Photo : JEAN LUC BERTINI

Entretien

Pour l’avocat, spécialiste des questions de sécurité, le manque de respect envers les forces de l’ordre est «le révélateur d’une crise de l’autorité».

Le Figaro- 15 août 2022 - Par Eugénie Boilait

L’avocat, spécialiste des questions de sécurité et ancien soutien de Valérie Pécresse à la présidentielle, analyse pourquoi les forces de l’ordre n’inspirent plus ni respect ni crainte à une partie des auteurs d’infractions.

LE FIGARO. - Ces dernières semaines, la police a fait face à de nombreux refus d’obtempérer. Comment l’interpréter?

Thibault DE MONTBRIAL. - D’une manière générale, on observe depuis quelques années une augmentation constante de la violence physique dans toutes les catégories de la société. Cela illustre l’incapacité de l’État à maintenir l’ordre de façon structurelle: son rôle, celui de garantir la sécurité à ses citoyens et de réguler la société, n’a jamais été aussi déliquescent dans l’histoire contemporaine. À cette tendance générale s’ajoute le sentiment pour de nombreux Français que les forces de l’ordre s’en prennent plus facilement aux faibles qu’aux forts, en particulier depuis le premier confinement et ses contrôles bien plus assidus dans les quartiers calmes que dans les quartiers sensibles, par peur des violences urbaines.

Enfin, les fréquentes déclarations très hostiles à la police de personnalités politiques comme Jean-Luc Mélenchon ont créé une désinhibition auprès d’une partie de la population. Les refus d’obtempérer reflètent cette situation: ils concernent des délinquants plus ou moins chevronnés qui ont compris la faiblesse politique derrière les uniformes, mais aussi des citoyens lambda qui n’ont plus d’assurance auto ou de permis. Il y a quelques années, ils se seraient arrêtés sans se poser de questions, mais ils ont désormais tendance à forcer le passage en pensant qu’après tout, ce n’est pas si grave.

Ce non-respect de l’uniforme est-il révélateur d’un rapport plus général de notre société à l’autorité?

L’affaissement de l’autorité est incontestable. Le sentiment d’appartenance à la communauté nationale a beaucoup diminué ces trente dernières années. Les facteurs d’intégration et d’homogénéisation ont progressivement disparu, la part de population issue de cultures différentes est de plus en plus élevée, un relativisme destructeur a pris possession de nombreux esprits. Le délitement général se traduit par l’augmentation très sensible statistiquement des violences d’abord contre les forces de l’ordre, mais aussi contre les services de secours, les élus (47 % d’augmentation en 2021 par rapport à 2020), et même les enseignants, bien qu’on l’évoque assez peu. Tout ce qui représente l’autorité de l’État, au sens le plus large, est de plus en plus attaqué pour ce qu’il est.

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La police pourrait-elle réinstaurer son autorité sans provoquer des émeutes dans des banlieues sensibles?

C’est une question purement politique. Les policiers et gendarmes font ce qu’ils peuvent: leur abnégation, leur sens du service et leur mesure ne sont pas sérieusement contestables. Il faut d’abord restaurer d’urgence l’autorité de la Justice. Mais l’autorité de l’État ne sera vraiment rétablie que le jour où le pouvoir politique assumera les conséquences de l’emploi de la force légale lorsqu’elle est nécessaire et proportionnée. Les délinquants savent que la consigne donnée aux forces de l’ordre est d’éviter le contact. Le jour où un gouvernement dont le ministre de l’Intérieur et le garde des Sceaux diront respectivement à leurs préfets et à leurs procureurs que les conséquences de l’emploi de la force légale, c’est d’assumer la possibilité que des délinquants soient blessés voire tués si - et seulement si, naturellement - par leur violence ils portent gravement atteinte à l’intégrité physique des forces de l’ordre ou des citoyens, les résultats suivront.

Les deux ou trois premières confrontations seront difficiles, mais rapidement les délinquants comprendront que la donne a changé. En Grande-Bretagne, les policiers ont le droit de déséquilibrer les deux-roues auteurs de rodéo au contact. En France, la simple poursuite est interdite par précaution et les victimes sont civiles ou policières. Ce sont deux philosophies. L’État doit la sécurité à sa population, et doit également libérer les habitants des quartiers gangrenés par la délinquance et qui en sont les premières victimes. Cela implique un vrai courage politique, bien au-delà des mots.