Patrick Pouyanné, PDG du groupe Total, ici en septembre 2020 dans son bureau de la tour Total, à La Défense. LP/Philippe Lavieille

Economie

Grâce à l’envolée des prix de l’énergie, TotalEnergies a réalisé 19,5 milliards d’euros de bénéfices en 2022, un record. Si les prix à la pompe remontent, Patrick Pouyanné envisage de nouvelles mesures en faveur du pouvoir d’achat des automobilistes.

Le Parisien - 8 février 2023 - Par Erwan Benezet, Nicolas Charbonneau et Sébastien Lernould

19,5 milliards d’euros de bénéfices. 33 milliards d’euros d’impôts versés dans le monde. Grâce à la flambée des prix de l’énergie, conséquence notamment de la guerre en Ukraine, 2022 restera comme une année de tous les records pour TotalEnergies. Après avoir accordé un rabais pendant plusieurs semaines l’année dernière dans ses stations-service, le patron du groupe, Patrick Pouyanné, annonce qu’il pourrait de nouveau modérer les prix à la pompe si le litre de gazole repasse au-dessus de la barre des deux euros.

Ce mercredi 8 février, vous avez annoncé 19,5 milliards d’euros de bénéfices en 2022. Un tel montant, ce sont des superprofits ?

PATRICK POUYANNÉ. Je ne sais pas ce que cela veut dire des superprofits. Nous réalisons des profits, plus élevés que l’an dernier parce que les prix de l’énergie ont été eux-mêmes très élevés. C’est d’abord le fruit du travail des salariés de TotalEnergies qui nous a permis de réduire nos coûts ces dernières années, de stratégies payantes comme celle d’avoir parié sur le gaz naturel liquéfié dont l’Europe a besoin massivement désormais. Ces bénéfices qui viennent du pétrole et du gaz nous permettent d’accélérer les investissements dans les énergies décarbonées pour réussir la transition énergétique.

Vous réalisez des profits records, mais payez peu d’impôts en France

Parce que nos résultats se font essentiellement dans les pays producteurs d’énergie, en Norvège, Grande-Bretagne, Angola, au Nigeria, à Abou Dhabi ou encore au Qatar. Le taux moyen de fiscalité qui nous est appliqué y est de plus de 50 %. Ce qui fait qu’on aura payé en 2022 dans le monde 33 milliards d’euros d’impôts et taxes. Or, je rappelle un principe du droit : on ne taxe pas deux fois le même bénéfice. En France, nous ne produisons pas de pétrole ni de gaz. Nous produisons et distribuons un peu d’électricité. Enfin, nous distribuons du carburant dans nos 3500 stations-service, activité sur laquelle nous gagnons en moyenne 1 centime par litre de carburant vendu.

Dans ce cas, combien allez-vous payer d’impôts en France ?

Nous avons réalisé environ 350 millions d’euros de bénéfices en France et payerons 200 millions d’euros d’impôts sur les sociétés et taxes de solidarité européenne sur le raffinage et l’électricité. Par ailleurs, TotalEnergies verse plus de 2 milliards d’euros de taxes et cotisations sociales. Je suis conscient du débat que cela suscite, quand on compare aux 33 milliards d’euros d’impôts et taxes payés ailleurs. Mais ça ne fait que refléter le fonctionnement de la fiscalité internationale. Et je rappelle que nous avons rendu 550 millions d’euros aux automobilistes français avec les différents rabais à la pompe pendant plusieurs semaines. On ne l’a pas fait ailleurs.

« En France, il y a une relation d’amour/haine avec l’entreprise. D’amour quand on fait des rabais, de haine parce qu’on gagne 19,5 milliards. »

Patrick Pouyanné

Pourquoi qu’en France ?

