« La présidentielle de 2027, j’y participerai d’une manière ou d’une autre. Ensuite, ce sera une question de capacité, de circonstances et d’envie», confie David Lisnard. François BOUCHON/Le Figaro

Politique

Le maire LR de Cannes et président de l’Association des maires de France cache de moins en moins son ambition nationale. Ni sa volonté de peser dans le débat de la prochaine présidentielle en 2027.

Le Figaro - 21 octobre 2022 - Par Emmanuel Galiero et Marion Mourgue

Il parle vite, il bouillonne d’envies mais David Lisnard procède par étapes. Pour imposer sa marque Nouvelle Énergie et ses idées. «Bien sûr qu’il faut penser à 2027. C’est là que se jouera l’alternance, mais sans s’y projeter de façon egocentrée. Je m’engage pour faire avancer les principes auxquels je tiens.» Le cap du maire de Cannes, qui est aussi le slogan de son parti, tient sur trois piliers: «La liberté, l’ordre et la culture», sources de «création, justice et humilité».

En juin 2021, quand il réactive Nouvelle Énergie à Paris, il promet un projet moderne et enraciné, capable de former un «agenda de gouvernement». «Je me sentais orphelin d’offre politique, je deviens porteur d’idées. C’est passionnant et cela change tellement des écuries personnelles», expliquait-il alors, en vantant les vertus du pragmatisme. Pourtant, l’infatigable élu des Alpes-Maritimes donne l’impression de se préparer un avenir et d’organiser ses réseaux. «La présidentielle de 2027, j’y participerai d’une manière ou d’une autre», déclarait-il au Figaro le 30 septembre. Avant de se reprendre: «Ensuite ce sera une question de capacité, de circonstances et d’envie.» C’est bien tout le mystère Lisnard.

«Une valeur montante pour la droite»

Si beaucoup s’interrogent sur ses projets, nombre d’élus de son territoire n’ont aucun doute sur ses ambitions nationales. «Évidemment, David Lisnard est une valeur montante pour la droite à venir», estime le maire d’Antibes Jean Leonetti, avant de souligner le score de son voisin cannois aux dernières municipales: 88,08 % des suffrages dès le premier tour du scrutin. Sur ce même secteur cannois, Alexandra Martin, qui fut sa directrice de cabinet à l’agglo Cannes-Lérins et la secrétaire générale de son mouvement, s’est qualifiée dans la foulée aux législatives avec 69,27 % des voix. «Il est clairement perçu comme un élu armé d’un fort potentiel, apte à se construire un bel avenir», confie le député LR Éric Pauget (Alpes-Maritimes). Mais David Lisnard en aura-t-il envie? «On me dit toujours l’envie, l’envie, il faut avoir envie… Mais je suis un adulte confirmé, répond-il. Il faut de la vitalité, c’est bergsonien, l’énergie vitale, c’est une évidence, mais on ne fait pas les choses que pour ses envies. On les fait parce qu’on a l’impression d’être à la bonne place pour apporter quelque chose.» Raison pour laquelle il a décidé de ne pas se présenter, dit-il, à la présidence des Républicains.

À droite, son choix n’a pas forcément été compris. «Il se serait déclaré dès juin, il aurait été élu, il aurait ringardisé Ciotti et Retailleau», juge un parlementaire LR surpris. «Avoir le parti, même à 5 %, c’est pouvoir garder la main sur l’agenda et le calendrier pour la désignation du candidat à la présidentielle», expose un autre. «Il a de l’ambition, mais David a refusé l’obstacle deux fois, y compris pour la course à la présidence des Républicains. Et forcément, ça interroge», glisse un élu local, en se demandant si cela ne cache pas un refus d’affronter Éric Ciotti, l’homme fort du département et candidat à la présidence LR.

