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On comprend si peu cet homme que Jean-Paul II l’avait qualifié de « don de Dieu » et que d’autres ont fait de lui un « accident génétique » dans la lignée des dirigeants de l’URSS mais Mikhaïl Gorbatchev eut plus d’un prédécesseur

L'Opinion - 07 septembre 2022 - Par Bernard Guetta 

 

Bernard Guetta ©Philippe MATSAS/LeemageEt si c’était simple ? Et s’il n’y avait en réalité aucune difficulté à expliquer comment et pourquoi un lointain successeur de Staline a fait don de la liberté à son peuple et à toute l’Europe centrale, nous a sortis sans guerre de la Guerre froide et s’est retiré du pouvoir, de son plein gré, plutôt que de faire appel à l’armée pour empêcher le démantèlement de l’ancien Empire russe devenu l’Union soviétique ?

On comprend si peu cet homme que Jean-Paul II l’avait qualifié de « don de Dieu » et que d’autres ont fait de lui un « accident génétique » dans la lignée des dirigeants de l’URSS mais Mikhaïl Gorbatchev eut plus d’un prédécesseur. Il n’y eut pas que Trotski pour dénoncer la sanglante dictature qu’était vite devenu ce régime. Beaucoup d’autres vieux bolcheviks et anciens mencheviks ont payé de leur vie leur dénonciation des crimes staliniens et que dire d’Imre Nagy et d’Alexander Dubček ?

Printemps. L’un était allé jusqu’à proposer que la Hongrie quitte le Pacte de Varsovie et rompe ainsi avec Moscou. Communiste de toujours, Nagy avait rêvé de conduire son pays sur le chemin de la démocratie. Il n’avait pas été moins audacieux que Gorbatchev et il en est mort, fusillé. Plus prudent, Dubček avait toujours pris garde de dire que le « Printemps de Prague » n’était pas plus dirigé contre l’URSS que contre le communisme dont il aurait été au contraire une nouvelle réalisation. Cela n’avait trompé personne au Kremlin et les troupes du Pacte étaient vite venues mettre bon ordre à ce fol espoir d’un « socialisme à visage humain ».

A travers le monde, beaucoup de communistes ont alors tourné le dos au soviétisme comme tant d’autres l’avaient fait après l’écrasement de l’insurrection de Budapest. Quand Gorbatchev arrive au pouvoir, en 1985, il y a longtemps que le ver est dans le fruit. Cinq ans plus tôt, les Polonais ont créé le premier syndicat indépendant du monde soviétique et, malgré le général Jaruzelski et son « état de guerre », la Pologne n’est pas rentrée dans le rang. La Pologne n’a plus peur et bouge. La Pologne n’est plus un pays communiste mais une dictature militaire et lorsqu’on demande, en 1988, au porte-parole de Gorbatchev quelle différence il y a entre la Perestroïka et le Printemps de Prague, il répond sans ciller : « Vingt ans ».

Margaret Thatcher avait donné la réponse : « Ça ne marchait pas ». Le communisme ne marchait pas. Il avait raté la révolution informatique et donc pris un considérable retard en matière d’armements. Ses magasins étaient vides, ses productions consternantes

Même ce jour-là, 99 % des soviétologues ont continué à ânonner qu’on « ne sortait pas du communisme ». Ils le disaient alors que la presse écrivait ce qu’elle voulait, qu’il y avait déjà des milliers d’organisations indépendantes et, souvent, de petits partis aux quatre coins de l’URSS et que les débats et empoignades entre conservateurs et réformateurs du Bureau politique étaient devenus publics.

« Il veut sauver le communisme », n’en répétaient pas moins les soviétologues sans accepter de voir qu’il n’y avait déjà plus beaucoup de communisme en URSS, qu’il y en avait toujours moins et que Gorbatchev et son équipe ne disaient pas un mot, ne faisaient pas un geste pour freiner cette explosion de liberté frisant en fait l’anarchie.Alors oui, pourquoi ?

