Économie

Pour l’économiste Christian Saint-Étienne, seul un accord entre Ensemble et LR permettra de faire les réformes nécessaires afin d’éviter la catastrophe.

Le Point - 20 juin 2022 - Par François Miguet

Christian Saint-Étienne, professeur titulaire de la chaire d'économie au Conservatoire national des arts et métiers, vient de cosigner une étude sur l'avenir des entreprises de taille intermédiaire pour le compte du laboratoire d'idées l'Institut du bien commun. À l'entendre, il est urgent de faire passer des réformes pour que la France puisse enfin atteindre le même niveau de compétitivité industrielle que ses grands voisins européens. Or, estime-t-il au regard de la nouvelle donne à l'Assemblée nationale, aucune réforme économique ne pourra passer si Emmanuel Macron ne parvient pas à conclure avec Les Républicains un contrat de coalition à la manière allemande. Entretien.

Le Point : Quelles peuvent être les conséquences pour l'économie du pays de l'absence de majorité au Parlement ?

Christian Saint-Étienne : Tout le monde parle de France ingouvernable, de crise de régime… Cela me surprend, car ce n'est pas du tout le constat que je fais. Selon moi, deux éléments clés ressortent de cette élection. Premièrement, si vous calculez la somme de l'ensemble des députés des Républicains, d'Ensemble et de divers droite, vous voyez une majorité du peuple français qui est au centre droit. Et personne ne le dit ! Le deuxième enseignement, c'est que les Français ont forcé Emmanuel Macron à faire des compromis. À chaque fois que l'on voit un compromis en Allemagne, on dit que c'est formidable, et là ce serait une mauvaise nouvelle ? En vérité, je pense que les Français ont millimétré leur vote. Ils veulent être gouvernés au centre droit, notamment pour la sécurité – des jeunes que l'on dit « mineurs isolés » dépouillent en ce moment des touristes dans les environs de la tour Eiffel ou à Rennes –, la souveraineté et le développement économique, puisque le pouvoir d'achat est leur priorité. Et ils exigent une politique de compromis. Ils ont réélu Emmanuel Macron car ils ne voulaient pas de Marine Le Pen comme présidente de la République. Mais aux législatives, ils précisent le message.

Croyez-vous à une alliance LR-Ensemble ? Pour le moment, ils ne s'entendent pas…

Je ne sais pas si ça va se faire. Mais il est certain qu'il va y avoir des négociations entre les macronistes et les Républicains. Si Emmanuel Macron leur offre deux ministères régaliens et un Premier ministre issus de leurs rangs, ils diront peut-être oui. Et je le dis en tant que centriste. Le premier choix d'Emmanuel Macron pour le poste de Premier ministre était la LR Catherine Vautrin, avant qu'il ne nomme Élisabeth Borne sous la pression de certains de ses proches. Or, qui a été battu ? Richard Ferrand et Christophe Castaner, ceux qui s'étaient le plus opposés à sa nomination. Il peut y avoir un contrat de gouvernement à l'allemande entre les LR et les macronistes.

Vous attendez-vous à une hausse des écarts de taux, les fameux « spread », entre la France et les pays européens réputés plus rigoureux, comme l'Allemagne ?

Imaginons que les Républicains et les macronistes concluent un contrat de gouvernement, tout dépend de ce qu'il contient : s'il y a dedans la retraite à 64 ans ; la suppression de la C3S et de la CVAE, ces impôts de production qui grèvent notre compétitivité ; une réforme significative de l'école primaire et du collège pour que l'on cesse de s'effondrer dans les classements Pisa de l'OCDE ; et s'il y a une vraie volonté de réindustrialiser le pays, alors l'écart de taux entre la France et l'Allemagne serait très limité, voire réduit. Dans cette hypothèse, la France recolle à l'Europe du Nord. Si, en revanche, il y a un refus total de ce contrat de gouvernement par les Républicains, à ce moment-là, la France peut se retrouver dans une dérive de taux vers un scénario à l'espagnole ou à l'italienne. Avec un risque encore plus fort pour la France, à cause de son déficit du commerce extérieur. Si les Républicains et Ensemble ne s'entendent pas sur un contrat de gouvernement, on ira vers une crise économique et sociale majeure. Et si le président choisit l'option de la dissolution, cela pourrait être pire pour l'économie : le risque d'avoir 150 députés RN et 200 Nupes.

Vous êtes coauteur d'une étude pour favoriser le développement des entreprises de taille intermédiaire (ETI). Les députés Ensemble et Républicains pourraient-ils s'entendre pour faire passer certaines mesures que vous appelez de vos vœux, comme la baisse des impôts de production ?

Toutes les mesures qui sont dans notre étude pourraient parfaitement s'insérer dans un contrat de gouvernement entre LR et Ensemble. Créer un pacte Dutreil de nouvelle génération, diminuer les impôts de production, etc. Mais pour qu'un tel accord fonctionne, il ne faudra pas que les Républicains soient considérés comme des béquilles, mais qu'ils puissent imposer une vraie transformation au pays, comme les Verts l'ont fait en Allemagne.

Certes, mais les Républicains ont fait moins de 5 % à la présidentielle !

Je suis d'accord. Et je ne suis pas au bureau politique des Républicains. Seulement, on est un pays qui est en crise significative. Dans ce contexte, choisir une politique du niet pourrait entraîner une dissolution qui elle-même pourrait entraîner une disparition pure et simple des Républicains. Les Français pourraient être extrêmement sévères.

Ce matin, la Bourse de Paris a ouvert en très légère hausse…

Malheureusement, les Bourses européennes suivent les Bourses américaines depuis trente ans. Donc on devrait voir les conséquences de l'ouverture de Wall Street cet après-midi. Cela dit, c'est un résultat qui n'est pas inquiétant pour les investisseurs. Le vrai risque, c'était la Nupes, avec 250 milliards de hausse des dépenses publiques. Et le RN avec 150 milliards de dépenses publiques. Or, ces deux programmes très destructeurs du point de vue du développement économique du pays seront au final portés par moins d'un tiers des députés. C'est de nature à rassurer la Bourse et les investisseurs internationaux. Si la France veut créer de l'emploi, elle doit développer les PME, et si elle veut faire de l'exportation, elle doit développer les grosses ETI. Les deux programmes qui étaient désastreux pour les PME et les ETI étaient ceux de la Nupes et du RN.