Collectivités locales

«Depuis de nombreuses années, je dis et redis à quel point le social étatisme amplifie les maux de notre époque et notamment le déclassement français, en déresponsabilisant les plus méritants, en flattant les opinions et en stimulant les réflexes clientélistes»

L'Opinion - 9 novembre 2022 - Par David Lisnard

Avec cette contribution, David Lisnard lance un nouveau rendez-vous bi-mensuel dans l’Opinion.

Les projets de loi de finances de la Nation pour l’exercice 2023 et de programmation des finances publiques 2023-2027 sont en plein examen parlementaire. Et chaque jour nous indique qu’il ne s’agit pas d’un long fleuve tranquille, dans une Assemblée nationale sans majorité absolue, où les députés proches du pouvoir semblent sans réelle cohérence et les oppositions peuvent s’unir pour faire passer une disposition ou s’opposer à l’exécutif, mais aussi se désunir au sein même de chacune de leurs composantes.

Dans ce maelström législatif et politique, aux enjeux économiques et sociaux majeurs, tout (et son contraire) peut être affiché, à la fois en objectifs d’assainissement des finances publiques comme de dépenses budgétaires supplémentaires. Ce en-même-tempisme est à son apogée de même que la collectivisation de l’économie de notre pays, avec des prélèvements obligatoires, une dépense publique et un déficit de l’Etat records. Depuis de nombreuses années, je dis et redis à quel point le social étatisme amplifie les maux de notre époque et notamment le déclassement français, en déresponsabilisant les plus méritants, en flattant les opinions et en stimulant les réflexes clientélistes.

Gabegie. Dans ce contexte, les collectivités territoriales sont accusées simultanément soit d’être assises sur un tas d’or constitué de leur épargne de fonctionnement, soit au contraire d’être des symboles de gabegie, très coûteuses pour la Nation.

«Les dotations ne sont pas des subventions de l’Etat, elles ne sont pas un don, mais un dû. Car elles sont la contrepartie à l’euro près soit de la nationalisation d’une fiscalité jusqu’alors locale, soit d’un transfert de charges relevant de l’Etat vers les collectivités»

Alors, comme toujours dans de pareilles circonstances, il est primordial de remettre l’église au centre du village, en l’occurrence la mairie au centre de l’espace public. Face aux velléités gouvernementales ou de certains parlementaires de rogner sur les dotations par leur non-indexation ou d’encadrer les dépenses des collectivités, remettons les choses dans leur exactitude :

Il s’agit d’abord d’une erreur juridique et même éthique. Les collectivités territoriales ne sont pas un problème pour les comptes de la nation puisque, la loi les y oblige, contrairement à l’Etat qui emprunte pour son fonctionnement, elles établissent nécessairement des budgets de fonctionnement excédentaires. Les dotations ne sont pas des subventions de l’Etat, elles ne sont pas un don, mais un dû. Car elles sont la contrepartie à l’euro près (constant) soit de la nationalisation d’une fiscalité jusqu’alors locale, soit d’un transfert de charges relevant de l’Etat vers les collectivités, donc des recettes les accompagnant. C’est en cela que le juridique et l’éthique se rejoignent pour que le principe constitutionnel (article 72) de libre administration des collectivités, essentiel à la vie démocratique, ne soit plus bafoué allègrement par l’Etat au gré de son addiction prédatrice financière.

L’erreur est empirique. Car il est de constat permanent que lorsque le pouvoir central tombe dans la facilité de puiser dans les recettes censées revenir aux collectivités territoriales, il s’exonère lui-même des efforts qu’il demande aux autres. Plus l’Etat a prélevé dans les finances locales pour ses besoins, plus son propre déficit s’est accentué. Depuis 2014, 46 milliards d’euros ont ainsi été piochés dans les budgets des collectivités par un Etat dont le déficit est reparti à la hausse depuis 2018, soit avant la Covid. Ce qui est d’autant plus pernicieux que les excédents de fonctionnement des collectivités territoriales améliorent la présentation à Bruxelles des comptes publics de la France.

L’erreur est aussi économique. Au-delà des difficultés rencontrées à l’échelle « micro », c’est-à-dire aujourd’hui par chaque commune et intercommunalité du fait del’inflation qui les pénalise lourdement – l’étude de la Banque postale en fait foi –, la désindexation des dotations générera au plan macro-économique un effet récessionniste. L’hypothèse de croissance en 2023 retenue par le gouvernement est de 1 %. Ce chiffre faible sera revu à la baisse si les collectivités territoriales, qui ne représentent en France que 19 % du total de la dépense publique (contre une moyenne européenne proche de 40 % selon le degré de décentralisation) mais assument plus de 70 % du total de l’investissement public, se voient privées de leur capacité d’autofinancement en raison de l’effet de ciseaux de la dynamique des charges qu’elles subissent et de l’atonie de leurs ressources.

«Une réelle réforme institutionnelle des pouvoirs publics est impérative, afin de préciser les missions de l’Etat et d’améliorer ses performances, de procéder à une remise en ordre profonde de notre système social qui est le plus coûteux du monde et de moins en moins protecteur des personnes en difficulté tout en pénalisant les classes moyennes, et de proposer une véritable décentralisation»

Ne pas garantir en euros constants les recettes supposées appartenir aux collectivités via le produit du résidu de fiscalité locale et surtout des dotations qui s’y sont substituées, remettra en cause leur vertu contracyclique de soutien à l’activité en période de difficulté, et donc générera un effet récessionniste.

L’erreur serait enfin pratique, en affaiblissant les derniers services publics de proximité à fonctionner, ce qui accentuerait les fractures géographiques et sociales, donc amplifierait la crise civique qui ronge notre pays et le rend explosif.

Ces erreurs, qui résultent de la facilité du social-étatisme, deviendront une faute politique si nos dirigeants nationaux persistent dans le conformisme de leurs réflexes centralisateurs. Au-delà de ce budget 2023, il convient d’établir une vraie subsidiarité, source de créativité et de dignité. Une réelle réforme institutionnelle des pouvoirs publics est impérative, afin de préciser les missions de l’Etat et d’améliorer ses performances, de procéder à une remise en ordre profonde de notre système social qui est le plus coûteux du monde et de moins en moins protecteur des personnes en difficulté tout en pénalisant les classes moyennes, et de proposer une véritable décentralisation.

Par la liberté et donc la responsabilité locale d’élus de proximité eux-mêmes habitants mandatés par les habitants, une telle dynamique permettrait de débureaucratiser puis de défiscaliser notre pays. Performance publique et sens collectif pourraient ainsi se rejoindre ; et une nouvelle espérance naître. En attendant, le corps à corps budgétaire continue. Ainsi va la France.

David Lisnard est maire LR de Cannes et président de l’Association des maires de France.