Nicolas Domenach et Maurice Szafran partent à la recherche du vrai Macron tandis qu’Agnès Verdier-Molinié met à nu la réalité économique française.

Par Franz-Olivier Giesbert ( Le Point)

Il faut être inculte ou stupide pour ranger les livres parmi les choses inanimées. Ce sont presque tous des personnages vivants qui débattent entre eux, parfois jusqu'à la cacophonie.

L'auteur de ces lignes en a encore eu la preuve, vendredi dernier, quand il a trouvé dans sa boîte à lettres « en même temps », comme dirait le président, deux livres qui se répondent l'un à l'autre : Macron, pourquoi tant de haine ? de Nicolas Domenach et Maurice Szafran (Albin Michel), et Le Vrai État de la France, d'Agnès Verdier-Molinié (L'Observatoire).

Imaginez une explication de gravure entre un albatros qui, dans son ciel, pose une question et un char d'assaut qui, dans la gadoue, y répond : l'essai de Domenach et Szafran est enlevé et romanesque, tandis que l'ouvrage de Verdier-Molinié, terre à terre mais jouissif, tire du gros calibre et met à nu la réalité économique française. Nous sommes là au cœur du débat présidentiel. Le choc entre un Macron éternellement fringant et son passé, pardon, son passif, qui est aussi celui de ses prédécesseurs.

Emmanuel Macron est très doué, personne ne peut dire le contraire. Mais pour quoi faire ? Pour discourir ou pour gouverner ? Ce quinquennat n'a pas permis de rassurer les macrono-sceptiques, qui restent légion. Comme si le président sortant n'était pas fini, il y a toujours trop de contradictions en lui, entre son angélisme gnangnan et son machiavélisme chicanier. Domenach et Szafran, qui ne sont pas insensibles à son charme, rappellent qu'il a dit, il n'y a pas si longtemps, que la politique était « mystique ».

Christique, Macron ? En ce siècle où tout le monde est une victime, il n'en est pas une, sinon de lui-même. Les nouvelles générations ont tendance à penser que l'Histoire a commencé le jour de leur naissance et elles oublient souvent qu'elle est tragique. Chacun sa croix. De Gaulle eut la guerre d'Algérie. Giscard, une doublette de chocs pétroliers, ce qui n'était pas rien. Sarkozy, la crise mondiale des subprimes. Macron, lui, affronta les Gilets jaunes puis le coronavirus. Ses deux croix furent-elles plus lourdes à porter que celles de ses devanciers ? On en doute.

Tel Lucien de Rubempré découvrant Paris dans « Illusions perdues » de Balzac, Macron, jugulaire au menton et l'hubris en bandoulière, s'est bien amusé à l'Élysée. C'est pourquoi les clous du martyr ne lui siéent pas. N'en déplaise au meilleur duo du journalisme politique, il n'aura pas été plus calomnié, loin de là, que ses prédécesseurs en fin de course : Giscard accusé de trafic de diamants ; Mitterrand d'avoir été « collabo » ; Sarkozy de « folie » ou de prévarication ; Hollande d'avoir tué de ses propres mains une gauche « suicidée » par ses frondeurs. Le président sortant est l'objet, comme presque partout en Occident, de la vindicte d'une population obsédée par son déclassement.

Plus le déclin est grand, plus la crise civique est violente. Dans la foulée de l'excellent livre de Jacques de Larosière (1), Agnès Verdier-Molinié nous remet les yeux en face des trous dans son Vrai État de la France. Et, avec une colère froide, elle aligne une série de vérités qui ne sont pas bonnes à dire. Par exemple, qu'en matière de richesse par habitant, la France, 5e en 1975, est tombée au 25e rang mondial. Ou bien qu'à cause des 35 heures nous accusons un déficit de 7 milliards d'heures travaillées par rapport à nos principaux partenaires. Ou encore que notre balance commerciale souffre d'un déficit chronique. Sans oublier qu'il y a 7,1 % de travailleurs pauvres chez nous contre… 3,7 % en Allemagne !

Il n'y a pas un chiffre pour rattraper l'autre. Championne du monde des dépenses sociales (32 % du PIB) et as du logement social qui ghettoïse, la France réussit la gageure d'être à la fois un modèle antiéconomique, anticommercial et… antisocial. Le tout dans une opacité totale. Impossible, par exemple, de savoir s'il y a ou pas 2 millions de cartes Vitale de trop en circulation, ce qui expliquerait au moins en partie les chiffres de la fraude à la Sécu : l'administration a mis un mouchoir sur cette absurdité comme sur tant d'autres.

Un pays qui refuse d'identifier ses maux est un pays sans avenir. Rien n'est perdu si la France, enfin éclairée, décide de réagir comme l'ont fait longtemps avant elle la Grande-Bretagne de Thatcher ou l'Allemagne de Schröder. Notre dégringolade a commencé bien avant Macron, et il serait bien inspiré de chercher, comme Valérie Pécresse, les moyens de la stopper, au lieu de s'adonner à la scotomisation, terme qui, en psychologie, désigne le déni, maladie française qui fait la paire avec la dépression§