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Dépenses publiques

En 2021, la France a dépensé 7,5 points de PIB de plus que la moyenne de l’Union européenne, selon une étude réalisée par le spécialiste des finances publiques François Ecalle.

L'Opinion - 1er mars 2023 - Par Marc Vignaud

Dans presque tous les domaines, la France dépense plus que la moyenne de ses concurrents du marché unique. Une politique qui ne produit pas les résultats escomptés.

« La France dépense beaucoup, mais mal ». On sent François Ecalle un peu las de rabâcher ce constat à longueur de temps. Le conseiller maître honoraire à la Cour des comptes aimerait pouvoir changer de rengaine, mais la réalité des chiffres, implacable, s’impose à lui chaque année. Dévoilée en exclusivité par L’Opinion, sa nouvelle étude sur les dépenses publiques françaises comparées au reste de l’Union européenne (UE), à partir des données toutes récentes d’Eurostat pour 2021, le montre encore une fois.

L’année du rebond post-Covid, la France a mobilisé 59 % du PIB en dépenses publiques contre 51,5 % en moyenne en Europe. Un écart colossal. « On s’aperçoit que notre pays dépense plus dans quasiment toutes les politiques, souligne l’auteur du site de référence sur les finances publiques Fipeco. Ça complique le problème par rapport à une situation où il y aurait seulement quelques postes de dépenses bien identifiés à réduire. »

Il y a bien sûr des domaines où cet écart est plus significatif. Les dépenses de protection sociale représentent ainsi 34 % du PIB en France en 2021, contre 28,6 % dans l’UE. Des dépenses qui se font forcément au détriment des dépenses d’avenir et nourrissent le déficit public tant elles sont supérieures aux recettes. Cela inclut les retraites, avec une différence qui culmine à 2,3 points de PIB par rapport à la moyenne de l’UE. D’où le choix d’Emmanuel Macron d’en faire une réforme prioritaire en ce début de second mandat. En faisant augmenter le taux d’emploi, l’allongement des carrières remplit non seulement les caisses de retraite, mais aussi celles de l’ensemble des finances publiques.

Générosité. Certains objecteront qu’une telle différence ne reflète pas la réalité car certains pays complètent les pensions avec des versements qui ne sont pas inclus dans le champ des dépenses publiques. Mais même en additionnant les dépenses publiques et les dépenses privées de retraite, à peu près la moitié de l’écart de dépenses persiste avec la moyenne de l’UE. Comme le relevait déjà en 2016 une étude de France Stratégie, un organe de réflexion rattaché aux services du Premier ministre, « le niveau élevé des dépenses de retraite s’explique également par la générosité du système français », caractérisé par des départs plus précoces.

Outre les retraites, le niveau élevé de dépenses publiques de la France passe par les moyens supérieurs consacrés au logement et à la santé, avec respectivement 1,3 point de PIB de plus que la moyenne. L’hôpital français ne paraît pas plus démuni qu’ailleurs, au contraire. Un paradoxe alors que beaucoup de Français peinent à se loger et constatent chaque jour la dégradation du système public de santé. Grâce aux données de l’OCDE, François Ecalle avait déjà montré que le personnel non-soignant à l’hôpital (34 % des effectifs en 2019) représente une part nettement plus élevée en France qu’en Allemagne (22 % en 2020), en Italie (25 %) et en Espagne (23 %).

« Il y a des problèmes importants de coordination entre l’hôpital et la médecine de ville. Quand vous passez de l’un à l’autre vous refaites souvent les mêmes examens », ajoute l’ancien rapporteur général du rapport annuel de la Cour sur la situation des finances publiques. Cela fait depuis 2004 que les gouvernements promettent un « dossier médical personnel » qui permettrait à tous les professionnels de santé d’avoir accès aux informations sur les patients comme les examens déjà réalisés. Le ministre de l’époque, Philippe Douste-Blazy annonçait 3,5 milliards d’économies grâce à sa mise en place. Jusqu’à présent, il a surtout généré des dépenses supplémentaires... Dans le cadre du Ségur de la Santé, le gouvernement a ainsi financé l’actualisation des logiciels de gestion des médecins afin de les rendre compatibles avec le nouvel « espace santé » des Français lancé début 2022 par l’Assurance maladie.

En matière d’éducation, la France dépense également plus que la moyenne de ses voisins, même si ce n’est pas vrai dans le primaire et dans le supérieur. Notre pays consacre davantage de moyens au collège et au lycée, avec de nombreuses options disponibles, alors que l’OCDE recommande de donner la priorité à l’enseignement dès le plus jeune âge afin de mieux lutter contre l’échec scolaire et les inégalités. Depuis qu’il est au pouvoir, Emmanuel Macron a engagé un rééquilibrage, mais il reste visiblement du travail à accomplir.

