Hakim El Karoui, consultant et chroniqueur à l’Opinion. © Sipa Press

Religions

Le conseiller officieux d’Emmanuel Macron a dirigé un rapport de l’Institut Montaigne sur l’idéologie islamiste. Il profite de l’occasion pour porter dans le débat ses propositions sur la gestion du culte musulman.

L'Opinion.fr - 10 septembre 2018 - Par Pascal Airault et Ivanne Trippenbach.

L’Institut Montaigne a publié un rapport intitulé «La fabrique de l’islamisme», dirigé par Hakim El Karoui, consultant et chroniqueur à l’Opinion. Le document se fonde sur une soixantaine d’entretiens dans huit pays, sur 200 ouvrages consultés et sur l’analyse massive de contenus islamistes collectés sur les réseaux sociaux.

Ni caméras ni trompettes. Il n’y aura pas de remise officielle du rapport à l’Elysée. D’ailleurs, il ne s’agissait pas d’une commande… Hakim El Karoui, l’auteur principal du pavé de 600 pages publié par l’Institut Montaigne, a déjà transmis le document aux autorités politiques la semaine dernière. «Que le Président en soit destinataire est un signal, glisse un proche du ministre de l’Intérieur. Le rapport a été reçu et entendu.» Gérard Collomb en a pris acte lundi. Dans un élogieux communiqué, le ministre des cultes relève les propositions phares d’El Karoui pour financer le culte musulman, dont une redevance interne sur le halal, que l’Opinion révélait en mai dernier.islam en France

Ce sera tout pour les feux médiatiques. «Ce rapport n’entre pas dans une séquence politique», insiste Hakim El Karoui en vantant un «large travail sur la fabrication idéologique de l’islamisme». L’homme qui murmure à l’oreille d’Emmanuel Macron sur l’épineux dossier de l’islam en France tient à son indépendance. Tout comme le gouvernement. Les deux partenaires avancent sur des charbons ardents : afficher leurs liens, alors que l’Etat ne doit en théorie pas s’immiscer dans la gestion d’un culte, serait contre-productif… Et reviendrait à tomber dans le piège qui s’est refermé sur l’islam de France, à savoir la tutelle du politique et le déficit de représentativité des musulmans français.

Mais que l’on ne s’y trompe pas : Hakim El Karoui a ses entrées dans les sphères de l’Etat. Ancienne plume de Jean-Pierre Raffarin, il connaît bien l’actuelle équipe de Matignon, qu’il a côtoyée sous Jacques Chirac — le directeur de cabinet d’Edouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas, la cheffe de cabinet Anne Clerc ou encore le conseiller politique Xavier Chinaud. «On le voit souvent», confirme-t-on à Matignon. De même, il participe aux consultations à l’Elysée, même s’il rejette l’étiquette de «visiteur du soir»... De quoi faire avancer ses idées d’ici début 2019. «En un an et demi, c’est l’un des seuls acteurs à avoir mis des propositions sur la table», observe assez justement un spécialiste au ministère de l’Intérieur.

Couscous macronien.

Parmi ses idées, une association musulmane pour l’islam de France (AMIF) destinée à collecter, de manière transparente, les fonds nécessaires aux lieux de culte et aux salaires des imams. «C’est du couscous macronien, analyse le patron d’une loge maçonnique. Le pouvoir veut faire émerger une nouvelle génération de Français musulmans, laïcs et modérés, pour réguler la communauté.» Comprendre : des actifs plus jeunes, plus féminisés, plus divers que les représentants du Conseil français du culte musulman (CFCM)… qui n’ont guère intérêt au changement. «Les représentants actuels devraient lancer des tirs de barrage et remettre en cause la représentativité de personnalités comme Hakim El Karoui», poursuit le même interlocuteur.

Que l’ex-banquier d’affaires soit un «outsider» à la gestion du culte n’a échappé à personne. L’intéressé en fait un argument pour donner un coup de jeune à l’islam de France, en proie aux ego et aux vieilles chapelles pilotées par l’étranger (Algérie, Maroc, Tunisie, Turquie, Arabie Saoudite). «Hakim El Karoui a l’assentiment implicite de l’Elysée. C’est du macronisme : fais ton boulot et je déciderai plus tard», estime l’expert de l’islam Bernard Godard. «Le succès de la démarche est entre ses mains, abonde une source proche du dossier à Beauvau. A lui, qui a fait ses preuves dans le monde de la finance, de lancer l’association de financement. Sur le papier, c’est un schéma intéressant.»