D’autres observateurs locaux reconnaissent que la tentation de lâcher la proie de l’AMF pour l’ombre de la présidence LR aurait pu décevoir de nombreux maires. Certains élus lui ont aussi fait comprendre qu’il était compliqué de cumuler la présidence d’une association «transpartisane» et celle d’un parti, par définition très engagé. Quant à la primaire de la droite à l’automne dernier, David Lisnard y a longuement réfléchi et beaucoup hésité. «On n’est jamais à l’abri d’une victoire, avance-t-il aujourd’hui pour expliquer sa décision, je me rendais compte qu’à ce moment-là je n’étais pas assez disponible. Je voulais honorer mon engagement, totalement bénévole, à l’AMF, et à Cannes.» Mais quand on laisse entendre qu’il se serait débiné, le soupçon pique son orgueil. «Je n’ai pas refusé les obstacles, je choisis les obstacles!», se redresse-t-il, tout en faisant comprendre que lui aussi sait faire durer parfois le suspense pour mieux susciter la curiosité médiatique.

J’ai de l’ambition politique depuis que je suis gamin. Je voulais être maire de Cannes au lycée, et, en seconde, je faisais des sondages

David Lisnard

David Lisnard est le premier à reconnaître qu’il lui faut encore progresser. Il dit avoir toujours besoin d’un «temps de maturation» avant de se lancer dans une voie. Même si certains rêves sont nés très tôt. «J’ai de l’ambition politique depuis que je suis gamin. Je voulais être maire de Cannes au lycée, et, en seconde, je faisais des sondages», raconte l’élu, fortement impliqué dans ses missions locales et ses engagements au sein de l’Association des maires de France (AMF). Il a gagné cette présidence dans les pas de François Baroin, à l’issue d’une campagne très difficile, compliquée par l’adversité des manœuvres macroniennes.

«Il veut être président de la République. Il a ça dans un coin de sa tête», maintient l’un de ses amis politiques qui se souvient de la résonance nationale d’une tribune signée de sa main contre la bureaucratie française, publiée dans les colonnes du Figaro, en novembre 2020. «Cet événement lui a subitement offert une notoriété assez considérable qui l’a étonné. À ce moment-là, avec sa belle gueule et son bon âge, il s’est mis à penser à la primaire.» Un peu trop vite, jugent certains élus. «C’est un peu prématuré, tempère un parlementaire LR. David doit encore faire ses preuves, car les candidats qu’il a soutenus aux législatives sous l’étiquette Nouvelle Énergie n’ont pas eu de résultats mirobolants. Mais, qui sait? Tout peut arriver en politique. Il pourrait émerger un jour, notamment si Laurent Wauquiez décidait de ne pas aller à la présidentielle…»

Ambition assumée

Une chose est sûre: David Lisnard s’est installé dans le paysage médiatico-politique. Mais sans dissiper cette interrogation: de quelle manière comptera-t-il? Et justement, sera-t-il aussi déterminé qu’un Laurent Wauquiez ou un Xavier Bertrand? L’intéressé l’assure: il n’y aurait chez lui aucun arrivisme, ni plan de carrière. Mais une ambition totalement assumée. «Cela veut dire qu’il n’y a pas de limite à cette ambition», appuie-t-il. «Il faut ouvrir le champ des possibles», glisse-t-il en citant Bourdieu. Ce qu’il aime c’est «joindre le déductif et l’inductif, le constat et la théorie». «C’est pour ça que le mandat de maire est magnifique, c’est un mandat de praticien», insiste-t-il.

À la tête des Maires de France, il se familiarise avec les subtilités de l’association et n’est la cible d’aucune critique virulente. Chacun comprend qu’il «fait le job». D’ailleurs, David Lisnard y est heureux. «Il faut déployer beaucoup d’énergie, mais je m’y sens très bien. C’est très chronophage et totalement bénévole, mais j’adore le contact avec le terrain, sourit-il, multipliant les déplacements et les rencontres dans toute la France. Je m’entends très bien avec tous les maires, qu’ils soient ruraux, urbains, de gauche, de droite, les ‘‘en même temps’’ et les ‘‘nulle part’’… Pas un seul ne défend un système centralisé à la soviétique.»

David est plutôt rapide. C’est un réactif. Du coup, il lui arrive de se précipiter un peu

André Laignel, vice-président socialiste de l’AMF

À ses côtés, le vice-président de l’AMF, André Laignel, le juge plus libéral que son prédécesseur François Baroin et retient aussi une différence «d’expérience politique» et de «tempérament» entre les deux hommes. «David est plutôt rapide. C’est un réactif. Du coup, il lui arrive de se précipiter un peu», confie amicalement le compagnon socialiste avec lequel le président de l’AMF entretient une confiance réciproque.

