Retraites

Le ministre du Travail détaille, dans une interview aux « Echos », les enjeux du deuxième cycle de concertation sur les retraites, consacré à l'équité, qui s'ouvre ce mardi. Même si le premier n'est pas formellement terminé, trois mesures « incontournables » s'en dégagent, annonce-t-il.

Les Echos - 14 novembre 2022 - Par Alain Ruello, Étienne Lefebvre, Solenn Poullennec

Minimum de pension, régimes spéciaux, convergence public-privé ou contribution des retraités… Le cycle 2 de concertation en vue de la réforme des retraites, consacré à l'équité et à la justice sociale, s'ouvre ce mardi avec les partenaires sociaux. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt en détaille les enjeux dans une interview aux « Echos ».

Même si le premier n'est pas formellement terminé, trois mesures « incontournables » s'en dégagent, annonce-t-il : index senior ou équivalent, droit à reconversion pour les salariés les plus exposés, prise en compte de certains facteurs de pénibilités.

Vous ouvrez ce mardi le deuxième round de négociation sur les retraites. Quel bilan en faites-vous à ce stade ?

olivier dussopt verticalLe climat est bon. Tous les partenaires sociaux ont participé au premier cycle, sauf la CGT du fait des conflits dans les raffineries mais elle nous a fait part de sa volonté de participer au deuxième cycle.

Sans réforme, les retraités s'appauvriront et leur niveau de vie décrochera

Je regrette néanmoins qu'on ait parfois du mal à sortir des affirmations de principe plutôt que d'aller sur des propositions opérationnelles. C'est pour cela que l'ouverture du deuxième cycle ne ferme pas le premier et qu'on va continuer à avancer concrètement sur l'emploi des seniors et la prévention de l'usure professionnelle.

Je regrette également que le diagnostic ne soit pas davantage partagé. Or, sans réforme, les retraités s'appauvriront et leur niveau de vie décrochera.

Quelles mesures incontournables retenez-vous à ce stade sur l'emploi des seniors et la pénibilité ?

J'en vois trois. Il nous faut d'abord trouver un outil de mesure et de pilotage de l'emploi des seniors. Pour eux, le taux de chômage est plus bas que celui de la population générale mais lorsqu'ils perdent leur emploi, ils restent plus longtemps au chômage. D'où l'intérêt d'un outil pour inciter à l'emploi des seniors. Cela pourrait être un index .

Doit-on avoir un indicateur par entreprise, par branche ? Je suis très ouvert sur le sujet et souhaite en faire un véritable objet de dialogue social.

Les seniors doivent pouvoir donner un nouveau souffle à leur carrière

Le patronat ne veut pas d'index senior…

Notre objectif, c'est d'inciter et de mesurer les efforts faits en faveur de l'emploi des seniors, pas de nous inscrire dans la coercition. L'index pourrait être obligatoire sans être accompagné de sanction.

Quelles sont les deux autres mesures incontournables ?

On doit aller vers un droit au congé de reconversion pour les salariés les plus exposés à l'usure professionnelle. Prévenir la perte d'emploi ou l'usure professionnelle passe par la formation. Or, l'investissement des entreprises en faveur des plus de 50 ans est deux fois moins important que celui en faveur des autres salariés. Certains pays, comme le Danemark, vont très loin en la matière. Les seniors doivent pouvoir donner un nouveau souffle à leur carrière.

Troisième proposition enfin : la prévention de l'usure professionnelle et la prise en compte de certains facteurs de pénibilité dits « ergonomiques ».

Le port de charges lourdes, les postures pénibles et les vibrations mécaniques ne sont plus intégrés depuis 2017 dans le compte pénibilité…

Pour ces trois critères, on voit bien qu'une analyse de l'exposition détaillée de chaque individu n'est ni efficace ni praticable par les entreprises. Il faudrait avoir une approche collective, sans doute à partir des branches. On pourrait par exemple tenter de définir les situations pénibles au niveau des métiers pour tenir compte des tâches effectuées. Il ne faut pas se contenter d'une approche par secteur d'activité car cela risquerait de recréer des régimes spéciaux.

Faut-il revoir la durée d'indemnisation chômage de 36 mois au-delà de 55 ans ?

Ce sujet relève de la réforme de l'assurance-chômage même si un lien peut être fait avec la réforme des retraites. Certaines entreprises voient en effet cette durée d'indemnisation comme un moyen de se délester de salariés âgés à trois ans de leur retraite. Cela ne peut pas durer. La réforme de l'assurance-chômage, qui va faire évoluer la durée d'indemnisation en fonction de l'état du marché du travail, va déjà avancer sur ce sujet puisqu'elle s'appliquera à tous, seniors comme non seniors.

