Tribune

D’où vient cette complicité avec les techno-conformistes adeptes de fusions, de « schémas directeurs », de gros machins désincarnés et bureaucratiques à la place de communes légitimes par leur intériorité historique et leur cohérence géographique, efficaces par leur action publique pragmatique, et, pour tout cela, populaires ?

L'Opinion - 23 novembre 2022 - David Lisnard dans " Ainsi va la France"

Alors qu’a lieu le congrès des maires et présidents d’intercommunalités organisé Porte de Versailles par l’AMF sur le thème « Pouvoir agir », plus grand rassemblement d’élus locaux regardé souvent avec envie et intérêt par le reste du monde, j’adresse ces quelques mots à ceux de mes amis libéraux qui se complaisent dans la critique paresseuse de la singularité communale française ; et se font en cela les idiots utiles du techno-étatisme.

Récemment, une ex twitto-gloire libérale écrivait qu’il serait temps de « diviser par trois le nombre de communes », « réforme ambitieuse de l’action publique ». Tel éditorialiste de talent, dans un quotidien économique, forcément sérieux donc, se laissait aller à un réflexe pavlovien sur « ces maires qui dépensent pour des ronds-points ». J’ignore d’où vientcette rond-pointophobie mondaine, qui ne voit dans nos giratoires que leur décoration – souvent kitch il faut l’avouer – et pas des aménagements qui ont sécurisé les croisements, contribuant de façon efficace à diviser par quatre le nombre de morts sur les routes.

Lire aussi Le gouvernement s'apprête à décorseter les dépenses des collectivités

Pensée fausse. J’ignore aussi d’où vient cette grave et totale méconnaissance du modèle communal français, pourtant pertinent et performant. D’où vient cette pensée fausse, qui relève de la croyance selon laquelle, comme il y a plus de communes que dans les autres pays européens, cela coûterait cher ? D’où vient finalement cette complicité avec les techno-conformistes adeptes de fusions, de « schémas directeurs », de gros machins désincarnés et bureaucratiques à la place de communes légitimes par leur intériorité historique et leur cohérence géographique, efficaces par leur action publique pragmatique, et, pour tout cela, populaires ?

Par quel sophisme des libéraux pensent-ils que plus une entité publique est grande, plus elle serait performante, et ne comprennent-ils pas que les mairies sont les TPE, PME et ETI de la République ?

Par quel sophisme des libéraux – que je connais bien puisque je suis libéral, ce qui par ailleurs m’est assez reproché ! – pensent-ils que plus une entité publique est grande, plus elle serait performante, et ne comprennent-ils pas que les mairies sont les TPE, PME et ETI de la République ? Pourquoi n’appliquent-ils pas le raisonnement à l’économie ? Pensent-ils qu’il y a trop de petits commerces et qu’il faudrait par un schéma technocratique les fusionner obligatoirement en Goum, trop d’entreprises locales et qu’il ne faudrait que des multinationales ?

Face aux évolutions démographiques et économiques, aux défis actuels du numérique, de l’écologie et de la réindustrialisation, les communes s’adaptent aux réalités, elles sont des organismes vivants, elles développent quand il le faut une intercommunalité (efficace lorsqu’elle est choisie et non quand elle est une grande supra-communalité imposée), ont su mettre en place ces dernières années les « communes nouvelles ».

Lire aussi Les maires macronistes ont rendez-vous au siège du parti Renaissance

Ne voient-ils pas, ces libéraux de papier, que « c’est dans les communes que réside la force des peuples libres », selon la formule de Tocqueville, et qu’elles n’ont jamais été aussi modernes et utiles, pourvu qu’on les laisse travailler, qu’on cesse de les priver de leur pouvoir d’aménagement et d’urbanisme, de leur ingénierie juridico-administrative, de leurs finances ? Qu’elles sont source de responsabilité civique, qu’elles pourraient l’être bien plus si on rétablissait un lien fiscal universel qui inciterait chaque citoyen à contrôler l’action des équipes élues et à s’impliquer ?

Performance. Même avec les pires des mairies les plus mal gérées, les communes de France ne sont pas un problème pour les comptes publics mais constituent un pôle de performance. La Cour des comptes elle-même l’admet et parfois y voit un réservoir de prélèvements supplémentaires pour l’Etat, ce qui n’échappe jamais à Bercy. Nos communes sont obligées d’être excédentaires en fonctionnement, avec des règles comptables et financières très proches du monde privé, je peux en témoigner. Elles sont tenues de respecter la règle d’or, contrairement à l’Etat qui s’en exonère et pioche depuis 2010 dans leurs finances tout en empruntant pour son fonctionnement.

Dans les pouvoirs publics comme en entreprise, très souvent, « small is beautiful ». Ce maillage très fin de communes, par la proximité et la responsabilité individuelle, invite à la subsidiarité et à l’efficacité mesurable

J’ai indiqué, chiffres à l’appui, dans ces mêmes colonnes il y a deux semaines, en quoi les dotations ne sont pas des subventions de l’Etat, mais un dû, qui doit être restitué aux finances locales, et comment, alors que les collectivités françaises dépensent nettement moins en fonctionnement qu’ailleurs en Europe (que le système soit fédéral ou centralisé), elles représentent presque les trois quarts de l’investissement public. Dans les pouvoirs publics comme en entreprise, très souvent, « small is beautiful ». Ce maillage très fin de communes, par la proximité et la responsabilité individuelle, invite à la subsidiarité et à l’efficacité mesurable.

Que cessent dès lors les considérations sentencieuses de salon qui découragent de plus en plus d’élus locaux dont la réalité du terrain est déjà assez difficile. Car reste cette question étourdissante : s’il n’y a plus les maires pour s’occuper de communes qui sont autant de réalités géographiques, humaines et historiques, correspondant à un ordre spontané et non à une décision parisianiste verticale, qui s’occupera du local ? Qui s’occupera de la voirie, de l’éclairage public, des cimetières, des cantines scolaires, de construire les écoles et les crèches, de délibérer sur les règles d’urbanisme, de mettre en place l’adduction en eau potable et l’assainissement, de délivrer les actes de naissance, de mariage, de décès, c’est-à-dire d’accompagner toute la vie des habitants, etc. ?

Des Commissaires du gouvernement ?

Quelle serait leur légitimité, leur financement, leur présence sur le terrain ? Les libéraux, à juste titre si attachés à l’initiative, à la liberté, à la responsabilité, veulent-ils fonctionnariser nos villages et nos villes ? Si des maires font des ronds-points, ce sont bien ces paresseux de la pensée qui tournent en rond. Ainsi va la France.

David Lisnard est maire LR de Cannes et président de l’Association des maires de France.