieurs études démontrant l'efficacité de cette formule juridique. Beccaria affirmait en 1746 que «c'est sur la certitude de la peine et non sur sa sévérité que repose l'efficacité et l'effectivité de la justice». Le gouvernement néerlandais a en effet réformé sa politique pénale au début des années 2000 pour mieux tendre vers les standards européens pour plus d'efficacité et de rapidité dans les procédures pénales. Aujourd'hui, si la justice néerlandaise envoie en prison pour des durées plus courtes, elle le fait aussi plus souvent (23% des condamnations contre 15% en moyenne en Europe).

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Peines alternatives

Autre différence significative, les peines alternatives à la prison, comme les travaux d'intérêt général ou la probation, sont plus nombreuses et mieux appliquées aux Pays-Bas. En toute logique, on peut conclure que la certitude d'une peine a un effet dissuasif, et la politique pénale néerlandaise a réussi à faire baisser la petite et moyenne délinquance. «C'est tout à fait cohérent de le penser», abonde Baptiste Nicaud, avocat au barreau de Paris et directeur du master de droit pénal et européen à l'université de Limoges.

«Il faut néanmoins faire attention avec le mythe du législateur étranger», tempère Christophe André, spécialiste en droit pénal et enseignant à Science Po, reprenant l'avertissement du doyen Carbonnier, illustre juriste français du siècle dernier. Les comparaisons en la matière entre les pays sont toujours délicates car les différences peuvent être aussi bien systémiques que conjoncturelles ou même culturelles, mais en l'occurrence l'analyse de l'Institut pour la justice n'est pas incohérente, reconnaît l'enseignant, mais s'«il n'y a pas d'études sociologiques démontrant strictement que les réformes judiciaires aux Pays-Bas ont eu un impact dissuasif».

Et au fond, ajoute-t-il, «la procédure pénale néerlandaise ressemble beaucoup à celle de la France». Certes, les Pays-Bas de Mark Rutte ne sont pas le pays du libéralisme et du laxisme, concède-t-il, et la sévérité des sanctions, notamment envers les mineurs, «ne fait pas rigoler». «Pour les graffitis urbains par exemple, c'est une peine principale et non une alternative». Mais «il n'y a pas de grandes différences textuelles, et le code de procédure pénal, plus lisible, n'est pas dépaysant», insiste-t-il.

Moyens alloués à la Justice

Pour lui, la vraie différence se trouve dans les moyens alloués à la Justice. Aux Pays-Bas, le système judiciaire est pourvu de 120 euros par habitant contre 70 euros pour la France, plus mauvaise élève des pays fondateurs de l'UE. Les effectifs manquent à tous les échelons. «On n'a même pas les moyens de contrôler la probation, et quand les TIG sont réellement effectifs, c'est pour faire un nième rond-point», caricature-t-il volontairement.

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Pour Baptiste Nicaud, la question de l'efficacité de la réinsertion se pose également. «Est-ce que la prison va punir et réinsérer ou juste punir dans des conditions carcérales qui conduisent à la mise à la marge et la déshumanisation ?», interroge-t-il. Selon les statistiques du ministère de la justice, le taux de récidive pour délits en France est passé de 6% en 2003 à près de 15% des condamnés en 2020 et de 2,5% à environ 12% pour les crimes. «La réinsertion est au cœur de la mission pénitentiaire», affirmait Jean Castex lors de son arrivée à Matignon. Et la certitude des peines, si elle est bien dissuasive, est aussi une solution pour lutter contre la récidive. L'ancien premier ministre reprenait d'ailleurs lui aussi à son compte dans son discours le principe de Beccaria.