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Quel modèle de croissance en l’Europe? Quelle identité économique pour la France ? Quelles solutions face aux vieillissement de la population? Face au défi environnemental ?

L'Opinion - 17 février 2022 - Par Raphael Legendre

Avant le grand oral des candidats à la présidentielle lundi devant le Medef, le président de l’organisation patronale regrette une campagne éloignée des grands défis de la décennie et pousse quelques propositions.

Geoffroy Roux de Bézieux est président du Medef.

Comme en 2017, les principaux candidats à l’élection présidentielle défileront au Medef lundi 21 janvier pour un grand oral. Il y a cinq ans, Emmanuel Macron avait commencé l’exercice en affirmant que l’on parlait trop peu d’entreprises dans la campagne. Et en 2022 ?

Cette campagne est une nouvelle fois assez frustrante pour les chefs d’entreprise, qui d’ailleurs ne s’y intéressent pas encore beaucoup. Certainement parce que les grands sujets économiques sont passés sous silence. On parle beaucoup d’identité mais peu de l’identité économique de la Franceet de L’Europe. Nous sommes pourtant au milieu d’une guerre des modèles économiques. Quelle position souhaitons-nous défendre entre le modèle américain qui crée des richesses mais entraîne de fortes inégalités, une absence de solidarité et un repli communautariste, et de l’autre, en Chine, une économie dirigiste jusqu’ici efficace mais qui prive les citoyens de leurs libertés fondamentales ? Au milieu, l’Europe se cherche. Elle essaie de recréer ce qui s’appelait autrefois l’économie sociale de marché, capable à la fois de créer de la croissance en protégeant ses citoyens des aléas et de faire face aux grandes transitions, notamment environnementale. Mais ces grands enjeux sont absents du débat.

Quels sont les principaux défis européens ?

Démographique d’abord.L’Europe vieillit et manquera bientôt de main-d’œuvre. Dans certains pays de l’est, la situation est critique. La Roumanie a perdu un cinquième de sa population, la Bulgarie un quart. Or, la richesse d’un continent est déterminée par l’augmentation de sa population qui définit le niveau de croissance potentielle. Les compétences ensuite. La France n’est pas le seul pays à régresser dans les classements internationaux. C’est toute l’Europe qui recule face à l’Asie. Enfin le défi climatique qui nécessite des centaines de milliards d’euros en investissements, aux entreprises comme aux ménages. Personne n’en a suffisamment conscience pour l’instant, mais il n’y aura pas de transition écologique douce.

«Les entreprises ne sont pas là pour décider de la politique migratoire, mais leur rôle est en revanche d‘intégrer les immigrés dans la société. Elles savent le faire. Je suis frappé par le contraste entre l’importance de la question migratoire dans le débat public et la quasi-inexistence du sujet au sein de l’entreprise»

Le vieillissement de l’Europe pose la question de l’immigration économique…

Le sujet est inflammable. Les entreprises ne sont pas là pour décider de la politique migratoire, mais quelle que soit la politique choisie, leur rôle est en revanche d‘intégrer les immigrés dans la société. Elles savent le faire. Je suis frappé par le contraste entre l’importance de la question migratoire dans le débat public et la quasi-inexistence du sujet au sein de l’entreprise.

Le vieillissement pose aussi la question de la place des seniors dans l‘entreprise…

On sait qu’en reculant l’âge de départ à la retraite, les départs anticipés reculent aussi. Reste le sujet compliqué de l’employabilité dans les métiers manuels. Un autre sujet est en train d’émerger sur l’obsolescence technologique. Les seniors sont plus vite dépassés face aux nouveautés. La réforme des retraites devra s’accompagner d’un plan seniors avec des mesures assez simples, comme l’exonération de cotisations pour les actifs qui continuent de travailler après avoir liquidé leurs droits. Les entreprises devront aussi faire des efforts sur les retraites progressives, qui bénéficient pour l’heure essentiellement aux cadres des grandes entreprises.

Travailler plus longtemps, c’est aussi devoir se former tout au long de la vie…

Il faudra une loi formation 2 au début du prochain quinquennat. La monétisation du Compte professionnel de formation (CPF) a été une très bonne réforme qui a fait prendre conscience à beaucoup de gens de la nécessité de se former. Mais quand 40 % des formations ne sont au mieux pas en ligne avec les besoins de l’entreprise, au pire folkloriques, on se dit qu’il est urgent de corriger les effets pervers de la loi de 2018. Nous demandons une co-construction de tout ou partie de la formation CPF et nous réclamons aussi une évaluation du Plan d’investissement dans les compétences (PIC) qui a coûté des milliards et dont les effets restent un mystère.

De plus en plus de grands patrons appellent à renforcer l’éducation des sciences dès le plus jeune âge. Vous en parlerez lundi ?

Nous vivons dans un monde où les sciences en général et les mathématiques en particulier vont prendre de plus en plus de place. Sans progrès technologiques, nous n’arriverons pas à la neutralité carbone. Nous avons besoin d’ingénieurs, de mathématiciens. C’est le monde de demain !Niveau maths

«Le télétravail ne changera pas la donne. L’emploi se crée là où se trouvent les ressources. La France a cette particularité géographique d’avoir beaucoup de villes moyennes. L’Etat doit les aider à définir une identité économique. On a recréé le Plan. J’aurais préféré que l’on réinvente la Datar»

Le logement est-il suffisamment traité dans la campagne ?