« On ne peut pas avoir des prélèvements obligatoires beaucoup plus élevés que ceux de nos principaux concurrents.
Sinon, on finit par avoir un problème de compétitivité »

Certains économistes identifiés comme très à gauche, comme Gilles Raveaud, contestent l’idée même de rapporter les dépenses publiques au produit intérieur brut. « Ça n’a vraiment aucun sens car elles ne constituent pas une composante du PIB , écrit-il. A cette objection, François Ecalle rétorque que cela reste pertinent parce que le PIB constitue « une mesure approximative de l’assiette sur laquelle sont prélevés les impôts et cotisations sociales qui financent ces dépenses ».

Ne faut-il pas se réjouir d’un modèle social particulièrement protecteur, si c’est un choix collectif financé par des impôts très élevés ? « On ne sait pas quel est le seuil maximal des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, reconnaît cet expert. La seule chose qu’on peut dire, c’est qu’on ne peut pas avoir des prélèvements obligatoires beaucoup plus élevés que ceux de nos principaux concurrents. Sinon, on finit par avoir un problème de compétitivité. Pour moi, ce seuil est déjà dépassé en France. On peut le voir au déficit systématique de notre balance courante depuis quinze ans. »

Reste à savoir comment contenir les dépenses. « On entend souvent qu’il faut réduire la bureaucratie », constate François Ecalle. Pendant la présidentielle, Valérie Pécresse promettait de s’attaquer à l’administration administrante ». A l’Assemblée, le groupe Les Républicains a proposé un plan de « sobriété démocratique » pour économiser 20 milliards d’euros d’ici 2025. Encore faudrait-il préciser ce qu’il recouvre. Les « services généraux », qui regroupent les services de la Présidence, du Parlement ainsi que ceux du Premier ministre, du ministère des Finances, de la Fonction publique et du ministère des Affaires étrangères, « constituent un des rares postes où l’on ne dépense pas plus que les autres », constate François Ecalle.

Revues de dépenses. Pour réduire les dépenses publiques ou les rééquilibrer au profit de celles qui préparent l’avenir, il sera difficile d’éviter de faire des choix douloureux. En 2017, le Conseil d’analyse économique proposait par exemple de faire payer l’université à ceux qui en ont les moyens : « La politique d’enseignement supérieur vise l’excellence tout en facilitant l’accès de tous à l’université. Des frais d’inscription parfois plus élevés en second cycle, accompagnés d’un système d’exemption en fonction des ressources des parents ou de bourses, permettraient d’atteindre ce double objectif à moindres frais », écrivaient les auteurs d’une note*. Un pas qu’aucun parti politique ne semble prêt à franchir ouvertement…

"Les dépenses publiques sont faciles à augmenter, mais très rigides à faire diminuer"

Pour revenir sous 3 % de déficit en 2027 et stabiliser une dette publique désormais supérieure à 110 % du PIB, comme l’a promis Emmanuel Macron, l’augmentation de la dépense publique va devoir être freinée comme jamais, puisqu’elle ne devra pas progresser de plus de 0,6 % par an en euros constants (une fois l’inflation prise en compte). Sauf qu’un tel freinage de la dépense n’a jamais été accompli. Pour tenter de faire mieux que ses prédécesseurs, Bruno Le Maire, le ministre des Finances, a lancé, comme la France s’y était engagée vis-à-vis de l’Union européenne, des « revues de dépenses ». Un exercice piloté par les chefs de cabinets des ministères des Finances, des Comptes publics et de la Première ministre, qui doit permettre d’identifier où sabrer dans les budgets maintenant que la fenêtre de tir du « quoi qu’il en coûte » s’achève avec la remontée des taux d’intérêt. Les inspections devraient rendre leurs conclusions début mai.

L’ancien chef de l’Etat, François Hollande, n’y croit pas. « Les dépenses publiques sont faciles à augmenter, mais très rigides à faire diminuer, a-t-il fait récemment valoir au magazine Challenges. Même si le gouvernement lançait aujourd’hui de vastes réorganisations administratives ou une large refonte des politiques publiques avec une réduction du nombre de fonctionnaires, ce qu’il s’est refusé à faire depuis 2017, celles-ci mettraient plusieurs années à dégager des gains substantiels. » Le risque est donc bien qu’au « quoi qu’il en coûte », succèdent les hausses d’impôts. D’abord sur les plus riches, puis pour les autres. « Si on entrouvre la porte fiscale, prévient Eric Woerth, ancien ministre du Budget de Nicolas Sarkozy passé dans le camp d’Emmanuel Macron, on se retrouvera, au bout de quatre ou cinq ans, avec la porte entièrement ouverte. »

*Quelle stratégie pour les dépenses publiques, CAE, n° 43, juillet 2017