Faut-il recréer un contrat de génération ?

Attention à cette idée simpliste, qui veut que dès que l'on approche de la retraite, on a de la compétence à transmettre et qu'on peut devenir formateur, tuteur ou mentor. Ce ne sera pas le cas de tout le monde.

Vous aviez évoqué la nécessité de compenser la perte de revenu en cas de reprise d'un emploi moins bien payé. Le dispositif d'activité réduite permet déjà de cumuler allocation et salaire…

Création d'une assurance-salaire, réforme de l'activité réduite… quel qu'en soit le nom, l'objectif de la proposition est d'inciter un demandeur d'emploi senior à retrouver une activité avec un niveau de salaire proche du précédent. La mesure que l'on vise pourrait davantage trouver sa place dans le cadre de la réforme de l'assurance-chômage.

Faut-il baisser les cotisations pour encourager l'emploi des seniors ?

A ce stade, nous n'écartons rien de manière définitive, nous regardons cette demande des organisations d'employeurs. Toutefois il faut convenir que les cotisations sont déjà très faibles sur les bas salaires, et que les exonérations touchent un peu leurs limites.

Faut-il modifier l'âge de mise en retraite d'office ?

La priorité doit être de donner de la liberté à chacun. Si l'on recule l'âge de départ, ce ne serait pas incongru de reculer l'âge de mise à la retraite d'office dans le public, où il est à 67 ans pour les fonctionnaires n'ayant pas d'âge anticipé comme dans le privé, où il est à 70 ans.

La retraite progressive pourrait-elle être étendue aux fonctionnaires ?

Pourquoi pas mais les modalités doivent être instruites car il ne faut pas recréer les cessations progressives d'activité qui existaient il y a vingt ans et qui conduisaient à mettre des agents sur la touche.

Mais nous souhaitons aussi favoriser le cumul emploi retraite, qui devra permettre de créer des droits supplémentaires à la retraite. Certains plaident pour un droit d'option entre travailler sans cotiser et cotiser pour se créer de nouveaux droits. Ce point demande à être expertisé.

Pourra-t-on toujours partir en retraite progressive à 60 ans, si l'âge légal de départ est décalé ?

Quand on décale l'âge d'ouverture des droits, il est logique que les paliers soient décalés d'autant. Je vois cependant deux exceptions. Nous ne souhaitons pas décaler l'âge de suppression de la décote qui est à 67 ans. Ce serait injuste pour les quelque 120.000 personnes qui partent à 67 ans chaque année. Beaucoup sont des femmes qui ont connu des carrières hachées.

Nous ne souhaitons pas non plus modifier les bornes d'âge qui permettent un départ à la retraite à taux plein pour les assurés invalides ou inaptes à 62 ans et pour les travailleurs handicapés à 55 ans.

L'âge de départ des catégories actives de la fonction publique va-t-il aussi évoluer ?

Par le passé, lorsque l'âge légal a augmenté, cela a été le cas. En revanche, la question de la durée minimum de service actif à valider pour faire valoir ce droit au départ est posée, sachant qu'il y a une demande de stabilité de la part des organisations syndicales dans le cadre de la concertation conduite par mon collège ministre chargé de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini.

Comment va évoluer le dispositif carrières longues qui permet de partir en retraite plus tôt quand on a commencé à travailler tôt ?

La logique serait aussi celle du glissement si l'âge de départ est décalé. Mais nous ne souhaitons pas que des hommes et des femmes, qui ont par exemple commencé à travailler à 16 ou 17 ans ou avant, soient amenés à travailler jusqu'à ce nouvel âge. Nous réfléchissons à la manière de répondre à ces situations.

Le dispositif des carrières « super longues », qui permet aujourd'hui de partir à 58 ans à condition d'avoir travaillé avant 16 ans, pourrait être adapté à cette fin.

Comment abordez-vous le cycle 2 de la concertation sur l'équité et la justice sociale ?

Avec un grand esprit d'ouverture, comme pour le premier cycle, en souhaitant que les partenaires sociaux continueront d'être force de propositions. La question de la retraite minimale est évidemment un sujet clé que nous portons.

Sur les régimes spéciaux, nous privilégions la clause du grand-père

L'engagement présidentiel porte sur un minimum de 1.100 euros de pension pour un salarié ayant suffisamment cotisé. Avec l'inflation, faut-il revoir ce montant à la hausse ?

Au vu de l'inflation et de la revalorisation du SMIC, nous comptons aller au-delà de 1.100 euros. Ce que nous portons c'est en fait une retraite minimum pour une carrière complète autour des 85 % du SMIC net. C'est important car certains pointent à juste titre la nécessité d'avoir un écart suffisant entre le minimum vieillesse (953 euros pour une personne seule aujourd'hui) et la retraite minimale, afin de valoriser le travail.