Parce que nous sommes Français de cœur et que nous ne sommes pas insensibles. Parce que le débat sur TotalEnergies n’existe pas à l’étranger. En France, il y a une relation d’amour/haine avec l’entreprise. D’amour quand on fait des rabais, de haine parce qu’on gagne 19,5 milliards. Dans ce pays, les profits, la réussite ont du mal à être acceptés. Mais on oublie de dire que c’est ce qui permet d’investir et de créer des emplois. On a investi quasiment 2 milliards d’euros (dont un milliard dans les énergies renouvelables et bas carbone) en France l’an dernier, sur 16 milliards au niveau mondial.

Les salariés de TotalEnergies profitent-ils de ces résultats ?

Bien sûr, nous partageons nos profits avec nos salariés. Cette année, nous avons décidé de donner un mois de rémunération à tous les salariés dans le monde. En France, ils ont touché en moyenne 3 800 euros en plus d’une augmentation de 7,5 % des salaires. Et l’intéressement moyen d’un salarié a été de 9 000 euros. Est-ce qu’il faut rajouter une tranche d’intéressement quand les profits sont très élevés ? C’est un débat auquel nous sommes ouverts. Sachez aussi que 65 % des salariés de TotalEnergies sont actionnaires de l’entreprise. Ils reçoivent 7 % des dividendes, soit 700 millions d’euros.

À la pompe, les prix frôlent à nouveau les deux euros le litre. Pensez-vous que c’est devenu la norme ?

C’est un seuil psychologique qui marque les esprits. Mais non, je ne vois pas de raison que cela devienne une norme. Si le prix du pétrole est actuellement élevé, autour de 90 dollars, je ne pense pas qu’il restera très longtemps à ce prix-là. Car sous la pression de la mobilité électrique et de la transition énergétique, la consommation de pétrole finira bien par baisser. Et donc les prix avec… Sauf si le gouvernement augmente à nouveau les taxes.

C’est possible ?

Souvenez-vous en 2014 : le baril était à plus de 100 dollars. Puis il s’est effondré peu après, à 40 ou 50 dollars. Qu’est-ce qu’on fait de nombreux gouvernements, dont la France ? Ils en ont profité pour monter les taxes. Ce qu’ils font à chaque fois que le pétrole baisse. C’est relativement indolore sur le moment. Mais dès que les prix du brut remontent, ça fait mal. Aujourd’hui, en France, quand le carburant est à deux euros, un euro vient des taxes.

« Si le litre de gazole dépasse deux euros, TotalEnergies pourrait mener de nouvelles actions ciblées de rabais à la pompe. »

Patrick Pouyanné

Avec le nouvel embargo sur le gazole russe, le prix va-t-il grimper dans les semaines à venir ?

Déjà, je peux vous garantir qu’il ne manquera pas de diesel dans nos stations-service car nous sommes en train de mobiliser nos raffineries, par exemple en Arabie saoudite, et nos capacités de négoce international. Le marché a anticipé en partie l’embargo dans le prix actuel. Mais, à mon avis, il n’a pas encore répercuté les coûts supplémentaires liés au transport par bateaux. Je surveille de très près le sujet. Si le litre de gazole dépasse deux euros, TotalEnergies pourrait mener de nouvelles actions ciblées de rabais à la pompe.

Le gouvernement vous l’a demandé ?

Non, mais plutôt que de partir dans un débat autour d’une taxe exceptionnelle sur les profits, nous préférons prendre des mesures de pouvoir d’achat que les Français ressentent directement. Nous avons intégré le fait que nous devions nous occuper des clients, c’est une question d’acceptabilité sociale. Pourquoi avons-nous proposé dès mars dernier, quand les prix commençaient à monter à la pompe à cause de la guerre, un rabais dans les stations rurales puis sur les autoroutes durant l’été ? Parce que nous avions compris, vu nos résultats qui étaient déjà très bons à l’époque, qu’on allait se retrouver au cœur d’une polémique si on ne faisait rien. Ce que je comprends très bien.

Aurons-nous assez de gaz l’hiver prochain ?

