Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et le ministre du Travail, Olivier Dussopt, lundi, place Beauvau, à Paris. Francois BOUCHON / LE FIGARO

Réformes

ENTRETIEN CROISÉ - Les ministres de l’Intérieur et du Travail dévoilent au Figaro le projet de loi de l’exécutif, avant sa présentation en Conseil des ministres mi-janvier, et son examen au Parlement en début d’année.

Le Figaro - 21 décembre 2022 - Par Arthur Berdah, Loris Boichot, Jean-Marc Leclerc et Marie-Cécile Renault

LE FIGARO. - Vous êtes devenus inséparables… Vous ne faites plus une interview l’un sans l’autre?

Olivier DUSSOPT. - Ces entretiens croisés sont le signe que nos ministères travaillent bien ensemble, mais aussi une illustration de la grande confiance et de l’amitié qui nous lie, le ministre de l’Intérieur et moi. Cela permet de faciliter les choses, à l’heure où nous portons un projet de loi partagé.

Gérald DARMANIN. - Cela fait cinq ans - depuis notre collaboration à Bercy - que nous travaillons très bien ensemble. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant, puisque nous avons tous les deux le même «humus»: issus de famille modeste, militants depuis notre jeune âge, tous les deux maires de communes populaires… Bref, nous avons beaucoup d’automatismes en commun.

Votre projet de loi sur l’immigration a été étoffé, et compte désormais 25 articles. Parleriez-vous de réglages, ou d’un virage?

G. D. - Ni l’un ni l’autre. Ce texte, qui arrive en début de quinquennat, vient concrétiser les engagements pris par le président de la République durant sa campagne. Il vise au moins trois révolutions. La première porte sur l’intégration, qui réussit moins bien dans notre pays car elle est l’oubliée des politiques publiques depuis de très nombreuses années - d’où notre volonté de conditionner le titre de séjour à la réussite d’un examen de français. La deuxième porte sur les attentes de respect de nos règles vis-à-vis des étrangers présents sur notre sol: c’est pourquoi nous souhaitons «mettre fin à la fin» de la double peine. Quant à la troisième, elle porte sur le travail…

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O. D. - Ce texte court, équilibré et ambitieux, accepte de regarder les choses en face, avec pragmatisme et réalisme. Notamment pour ce qui concerne l’immigration économique et l’intégration par le travail. Dans certains cas, et pour certains pays d’origine, nous allons donc autoriser l’accès au travail rapide pour les demandeurs d’asile. Ainsi, un arrêté sera régulièrement mis à jour pour déterminer la liste des pays concernés. De même, nous voulons créer un titre de séjour pour les métiers en tension. Nous proposons qu’il soit accessible aux étrangers présents sur le territoire depuis au moins trois ans, et qui ont une ancienneté professionnelle d’au moins huit mois. Ces critères seront discutés et, nous l’espérons, adoptés par le Parlement. Cette mesure a suscité beaucoup de commentaires, mais elle est utile, pour protéger les salariés et simplifier la vie des chefs d’entreprise.

Qu’êtes-vous prêt à concéder pour trouver un accord au Sénat et à l’Assemblée?

O. D. - Je crois que notre majorité tient à cette mesure, et qu’une partie de l’opposition est en attente d’éléments qui puissent rassurer. Le fait de créer un titre de séjour et d’inscrire dans la loi les critères d’accessibilité de cette carte est, selon nous, de nature à lever les éventuelles interrogations. Par ailleurs, le texte prévoit d’ores et déjà une date butoir - fixée au 31 décembre 2026 -, et une évaluation de la mesure par le Parlement avant qu’elle ne soit pérennisée.

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G. D. - Si la droite le veut, il lui appartiendra de modifier les critères des titres de séjour. Nous partons sur trois ans dans le texte de départ, mais il s’agit, son nom l’indique, d’un «projet» de loi, sur lequel la discussion va s’engager. Idem avec les autres sujets: nous verrons bien ce que proposent LR et les centristes, et nous serons très ouverts. J’ai cru comprendre qu’il n’y avait pas de refus de principe de leur part sur le titre de séjour en tant que tel, mais plutôt la crainte d’un appel d’air… Nous tenons donc à le réaffirmer ici: il n’en est pas question.

Avez-vous évalué l’impact de vos mesures de régularisation?

O. D. - On pense que cela concernera quelques milliers de personnes par an. Donc on n’est pas du tout dans la régularisation massive. Tout sera examiné au cas par cas. Fermer les flux et mettre fin à l’hypocrisie, c’est aussi faire en sorte que ceux qui se prêtent volontairement au recrutement de travailleurs étrangers sans droit au séjour et au travail soient sanctionnés plus vite. Nous allons créer une amende administrative de 4000 euros par emploi d’étranger sans titre qui pourra être dressée par le préfet lors de la constatation de l’infraction.

