Le secrétaire général de la CFDT demande aux élus de ne pas transformer le Parlement en ring de boxe et de trouver des solutions aux problèmes concrets

L'Opinion - 21 juin 2022 - Par Corinne Lhaïk

Les faits - Le 10 juin, Laurent Berger est reçu par Emmanuel Macron avec trois autres syndicats. Du 13 au 17 juin, la CFDT a tenu son cinquantième congrès à Lyon. La première réunion du Conseil national de la refondation, qui devait se tenir le 22 juin, a été reportée.

Lors de votre congrès, vous avez déclaré que l’esprit de responsabilité va de pair avec la combativité. Celle-ci est-elle bienvenue à l’heure où l’Assemblée nationale risque d’être un lieu d’affrontement ?

Je parle de combativité pour dénoncer des situations inacceptables. Les travailleurs de la deuxième ligne, les agents de nombreux métiers du secteur public sont en grosse difficulté. Il faut que nous soyons à l’offensive pour porter des propositions qui améliorent leurs conditions de travail, reconnaissent leur travail. Les enjeux posés en termes de réduction des inégalités, de transition écologique, d’impératif démocratique sont toujours forts. Quant à la responsabilité, le rôle d’une organisation comme la CFDT est de regarder la réalité en face, de ne pas la fantasmer, de faire des propositions concrètes, et s’engager dans des compromis issus d’une négociation quand ils comportent des avancées.

La combativité, c’est aussi manifester ?

Aussi, mais pas seulement. La combativité ne se résume pas à des banderoles. Elle peut aussi s’exercer par la création d’un rapport de force, grâce à la qualité de l’analyse et des propositions.

Que faire face à un gouvernement qui risque d’être empêché d’agir ?

Les propositions que nous avons faites au gouvernement, nous allons aussi les transmettre aux 577 députés. Le pacte du pouvoir de vivre [alliance de syndicats et associations pour l’écologie et le social] va aussi s’adresser aux parlementaires.

Et cela va changer les choses ?

Que faut-il faire ? Attiser les tensions ? Mettre le bordel dans la rue ? Ou rester chez soi ? Nous allons mener une action syndicale classique dans un champ politique nouveau que nous n’avons pas choisi.

« Dans les mois à venir, la construction législative sera plus compliquée, faisons de la construction contractuelle »

Mais vous vous présentez comme une force de proposition, partisane de la démocratie sociale...

Il revient aussi aux partenaires sociaux de prendre leurs responsabilités. Dans les mois à venir, la construction législative sera plus compliquée, faisons de la construction contractuelle. Il est important que les organisations syndicales discutent avec le patronat pour élaborer une forme renouvelée de paritarisme. Nous pourrions définir un agenda social portant sur les conditions de travail, la lutte contre les discriminations qui empêchent d’accéder à un emploi, la lutte contre le chômage. Les questions de pouvoir d’achat, de grilles salariales dans les branches, de protection sociale peuvent aussi faire partie du menu. De son côté, le pacte du pouvoir de vivre peut lancer des initiatives, en s’appuyant sur les collectivités locales pour apporter des solutions sur l’écologie, la solidarité locale. Il est nécessaire d’ouvrir les champs du possible parce que la vie politique française va être perturbée pendant un moment. Pour tous ces sujets, il ne faut pas perdre de vue nos valeurs. Dimanche, 89 députés RN ont été élus, ce n’est pas rien. Il faut donc être solide sur notre modèle de société. Chacun doit assumer sa part de responsabilité. La CFDT va bien, elle sort d’un congrès apaisé, elle pourrait la jouer tranquille. Mais je suis inquiet face à une situation qui se dégrade avec une géopolitique compliquée, le mal-être social, une économie qui ralentit, des taux d’intérêt qui montent, etc. Je ne veux pas être renvoyé à une impuissance. Parce que nous ne sommes pas impuissants, nous ne sommes pas une force de témoignage, mais une force d’action.

Que dites-vous aux députés ?

J’entends certains affirmer qu’ils vont résister. Un député n’est pas là pour résister, mais pour construire.

Vous pensez à ceux de La France insoumise ?

Je ne pense pas qu’à eux. Comme citoyen, j’attends du Parlement qu’il trouve des solutions. S’il y avait une majorité, je m’adresserais à elle, mais il n’y en a pas. Le rôle d’un député est de construire des solutions pour la population, c’est de représenter la nation, le peuple français. J’en appelle à la responsabilité de tous les parlementaires pour qu’ils se placent dans une logique de construction de solutions, pas dans des jeux partisans. Ces derniers sont normaux et je les respecte, mais ils ne peuvent pas résumer l’action des élus. Le Parlement n’est ni un ring de boxe, ni une tribune. Il doit prendre en compte les difficultés de la société française. Ce n’est pas à moi de dire s’il faut telle ou telle coalition, mais chacun doit exercer ses responsabilités. Si le théâtre politique devient un lieu exclusif d’affrontement, nous allons le payer très cher.

« Les réformes qui hystériseraient la société me paraissent hors de propos. Je pense en particulier à celle des retraites avec le report de l’âge légal. Si vous voulez mettre le feu au pays, allez-y ! »

Avec cette nouvelle donne, lancer le Conseil national de la refondation (CNR) vous paraît-il judicieux ?