En mettant en oeuvre la promesse du président de la République, on permettra à environ 25 % des nouveaux retraités - et plus souvent des femmes - d'avoir une pension plus élevée.

Quels régimes spéciaux seront concernés par la réforme ?

Les régimes spéciaux d'entreprises ou de branches, tels que ceux des industries électriques et gazières, de la RATP, voire celui de la Banque de France. Le périmètre doit être discuté dans la concertation. Avec un objectif d'équité, tout en tenant compte des contrats sociaux de ces entreprises.

Nous privilégions ainsi la clause du grand-père, sur le modèle de la réforme de la SNCF, qui a fermé l'accès au régime spécial pour les nouveaux agents. Une question sur la table sera de savoir s'il s'agit de supprimer l'accès à ces régimes spéciaux, qui couvrent différents risques sociaux, ou uniquement l'affiliation à la retraite.

Par ailleurs, je ne doute pas que la question du régime de l'Assemblée nationale et du Sénat sera abordée dans le cadre du débat parlementaire.

Ecartez-vous certains régimes de la réforme ?

Oui. Le régime des marins ne sera par exemple pas concerné, de même notamment que ceux des danseurs de l'Opéra de Paris et de la Comédie française, pour lesquels l'âge de mise à la retraite est bas car ils concernent des métiers très particuliers qui usent les corps.

A partir de quelle date l'accès aux régimes spéciaux sera-t-il coupé ?

Le calendrier devra être abordé avec les entreprises concernées. Une nouvelle affiliation peut nécessiter de revoir les assiettes de cotisations, voire les grilles de rémunération et de progression salariale.

Le climat social est tendu à la RATP ainsi que chez EDF, ne craignez-vous pas des grèves et des blocages durables ?

Je ne sous-estime pas les risques de tension, surtout dans les secteurs où la capacité de mobilisation est forte. La perspective d'une augmentation de l'âge de départ peut susciter des inquiétudes ou des réticences, et c'est normal. Mais je rappelle que les statuts actuels de la RATP et d'EDF prévoient d'ores et déjà une augmentation de l'âge de départ et de la durée de cotisation.

Notre objectif, c'est le retour à l'équilibre, et c'est déjà une sacrée « remontada » qu'il faut faire !

J'ai aussi la conviction que les Français comprennent que la réforme est inéluctable. Tous les pays qui nous entourent ont fixé des caps à 65 ou plus. Sauver notre système et le niveau de pensions de nos retraités n'est pas une option. C'est une obligation à laquelle nous ne pouvons échapper.

Je regrette d'ailleurs que dans nos discussions avec les partenaires sociaux, les difficultés financières soient sous-estimées. Dans l'hypothèse médiane du Conseil d'orientation des retraites, et même si nous sommes au plein-emploi, le déficit sera proche de 15 milliards en 2030 et continuera de croître ensuite.

Les oppositions, à gauche notamment, vous reprochent de vouloir financer d'autres dépenses que les retraites…

Soyons clairs : pas 1 euro de cotisation retraite ne financera autre chose que les retraites. Notre objectif, c'est le retour à l'équilibre, et c'est déjà une sacrée « remontada » qu'il faut faire !

En revanche, si l'on gagne le pari de la réforme et de l'emploi des seniors, immanquablement nous produirons plus de richesses, et donc de recettes fiscales et sociales pour les autres branches de la Sécurité sociale.

Faut-il mettre à contribution les retraités eux-mêmes, notamment les plus aisés ?

C'est un débat que l'on n'a pas ouvert et que l'on ne souhaite pas ouvrir. Je garde en mémoire l'épisode de la hausse de la CSG sur les retraités lors du précédent quinquennat…

Allez-vous mettre sur la table les inégalités hommes-femmes, les droits familiaux ou encore les pensions de réversion ?

Sur les droits familiaux, mon sentiment est que l'on part d'une situation plutôt équilibrée aujourd'hui. Concernant les pensions de réversion, il reste des injustices à corriger. Un exemple : les orphelins y sont éligibles dans la fonction publique, pas au régime général. Nous aborderons aussi la question des inégalités entre les femmes et les hommes, même si elles résultent d'abord des inégalités de carrière et de salaires, et que c'est à ce niveau que nous devons continuer à agir en priorité.

Plus généralement, cette réforme doit-elle permettre une nouvelle étape de convergence entre régimes public et privé ?

Autre temps, autre réforme. Nous ne visons pas comme en 2019-2020 la création d'un régime universel, même si je suis persuadé que cela reste un chemin d'avenir.