G.D. - Une partie des LR a bien compris que nous faisons des propositions de bon sens. Je le sais parce que j’en viens: tout ce que les LR ont toujours demandé sur l’immigration, nous le proposons. Les LR ont toujours demandé la simplification du droit des étrangers, nous le proposons. Les LR ont toujours demandé la lutte contre la délinquance des étrangers, nous le proposons. Les LR ont toujours demandé l’intégration par la langue, nous le proposons. Les LR ont toujours demandé que les étrangers respectent les valeurs de la République et de notre pays, nous le proposons.

Il reste plus de deux millions de chômeurs en France… Ne faut-il pas les aider en priorité?

O. D. - Nous ne faisons que cela, et cela se mesure à l’aune de notre investissement pour la formation, l’aide à l’apprentissage, ou l’insertion par l’activité économique. Derrière les deux millions de chômeurs en question, il y a des chômeurs de nationalité française comme de nationalité étrangère. Notre priorité absolue est de donner du travail à tous. Par ailleurs, que l’on soit en croissance ou en récession, pour les personnes de nationalité étrangère, le taux de chômage qui les touche est deux fois supérieur au taux de chômage moyen de la population. Ce qui démontre qu’il y a du travail à faire sur les questions de formation et d’intégration. Cela explique aussi notre volonté de n’avoir recours à l’immigration économique non communautaire que de manière subsidiaire.

G. D. - Sans vouloir jouer les provocateurs, je vous rappelle que 20 % des médecins qui nous ont soignés en France pendant le Covid sont étrangers, et que beaucoup de prêtres présidant nos paroisses le sont aussi.

Derrière les deux millions de chômeurs en question, il y a des chômeurs de nationalité française comme de nationalité étrangère. Notre priorité absolue est de donner du travail à tous

Olivier Dussopt

Mais sans équivalence des diplômes, n’est-ce pas la qualité du service qui diminue?

O. D. - Non. Tout cela est très encadré et notre texte apportera d’ailleurs une nouveauté. Il prévoit la création d’un titre de séjour spécifique pour les talents étrangers de la médecine et de la pharmacie, par exemple, avec la possibilité de donner un statut régulier à des praticiens. Il serait lié à un système d’évaluation des connaissances. Ceci pour s’assurer précisément d’un niveau minimum avant de leur délivrer un titre de séjour pluriannuel.

Pour les chefs d’entreprise, ce texte doit répondre en partie aux tensions de main-d’œuvre. Mais ne renforce-t-il pas aussi les contraintes et les obligations de formation?

O. D. - Nous voulons sanctionner plus facilement ceux qui, délibérément, ont recours à des travailleurs illégaux avec la création de l’amende administrative de 4000 euros par emploi d’étranger sans titre. Nous attendons aussi que les chefs d’entreprise participent à l’effort d’intégration, en permettant aux salariés d’effectuer des formations au français, en partie sur leurs heures de travail. Nous aurions pu leur imposer une contribution supplémentaire pour financer ces formations ; nous avons préféré une participation en nature sous forme d’heures libérées.

Votre texte semble tirer les leçons de l’épisode de l’Ocean Viking. Faut-il s’attendre à d’autres épisodes de même nature?

G. D. - D’abord, je constate que l’Italie a repris trois bateaux depuis cette affaire. Nous le notons, et les remercions d’appliquer droit de la mer, comme le demandait la France, après notamment le sommet des ministres de l’Intérieur que nous avions réclamé en urgence et qui a rappelé que c’est effectivement au port le plus proche d’accueillir ces bateaux. Ensuite, on voit bien que notre droit n’était pas adapté à ces situations d’afflux migratoire. En lien avec le garde des Sceaux, nous allons donc le modifier, afin que le juge des libertés et de la détention bénéfice d’un délai plus long pour pouvoir s’organiser. Le délai de présentation devant le juge des personnes en situation illégale sera doublé. Il passera de 24 à 48 heures. En matière migratoire, prévision est mère de sûreté.

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S’agissant de l’asile, plus de 120.000 demandes auront été déposées en France cette année. L’ampleur des flux ne condamne-t-elle pas votre réforme à l’échec?