Je comprends que la première réunion [initialement prévue pour le 22 juin] ait été reportée, mais il ne faut pas abandonner l’idée. Une partie des solutions est à trouver avec les forces vives de la nation, plus que jamais. Dans un pays confronté à la déprime, à la précarité, à la fatigue démocratique, il faut construire collectivement si l’on veut apaiser.

Dans le programme d’Emmanuel Macron, que faut-il maintenir, que faut-il remiser ?

Il faut aider les plus modestes à faire face au choc d’inflation, revaloriser les secteurs et les métiers de la santé, de l’éducation, les services publics de proximité. Il faut aller plus loin dans la lutte contre les discriminations qui minent notre pacte républicain, comme le montre le résultat des élections. Emmanuel Macron devra trouver une ou des majorités, il n’a pas le choix. En revanche, les réformes qui hystériseraient la société me paraissent hors de propos. Je pense en particulier à celle des retraites avec le report de l’âge légal. Si vous voulez mettre le feu au pays, allez-y !

Mais une réforme des retraites vous paraît-elle souhaitable ?

Le besoin de rendre notre système plus juste est très fort. Mais l’heure n’est pas à la réforme paramétrique prévue, avec le recul de l’âge qui au contraire rajoute de l’injustice au système en pénalisant ceux qui ont commencé à travailler tôt. Nous vivons une forme de choc politique qui illustre la polarisation de la vie politique française. Nous n’avons pas intérêt à rajouter de la conflictualité.

On a vu ces résistances s’exprimer lors de votre congrès : il a refusé de voter un texte rappelant que la CFDT est favorable à l’allongement de la durée de cotisation en cas de hausse de l’espérance de vie. Avez-vous été surpris par cette décision ?

Non, je l’avais pressentie une dizaine de jours avant. Ce vote n’est pas un acte de défiance vis-à-vis des instances dirigeantes de la CFDT, mais s’explique par le contexte : le recul de l’âge légal est unanimement rejeté et les militants de la CFDT ont le sentiment d’avoir été longtemps méprisés par le pouvoir en place. Nos syndicats ont voulu montrer qu’il n’était pas question de bouger sur la durée de cotisation, même si le texte qui leur était proposé ne le préconisait pas : il se contentait de rappeler que la CFDT accepte la montée en charge progressive de la durée de la cotisation décidée par la loi Touraine de 2014. Mais la question est très inflammable, parce qu’il y a un net refus du discours ambiant disant « il faut travailler plus longtemps. » D’ores et déjà, l’application de l’âge légal et de la durée de cotisation qui progresse font que les salariés prennent leur retraite à 63 ans et quatre mois et non à 62 ans. La question de la retraite est avant tout un sujet travail : pourquoi ceux qui exercent certains métiers veulent-ils partir le plus tôt possible ?

La retraite à 65 ans est-elle l’une des raisons de l’échec d’Emmanuel Macron aux législatives ?

Cela a pesé très lourd. L’enquête Kantar que nous avons rendue publique pour le congrès montre que 80 % des personnes interrogées ne veulent pas du recul de l’âge légal. D’autres éléments ont probablement joué. Par exemple, ne pas avoir donné de consigne claire quand il y avait un candidat RN face à un autre candidat. Nombre de politiques, de tous bords, ont dit : « Il ne faut pas une voix au RN. » Mais ils n’ont pas été capables de pousser la logique jusqu’au bout : « Il faut voter pour le candidat qui fait face à celui du RN. » « La CFDT incarne une force de stabilité et demande à être considérée comme telle et rien d’autre. Nous ne demandons pas une reconnaissance particulière »

La CFDT semble désormais la seule organisation à porter le front républicain ?

Quand j’affirme nos valeurs, cela ne me gêne pas d’être seul. Aujourd’hui, il y a 89 députés RN. Si l’on ne ressaisit pas, on va le payer beaucoup plus cher.

Comment vont vos relations avec Emmanuel Macron ?

Nos relations sont celles d’un responsable syndical avec le pouvoir politique. Notre congrès s’est déroulé entre les deux tours des législatives dans un contexte qui n’était donc pas facile, mais pas une seule fois je n’ai fait siffler le Président car nous ne sommes pas dans ce registre. La CFDT incarne une force de stabilité et demande à être considérée comme telle et rien d’autre. Nous ne demandons pas une reconnaissance particulière. Je pense que le chef de l’Etat en a pris conscience, d’où la naissance de l’idée du CNR. Ce n’est pas le politique qui va sortir le pays de l’ornière où il est, mais la société civile.

Vous avez dit que vous n’effectuerez pas votre nouveau mandat jusqu’au bout (il court jusqu’en 2026). Quand annoncerez-vous le nom de votre successeur ?

J’ai su que François Chérèque [prédécesseur de Laurent Berger] pensait à moi pour lui succéder en juillet 2009 et pourtant il ne l’a dit publiquement qu’en septembre 2012, alors que je suis devenu secrétaire général à peine deux mois plus tard.

Et vous, votre successeur sait-il que vous avez son nom en tête ?

Cela se pourrait. Je travaille avec des gens, je suis très communicatif.

Sera-ce une femme ?

Ce sera quelqu’un de bien, connaissant l’organisation, mais je n’ai que cela en magasin au sein de la commission exécutive ! Quand vous avez le temps pour décider les choses, que vous savez à quel moment vous devrez l’avoir décidé, autant laisser de la place au doute jusqu’au bout. La passation se fera tranquillement et je partirai serein.