Oui, car il ne fait pas si froid cet hiver, nos stocks sont donc encore hauts. Ensuite, nous trouverons du gaz naturel liquéfié pour compenser la baisse du gaz venant de Russie. Mais à quel prix ? La question est de savoir si les Chinois vont vouloir en acheter cette année. Si c’est le cas, les prix vont se tendre à nouveau. Nous en saurons plus au milieu de l’année.

Comment appréhendez-vous la fin de la vente de voitures neuves à essence ou diesel en 2035 ?

Le marché du pétrole va décliner au profit du marché de l’électricité. C’est pour cela que nous sommes devenus TotalEnergies, parce que désormais nous produisons de l’électricité. Fin 2022, nous avions 17 gigawatts de capacité d’énergie renouvelable (éolien et solaire), l’équivalent de 6 à 7 réacteurs nucléaires. L’objectif, c’est d’en avoir le double d’ici à fin 2025.

Quand la polémique a enflé en décembre sur les factures d’électricité exorbitantes de petits patrons, c’est surtout TotalEnergies qui a été pointé du doigt… Pourquoi ?

Peut-être parce qu’on réalise 19,5 milliards de bénéfices et que c’est plus facile de se tourner vers nous alors qu’on n’est pourtant pas le plus gros. Sans doute aussi parce que comme nous produisons moins d’électricité que d’autres, nos coûts sont plus impactés par les prix sur les marchés. Quand ils se sont envolés l’été dernier, alors que des entreprises voyaient leur contrat arriver à échéance, le gouvernement nous a dit, « il faut faire signer des contrats ». L’expérience a montré que cela a été une bêtise de proposer des contrats à 500 euros le mégawattheure. D’ailleurs, si cela se reproduit cette année, nous ne le referons pas.

« Si on veut préserver le système par répartition, il faut reculer l’âge de départ à la retraite, c’est une question de bon sens. »

Patrick Pouyanné

Une enquête préliminaire a été ouverte par le Parquet national financier pour pratiques commerciales trompeuses, à la suite de plaintes déposées par des associations environnementales qui vous accusent de greenwashing. Comment réagissez-vous ?

Produire l’équivalent en énergie renouvelable de 6 à 7 réacteurs nucléaires, vous appelez ça du greenwashing ? Certaines ONG ont décidé de mener un combat systématique contre nous. Pour elles, nous sommes l’entreprise à abattre. Elles mènent une guérilla contre TotalEnergies. Jusque-là, nous privilégions le dialogue et ne réagissions pas. Mais désormais, quand des propos diffamatoires seront tenus, nous répondrons par la voie judiciaire. Le débat démocratique est important, tout le monde n’est pas obligé d’être d’accord avec ce que nous faisons. En revanche, il ne faut pas nous accuser de fautes, voire de crimes, sans fondement réel, mais dans le seul but de ternir notre réputation. Notre réponse aux critiques, c’est qu’en 2023 nous allons investir 5 milliards d’euros dans des énergies bas carbone.

Êtes-vous favorable à la réforme des retraites ?

L’espérance de vie s’est considérablement allongée. Si on veut préserver le système par répartition, il faut reculer l’âge de départ à la retraite, c’est une question de bon sens, il n’y a pas d’autres solutions.

Sauf à augmenter les cotisations patronales…

Dans ce cas, les entreprises investiront ailleurs, il y aura donc moins de jobs. On est en train de gagner la bataille de l’emploi, ce n’est pas le moment de tout casser. En revanche, il faudrait un jour parler de retraite par capitalisation en complément, sujet tabou aujourd’hui.

Que pensez-vous de l’index des seniors voulu par le gouvernement pour inciter les entreprises à conserver les plus de 55 ans dans les entreprises ?

Nous avons toujours respecté la loi. Quand l’âge légal de départ sera à 64 ans, nous construirons les carrières pour arriver jusque-là. Mais soyons cohérents, en parallèle, il faut arrêter les mécanismes qui incitent aux départs anticipés.