G. D. - Nous ne sommes ni trop généreux, ni laxistes. La France n’est pas particulièrement attractive pour les demandeurs d’asile. Nous en accueillons deux fois moins que l’Allemagne (14 % contre 22 % des demandeurs d’asile enregistrés en UE). Soit, au bout du compte, environ 30 000 personnes. Notre système n’est donc pas laxiste, mais il est trop lent. Comme un demandeur d’asile n’a une réponse définitive qu’au bout de douze à dix-huit mois en moyenne, il a le temps d’avoir une nouvelle vie sur le territoire: il peut avoir un enfant, devenir autoentrepreneur, être embauché irrégulièrement… Résultat, il peut prétendre à un titre de séjour et devenir un «ni-ni»: ni régularisable ni expulsable. Pour éviter cette situation, nous voulons réduire l’ensemble des procédures d’asile à neuf mois maximum. L’efficacité de notre stratégie tient en sa rapidité. C’est le sens de la grande simplification prévue dans ce projet de loi.

Ce projet de loi permettra-t-il aussi de réduire la délinquance?

G. D. - Nous prenons plusieurs mesures d’ordre public. D’abord, toute personne éloignée sur la base d’une OQTF ne pourra pas demander de visa pendant cinq ans. Ensuite, la «double peine» sera rétablie pour tous les étrangers condamnés à des peines d’au moins dix ans de prison - cinq ans en cas de récidive. Violences envers les femmes, fraude, trafics… La délinquance est souvent causée par des multirécidivistes: ils seront expulsés. Enfin, nous durcissons les sanctions contre les «profiteurs» de l’immigration irrégulière: passeurs - cela devient un crime ; marchands de sommeil - ce sera une circonstance aggravante ; et employeurs véreux. Nous luttons contre ce continuum.

Après avoir réduit de moitié l’octroi de visas à l’Algérie, vous venez d’annoncer un «retour à la normale». Pourquoi?

G. D. - Nous retrouvons une relation classique en matière migratoire avec nos amis, pays du Maghreb, et plus largement avec les pays africains. Nous avons des chiffres de plus en plus satisfaisants, avec un retour à un niveau d’avant crise sanitaire. Sont notamment concernées les personnes considérées prioritaires - soit en lien avec activités terroristes, soit avec des casiers judiciaires. Concrètement, lors de l’évacuation de la «colline du crack», à Paris, une quarantaine de trafiquants ou de consommateurs délinquants ont pu être reconduits à la frontière en quelques jours. Enfin, ce n’est pas un blanc-seing et nous suivrons ce sujet très attentivement.

Les douaniers, policiers et gendarmes auront accès à des fichiers connectés à l’échelle européenne pour savoir si l’étranger est en situation régulière ou non, s’il est visé par une OQTF, s’il est signalé, etc

Gérald Darmanin

Comment rendre plus effectives les reconduites à la frontière?

G. D. - D’une part, nous avons largement amélioré nos relations avec les pays africains, dont ceux du Maghreb grâce à l’action du président de la République: les éloignements sont en hausse de 25 % par rapport à l’an passé. D’autre part, le projet de loi comporte trois mesures pour mieux contrôler les frontières. D’abord, l’obligation de prendre les empreintes aux frontières, après avis du procureur de la République. Ensuite, la possibilité d’inspecter les véhicules de moins de 9 places, alors que - bizarrerie de notre droit - seules les camionnettes peuvent l’être aujourd’hui. Enfin, une fiche biométrique permettra d’enregistrer tout étranger arrivé sur le sol européen. Les douaniers, policiers et gendarmes auront accès à des fichiers connectés à l’échelle européenne pour savoir si l’étranger est en situation régulière ou non, s’il est visé par une OQTF, s’il est signalé, etc. Bref, si des étrangers n’ont pas de papiers, on les aura pour eux. C’est une révolution pour le droit des étrangers, qui nous permettra d’être plus efficaces dans le contrôle de nos frontières.

Vous avez annoncé l’an dernier une restriction du droit du sol à Mayotte. Pourquoi ne figure-t-elle pas dans le projet de loi?

G. D. - Pour Mayotte, nous travaillons un texte de loi spécifique, qui inclura une restriction de l’accès à la nationalité et des mesures de protection des frontières conformément à la demande du président de la République. Ce département connaît une immigration irrégulière inacceptable, pour laquelle nos lois ne sont pas adaptées.

Il s’agit ici de la 22e loi immigration en trente ans. Pourquoi serait-elle plus efficace que les précédentes?

G. D. - Le président de la République a fait une loi lors de son premier quinquennat. Une seconde loi pour le nouveau mandat ne paraît pas anormale. En outre, l’immigration est par nature changeante, puisqu’elle dépend de nos relations avec le monde, et ce monde change. Notre système d’immigration est l’un des moins mauvais d’Europe, même s’il reste largement perfectible. Notre projet de loi est très ferme et rompt avec un certain nombre de laisser-aller habituels.