Retraites

Avant de se décider (ou pas) à cesser le travail, ce jeudi 19 janvier, on peut espérer que les Français qui ne pratiquent pas la grève-réflexe se seront penchés sur la réalité du projet du gouvernement. Et qu’ils auront fait le tri entre les fantasmes et la réalité.

L'Opinion - 17 janvier 2023 - Par Nicolas Beytout

Or, encouragés par les réseaux sociaux et leurs caisses de résonance, les opposants au projet Macron sur les retraites s’activent à propager des mensonges absolus grâce auxquels ils espèrent provoquer l’indignation de l’opinion publique. Parmi ces tentatives de manipulation des esprits, la plus connue, la plus choquante est sans aucun doute cette affirmation devenue une ritournelle selon laquelle 25% des retraités les plus pauvres meurent avant 62 ans. La réalité est (heureusement) radicalement différente : c’est parmi les 5% des Français les plus pauvres (c’est-à-dire parmi ceux qui ont toute leur vie vécu avec un revenu moyen inférieur à 500 € par mois) qu’il y a 25% de risque de mourir avant 63 ans. Autrement dit, ce risque touche 1,25% d’une classe d’âge (et non pas 25%). Naturellement, ces statistiques sont choquantes, mais elles n’ont aucun rapport avec la question du report de l’âge légal à 64 ans : elles sont un scandale de la misère, pas un sujet lié à la retraite.

Ces mensonges doivent être systématiquement débusqués. Mais une autre menace, tout aussi insidieuse, plane sur la bonne tenue des débats : celle de la dictature du non-dit. Or il y a, sur le sujet des retraites, deux ou trois choses impossibles à dire, parce que politiquement incorrectes. Les voici. D’abord un rappel utile : l’assurance-retraite est…une assurance. Ce n’est ni un impôt, ni une taxe, ni un quelconque instrument fiscal. En aucun cas un tel système n’est fait pour corriger des inégalités, mais bien pour assurer à ceux qui ont cotisé le juste retour de ce à quoi ils ont contribué.

Cela signifie, deuxième vérité interdite, que tous ceux, à gauche et dans les syndicats, qui poussent pour « faire payer les riches » et inclure dans la réforme une contribution des pensions élevées insultent le principe même du système de retraite par répartition, auquel ils se disent pourtant viscéralement attachés. Ils font, en outre, preuve d’un singulier aveuglement. Car s’il y a effectivement une inégalité en défaveur du jeune qui, entré sur le marché du travail à 20 ans, devra travailler pendant 44 ans pour atteindre l’âge légal de la retraite (soit un an de plus que la durée de 43 annuités requise pour tous), que dire de ces Français qui prennent un premier boulot à 24 ou 25 ans après de longues et difficiles études, qui peuvent espérer construire une belle carrière mais qui n’auront droit à leur retraite à taux plein qu’à 67 ans ? Est-ce inégal ? Oui. Est-ce injuste ? Non.

Rappelons d’ailleurs –-là aussi, c’est politiquement incorrect— que pour tous les cadres et CSP+, et quand bien même ce sont eux qui contribuent le plus, l’âge de 64 ans est une chimère. Leur régime complémentaire de retraite Agirc-Arrco est calibré de telle sorte que, même avec le nombre requis de trimestres de cotisations, un cadre devra attendre 67 ans s’il veut éviter de subir une décote définitive sur sa pension. Et ceci en vertu d’un accord signé avec le patronat par…les syndicats, dont une partie de ceux, amnésie ou cynisme, qui défilent contre la réforme Macron. Evidemment, on parle de retraités aisés, leur sort ne semble donc pas intéresser les centrales syndicales. Et les défendre a tout du politiquement incorrect.

Ajoutons une dernière inégalité qui ne semble guère émouvoir nos spécialistes de l’indignation sociale : les cadres, et tous les salariés qui ont la chance de bénéficier d’un revenu important pendant leur vie active, seront ceux dont le revenu chutera le plus brutalement, une fois à la retraite. Une inégalité de traitement qui n’a jamais mobilisé les syndicats, même ceux qui assurent défendre les cadres.

Dès lors, qui faut-il défendre ? Les 30% de Français dont les revenus sont les plus faibles et qui ne seront pas touchés par la réforme, sachant même que certains d’entre eux verront leur pension augmenter s’ils sont au minimum contributif ? Les professionnels de la grève, agents des services publics bien au chaud derrière leur régime spécial, les chauffeurs de bus de la RATP, les conducteurs de métro et ceux de la SNCF qui peuvent aujourd’hui partir à 52 ans et vont devoir progressivement passer à 54 ans ? Qui peut légitimement s’estimer floué par « le système » ?

En réalité, le flop de la première tentative de réforme des retraites, lors du premier quinquennat Macron, l’a amplement prouvé : il n’existe aucune construction qui garantisse une égalité absolue de traitement à tous les salariés face à la retraite. La vie professionnelle est un indescriptible kaléidoscope, fait de situations particulières venant percuter le régime général. Les schémas personnels sont innombrables, vouloir les réduire à un simple tableau où tout serait mis en équivalence est impossible.

Quel que soit le sort de la réforme actuelle, quels que soient les compensations et accommodements que le gouvernement pourra être tenté de lâcher, il restera toujours des myriades de situations personnelles, comme autant d’inégalités ressenties comme des injustices. Aucune ne justifie que la réforme soit bloquée.

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