Le ministre des Affaires étrangères taïwanais Joseph Wu. (Capture écran vidéo CNN)

International

Joseph Wu, ministre des Affaires étrangères taïwanais, craint que le ralentissement économique chinois pousse Xi Jinping à envahir l'île. Il explique comment le pays compte renforcer sa défense.

Les Echos - 22 novembre 2022 - Par Lucie Robequain

Taïwan ne veut pas la guerre mais elle s'y prépare. Les dernières semaines ont vu Xi Jinping durcir ses positions, à l'occasion du congrès du Parti communiste chinois puis du G20 qui s'est déroulé à Bali la semaine dernière .

« Il va accentuer la pression sur tous les pays du monde pour qu'ils s'éloignent de Taïwan et n'interfèrent pas dans le conflit entre les deux pays », explique le ministre des Affaires étrangères taïwanais Joseph Wu qui nous reçoit dans ses locaux, à quelques pas du palais présidentiel de Taipei. Depuis 2016, 8 nouveaux pays ont effectivement rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan, sous la pression de Pékin (Burkina Faso, Salvador, Nicaragua, etc.). Seuls 14 reconnaissent encore l'île comme un Etat souverain (Guatemala, Paraguay, etc.).

La visite cet été de la présidente de la Chambre des représentants américaine, Nancy Pelosi, n'a-t-elle pas contribué à mettre de l'huile sur le feu, provoquant d'importantes manoeuvres militaires chinoises ? « Non, nous lui sommes au contraire extrêmement reconnaissants. Les Taïwanais étaient nombreux à suivre sa délégation le long des rues en brandissant des panneaux de remerciement. La Chine tente de nous isoler. Quiconque prend la parole pour nous soutenir est bienvenu. »

Xi Jinping fait d'autant plus peur qu'il agit largement seul : « Il est déterminé à ne plus travailler qu'avec une poignée de personnes. Il est donc voué à faire des erreurs. Quand on refuse la contradiction, on fait forcément des erreurs », poursuit Joseph Wu.

Le ministre ne se risque pas à faire le moindre pronostic sur quand, ni comment Pékin pourrait lancer une potentielle offensive. « Ce qui m'inquiète le plus est la situation économique de la Chine. Avec la politique « zéro Covid », sa croissance va ralentir et la contestation sociale s'aggraver. On pourrait penser que c'est une bonne nouvelle pour Taïwan mais c'est l'inverse : Xi Jinping sera tenté de provoquer une crise à l'étranger pour faire oublier ses déboires internes ».

Le président chinois est-il même capable de prendre des décisions rationnelles, compte tenu de son isolement ? « C'est la question que tout le monde se pose ici. A moins de travailler au sein du gouvernement chinois, il est impossible de savoir ce qui s'y passe. La seule certitude est qu'il est en train de muscler sa défense militaire ».

C'est ce à quoi s'emploie également Taïwan . « C'est notre priorité. Il faut que nous dissuadions la Chine de nous agresser. Nous avons le devoir de nous défendre nous-mêmes, sans quoi nous n'avons aucun droit de demander le soutien de nos alliés étrangers. » Le ministre le reconnaît : « Le manque d'entraînement de l'armée de réserve a longtemps été un problème. On travaille dur pour le résoudre. » Le service militaire, qui ne dure pas plus de quatre mois, pourrait bientôt passer à un an. Les dépenses militaires, quant à elles, augmenteront de 14 % l'an prochain pour atteindre un peu plus de 2 % du PIB. Un niveau que nombre d'experts jugent encore très insuffisant.

Modèle ukrainien de défense

Taïwan, qui ne compte que 160.000 militaires de réserve, s'inspire surtout du modèle ukrainien pour bâtir une défense civile. Une agence de mobilisation de la défense a été montée par le gouvernent pour coordonner les efforts des ONG, des collectivités locales et de l'Etat. « Notre défense décentralisée commence à se structurer. Nous essayons d'acquérir des armes légères et mobiles que nous utiliserons si les Chinois envahissent nos côtes », explique Joseph Wu. « Les Ukrainiens prouvent que la guerre asymétrique, ça marche ». Des partenariats ont également été noués avec certains pays européens pour apprendre de leur expérience en matière de défense civile.

L'issue du conflit ukrainien est tout aussi décisive. « Si les Russes parviennent à annexer des parties du pays, cela encouragera l'hégémonisme des régimes autoritaires ailleurs dans le monde. La Chine surveille aussi avec la plus grande attention l'attitude des Occidentaux : s'ils restent unis contre la Russie, elle sera fortement dissuadée d'envahir Taïwan ».

L'enjeu est mondial, rappelle Joseph Wu : Taïwan produit plus de 60 % des semi-conducteurs dans le monde et la quasi-totalité (90 %) des plus sophistiqués, qui composent nos smartphones par exemple. Si le pays stoppe sa production, c'est l'ensemble de l'économie mondiale qui s'effondrera, fait-il valoir : « La crise des approvisionnements pendant le Covid n'est rien à côté de ce que l'on vivrait alors ».

Dans l'hypothèse où la Chine se démocratiserait, dans dix ou vingt ans, serait-il possible d'envisager l'unification des deux pays ? Non, répond sans hésiter le ministre : le principe « d'un pays, deux systèmes » ne sera jamais dans l'intérêt de Taïwan, ni maintenant ni plus tard. « La répression à Hong Kong depuis 2019 ne fait que confirmer ce que l'on savait déjà : on ne peut jamais croire aux promesses chinoises ».