Hakim El Karoui et ses disciples ont du pain sur la planche. «Une nouvelle génération de musulmans doit impulser la régulation de l’argent liée au halal, à la formation des imams et à la production d’un contre-discours contre le salafisme sur Internet, espère-t-il. Il faut que les grands professeurs comme les contremaîtres s’engagent.» «Ce ne sera pas facile mais il y a un coup à jouer, anticipe-t-on à Beauvau. Beaucoup de mosquées seraient ravies de ne plus être sous la coupe d’un système financier qui fait la part belle aux salafistes, aux Frères musulmans et à trois grandes mosquées (Paris, Evry, Lyon) rentières pour la certification du halal.» Encore faut-il que le projet ne souffre pas trop des volontés de préséance d’intellectuels réformistes, et qu’il implique autant les musulmans d’origine subsaharienne que ceux, bien installés, originaires d’Afrique du nord ou de Turquie.

A minima.

Cette semaine, se déroulent des consultations baptisées «assises territoriales sur l’islam de France». «Dans ces réunions, les préfets font appel aux interlocuteurs habituels et leur posent les mêmes questions qu’en 1999», observe, sceptique, Bernard Godard, ancien chef du bureau des cultes et fin connaisseur du sujet. Une démarche institutionnelle a minima… D’autres dossiers font aussi leur chemin. «Il faut développer l’apprentissage de l’arabe à l’école et lui donner du prestige», a plaidé Jean-Michel Blanquer, lundi matin, au micro de RMC. Najat Vallaud-Belkacem, avant lui, avait fait la même proposition. Sans grand résultat. L’enseignement public de l’arabe permettrait pourtant d’éviter que des familles se tournent vers les écoles coraniques et les associations.

Preuve que le sujet est éruptif : même sans prise de parole d’une autorité de l’Etat, les réactions politiques n’ont pas manqué. «L’institutionnalisation d’un islam de France serait dangereuse car elle conduirait l’Etat à s’occuper de ce qui ne le regarde pas et fragiliserait le principe de laïcité», a fustigé le sénateur Bruno Retailleau (LR). Le parti de Marine Le Pen a quant à lui réagi contre «des mesures qui institutionnalisent un communautarisme islamique», exploitant la confusion entre une redevance, interne au marché halal, et une taxe gérée par l’Etat.

A l’occasion du rapport de l’Institut Montaigne, les réflexions sur le culte musulman (gestion des mosquées, formation des imams…) se mêlent curieusement à la lutte contre l’islamo-salafisme. «C’est un mélange des genres», regrette Bernard Godard. Pour contrer les salafistes et les Frères musulmans, la Fondation pour l’islam de France de Jean-Pierre Chevènement devrait lancer une plateforme sur la culture et l’histoire de l’islam. Les autorités espèrent aussi que des imams se forment enfin en France plutôt qu’à l’étranger, via de nouveaux instituts théologiques et des partenariats avec les universités.

Sans impulsion forte, qu’elle vienne des palais de la République ou de la société civile, une bonne idée peut vite péricliter. Lors du quinquennat précédent, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve avaient déjà fait travailler leurs conseillers. Ibrahima Diawadoh N’Jim, chargé de mission en charge du culte et de la diversité auprès de l’ex-Premier ministre, proposait de confier la certification du halal à 13 mosquées non salafistes. Il suggérait aussi de «taxer» de 10 euros le pèlerinage à La Mecque (entre 100 000 et 120 000 pèlerins par an pour le Hadj et l’Omra, grand et petit pèlerinage), et de favoriser les donations sujettes à déduction d’impôt. Aucune décision n’a été prise, les autorités de l’époque renvoyant le bébé à leurs successeurs… Sur l’islam de France, Emmanuel Macron n’en est qu’au début d’un long chantier.