C’est une composante importante d’un autre angle mort de la campagne qui est la fracture territoriale. Comme en 2017, ce que certains ont appelé le « cercle de la raison », qui réunit aujourd’hui Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, ne pèse que 40 % des intentions de vote. Aux extrêmes, le bloc dit de la révolte représente 50 %. La fracture territoriale est l’une des explications de cette révolte, et le manque de logements (environ 120 000 par an) une cause de cette fracture. Avec le ralentissement des autorisations de permis de construire et la politique de zéro artificialisation des sols, ce sujet reste devant nous.

L’accélération du télétravail n’est-elle pas une réponse à ces déséquilibres ?

Le télétravail ne changera pas fondamentalement la donne. L’emploi se crée là où se trouvent les ressources. La France a cette particularité géographique d’avoir beaucoup de villes moyennes. L’Etat doit les aider à définir une identité économique. On a recréé le Plan. J’aurais préféré que l’on réinvente la Datar.

Comment les entreprises ont-elles digéré les lois environnementales du quinquennat ?

Les lois Agec et Climat et résilience ont multiplié les contraintes sans qu’à aucun moment on ne pose d’objectif carbone. Nous avons mesuré les 20 premières mesures de la loi Climat et résilience : le coût de la tonne de carbone évitée monte parfois à 800 euros. Ça n’a aucun sens! L’argent que les entreprises vont investir pour faire face à leurs obligations aurait été plus efficace en économie de carbone avec une simple taxe carbone. Mais comme le sujet est émotionnel et médiatique, on se retrouve avec une loi de 305 articles basée sur une mauvaise méthode – la consultation citoyenne – qui traite de questions complexes et scientifiques. Il faut absolument que le prochain quinquennat trace une route claire jusqu’en 2030 pour baisser de 55 % les émissions carbone, puis jusqu’en 2050 pour la neutralité carbone. Et qu’on n’en dévie pas !

La relance du nucléaire est-elle une bonne nouvelle pour cela ?

C’est un bon choix qui aurait pu être fait plus tôt. Toutes les études montrent qu’un scénario sans nucléaire est un scénario de décroissance qui ne sera pas acceptable socialement. Nous avons besoin de sobriété, sans tomber dans les excès de type arrêter de manger de la viande ou de prendre l’avion. Toutes les énergies sont nécessaires au moment où l’acceptabilité de l’éolien est en baisse.

Jeudi, Emmanuel Macron s’est rendu à Toulouse pour parler espace. Une semaine plus tôt, c’était le One Ocean summit à Brest. Biodiversité, mer, espace… Comment les entreprises souhaitent-elles participer au débat ?

La mer et l’espace sont deux biens communs pour lesquels les enjeux géostratégiques seront majeurs au XXIe siècle. Les routes seront de plus en plus maritimes et il est possible que les conflits du XXIe siècle le soient aussi. L’espace est un lieu commun où règnent peu de lois, comme la haute mer. Les fonds sous-marins sont pleins de ressources. C’est bien que la France et l’Europe s’en préoccupent. Mais une fois encore, on n’en parle pas assez. Ce sont pourtant deux domaines dans lesquels la France a encore un rôle de puissance mondiale.

«Nous devons nous désintoxiquer de la dépense publique, y compris du côté du patronat. On n’est pas entrepreneur pour vivre au crochet de l’Etat. Par contre, les baisses d’impôt sont rapidement auto-financées par la croissance générée»

Comment sécuriser notre approvisionnement en terres rares ?

Philippe Varin a remis au gouvernement un rapport sur le sujet en début d’année. On comprend tous que l’avenir est aux terres rares et que la transition, notamment au travers des moteurs électriques, passera par les terres rares. En France, on n’a pas de lithium, il nous faut donc des idées. Nous avons besoin d’accord bilatéraux avec les Etats qui détiennent ces terres rares pour sécuriser notre approvisionnement.

En 2017, Emmanuel Macron avait évoqué au Medef la nécessité de baisser des dépenses publiques. Cinq ans plus tard, les dépenses courantes ont augmenté de 150 à 200 milliards d’euros, la dette de 640 milliards d’euros. Est-ce tenable ?

C’est évidemment une préoccupation qui va monter en sortie de crise. Nous n’avons pas le choix, il va falloir reprendre la trajectoire de baisse interrompue par la crise. Avec le double défi qu’on ne pourra pas compter uniquement sur la croissance des recettes fiscales pour rétablir les comptes et qu’il va falloir engager des dépenses par centaines de milliards pour la transition écologique. Nous devons nous désintoxiquer de la dépense publique, y compris du côté du patronat. Je l’ai déjà dit, on n’est pas entrepreneur pour vivre au crochet de l’Etat. Par contre, on nous reproche souvent de demander des baisses d’impôts. L’expérience des dernières années nous a montré que ces baisses sont rapidement auto-financées par la croissance générée par les entreprises.