«Syndrome de l’imposteur»

Au fond, rien ne prédestinait ce fils de footballeur professionnel, en deuxième division à Limoges, devenu commerçant, et d’une danseuse étoile à embrasser une carrière publique. Ce gros bosseur, perfectionniste, qui doute beaucoup en a gardé parfois le «syndrome de l’imposteur». Diplômé de Sciences Po Bordeaux, grand lecteur, truffant ses interventions de citations d’auteurs et de philosophes, David Lisnard est pourtant aussi à l’aise sur le tapis rouge de la Croisette qu’auprès des employés des usines qu’il visite ou avec les élus qu’il côtoie. Il en a aussi retiré son identité de libéral voulant associer «une vision du pays, des principes et de l’exécution des choses pour aller dans le détail. Je n’ai jamais été un idéologue».

Les questions techniques, budgétaires, ne le rebutent pas. Bien au contraire. «À Cannes, je baisse la dette tous les ans. Toutes les structures dont je me suis occupé, je les ai désendettées», s’enorgueillit David Lisnard. Il a d’ailleurs adoré gérer un syndicat d’eau. «Je l’ai rendu sans dette avec un prix de l’eau 30 % moins cher que le prix national», assure-t-il.

Je n’imagine pas que David Lisnard n’ait pas, à un moment donné, une ambition plus importante, parce qu’il a la volonté et le talent pour la développer

Jean Leonetti, maire d’Antibes

Aujourd’hui, Cannes est son terrain d’expression, son laboratoire d’expériences. On l’a vu déployer une ribambelle d’initiatives durant la crise sanitaire, ce qui lui a permis de trouver une tribune médiatique très puissante pour dénoncer les absurdités d’un État centralisé et souligner à l’inverse l’efficacité de ses dispositifs municipaux. «Ce furent ses faits d’armes même si parfois, il s’est laissé griser dans une sorte de surenchère des mesures, au nom de la lutte contre le Covid, face à son rival de Nice, Christian Estrosi. Il a même imaginé des drones dans les rues lançant des messages aux habitants, de la javel sur les portes des magasins ou sur le sable…», raconte un témoin, amusé, alors que la mairie, de son côté, a toujours considéré que cette histoire de javellisation était une «fake news» répandue, selon elle, par les macronistes. Finalement, au-delà des réussites ou des tentatives malheureuses, toute l’énergie déployée à Cannes est à l’image d’un élu pragmatique, concentré sur un objectif, prêt à mobiliser tous les moyens pour réussir. Jusqu’aux photos et aux selfies sur les réseaux sociaux. «On dit que c’est le nouveau génie. À part prendre des photos des couchers de soleil et de son bureau, c’est quoi son programme?», ironise un ex-LR. Son collègue Jean Leonetti le redit: «Je n’imagine pas que David Lisnard n’ait pas, à un moment donné, une ambition plus importante, parce qu’il a la volonté et le talent pour la développer.»

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David Lisnard, marathonien, n’a jamais dormi beaucoup. L’ancien porte-parole de François Fillon avait pris l’habitude d’échanger avec Emmanuel Macron, quand celui-ci était à Bercy. Il en est vite revenu, percevant dans l’actuel président «un manque de convictions, de constance et beaucoup de duplicité entre ce qu’il dit en public et ce qu’il a pu dire en privé». Et si certains l’ont encouragé à rentrer au gouvernement, lui s’y est toujours refusé. «Macron, c’est de la séduction, pas de la conviction», juge-t-il.

Sur le papier, comme le glissent certains élus LR, «David Lisnard coche toutes les cases». «Et si c’était lui?», s’interrogent certains de ses amis. «Je ne me suis jamais posé la question», affirme-t-il catégorique, tout en s’avouant séduit par la «transgression légitime» du général de Gaulle, de Nicolas Sarkozy ou d’Emmanuel Macron. Sans craindre la rudesse des combats politiques, comme celui qui l’oppose violemment aujourd’hui à Renaud Muselier, président de la région Sud Paca, David Lisnard avance, en brandissant les promesses tenues comme une obligation. «Car si un jour j’ai des ambitions nationales, promet-il, au moins, j’aurais respecté mes engagements