Margaret Thatcher avait donné la réponse : « Ça ne marchait pas ». Le communisme ne marchait pas. Il avait raté la révolution informatique et donc pris un considérable retard en matière d’armements. Ses magasins étaient vides, ses productions consternantes. Ne parlons pas de la foi qui n’était pas perdue qu’en Italie ou dans la jeunesse des sixties mais jusque dans l’appareil soviétique et ce n’est pas tout.

Soviétisme. Le soviétisme était arrivé au bout de la longue fuite en avant qui résume son Histoire. Dès la fin de la guerre civile, le parti avait inventé la « Nouvelle politique économique », la Nep, un retour partiel à l’économie de marché. Le pays en avait été remis sur pied mais le succès de ce capitalisme autorisé avait été tel que le parti avait pris peur, peur d’être balayé par ces entrepreneurs et l’argent qu’ils avaient vite accumulé.

Au revoir la Nep et les portes s’ouvrent à la répression de masse, à une terreur généralisée qui atteint son point d’orgue dans la seconde moitié des années trente. Staline va jusqu’à décimer l’état-major et quand les troupes nazies, à sa plus grande stupeur, pénètrent en URSS, il est anéanti, prostré, convaincu que tout est perdu, jusqu’au moment où il conçoit de faire appel à la hiérarchie de l’Eglise orthodoxe, à cette Eglise qu’il avait si atrocement persécutée, pour lancer avec elle un appel à sauver la Russie, désormais plus sainte que communiste.

Staline n’a pas battu Hitler. La Russie l’a fait avec un héroïsme qui passe l’imagination mais sitôt la guerre gagnée, la répression reprend de plus belle jusqu’à la mort du « petit père des peuples ». Le Bureau politique respire enfin. Ses membres ne risquent enfin plus d’être expédiés en camp sans avoir vu venir le coup et Khrouchtchev, dans son rapport aux XX° Congrès, dénonce les crimes de Staline tandis que les délégués sanglotent ou même s’évanouissent dans la salle.

Il n’a rien d’un accident. Il est la dernière carte d’un pays ruiné par soixante-dix ans de fuite en avant de ce régime, et ce soixantard, entouré de jeunes gens qui avaient vibré au Printemps de Prague va tenter non pas du tout de sauver le communisme mais de sauver la Russie de la faillite communiste

Dégel. C’est le Dégel. Soljenitsyne et d’autres sont publiés. Etudiant, Gorbatchev s’inscrit à la faculté de Droit. Le futur secrétaire-général du parti apprend le droit. On va bientôt parler des « soixantards », de la génération qui a grandi dans l’espoir des années soixante et dont on retrouvera les plus brillants éléments autour de Gorbatchev mais la direction prend peur. Où cela mène-t-il ? Où va l’URSS ? Khrouchtchev est évincé (mais pas assassiné) et commence ce qu’on appellera la « stagnation », ce sur-place dans lequel le haut appareil refuse le retour à la terreur de masse mais revient sur toutes les ouvertures de Khrouchtchev.

C’est dans cette stagnation que le retard industriel et scientifique de l’URSS prend racine et quand Brejnev meurt, ses deux successeurs meurent également en moins de trois ans. « Ils ne cessent de mourir », relève Ronald Reagan dans une conférence de presse et le fait est que le stock de vieillards est épuisé et qu’il n’y a plus grand autre choix que le benjamin du Bureau Politique, Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev, 54 ans, l’homme qui avait su tant séduire Mme Thatcher, François Mitterrand et… les eurocommunistes italiens.

Il n’a rien d’un accident. Il est la dernière carte d’un pays ruiné par soixante-dix ans de fuite en avant de ce régime, et ce soixantard, entouré de jeunes gens qui avaient vibré au Printemps de Prague va tenter non pas du tout de sauver le communisme mais de sauver la Russie de la faillite communiste.

Jamais il ne fera marche arrière parce que la Russie n’a pas le choix et que Gorbatchev, comme Dubček et Nagy, comme tant d’autres communistes d’en haut et d’en bas qui avaient cru à cet idéal avant de lui tourner le dos, croyaient aux valeurs de la paix et de la liberté. Encore un mot : cet homme, je l’ai connu, nous étions devenus amis, et il était fondamentalement bon.

Bernard Guetta est député européen Renew.