Tribune

Guillaume Ancel sur l’Ukraine : « L'armée de Poutine va prendre Bakhmout mais perdre la guerre »

Le JDD - 12 mars 2023 - Par la rédaction du JDD

Les Ukrainiens sont ulcérés de devoir concéder une victoire aux armées russes, mais le sort de Bakhmout est scellé par l’étau qui l’enserre désormais, comme les mâchoires inquiétantes d’une gueule prête à se refermer.

Les armées russes, au sein desquelles les milices de Wagner ne jouent qu’un rôle secondaire sauf pour avancer de quelques mètres en consommant des milliers de vies, ont désormais encerclé cette petite ville qui n’est plus qu’un champ de ruines. Bakhmout est dans une nasse formée par une masse de canons et lance-roquettes, blindés et fantassins bien armés, appuyés par des avions d’attaque et entourés par des champs de mines pour empêcher les Ukrainiens de manœuvrer dans cet espace, sous le feu impitoyable et incessant de l’artillerie russe. Les provocations médiatiques – car il ne s’expose jamais au combat – du chef mafieux de Wagner ne doivent pas faire illusion : ce n’est pas lui qui dirige quoi que ce soit dans la bataille de Bakhmout et ses déclarations douteuses sont autorisées par Vladimir Poutine qui se bat désormais pour rester le maître du Kremlin.

La réalité qui émerge de ce « brouillard de la guerre », c’est que la bataille de Bakhmout est effectivement perdue pour les Ukrainiens qui se contentent de freiner la laborieuse avancée russe en leur infligeant des pertes importantes. Ce n’est plus qu’une question de temps, après huit mois de combats acharnés pour une ville qui ne présente cependant aucun intérêt stratégique dans la guerre d’invasion que Poutine livre à l’Ukraine depuis un an. Sa conquête – épuisante pour les Russes – ne fait plus de doute. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que la ligne de défense ukrainienne s’est déjà déplacée de quelques kilomètres plus à l’ouest pour empêcher toute percée russe dans la foulée de la capture de Bakhmout.

Certes, le président Zelensky déclare vouloir défendre Bakhmout, mais il a validé la décision de ses chefs militaires de préserver leurs forces pour des batailles ultérieures qui auront un autre enjeu que de reconquérir cette ville rayée de la carte par les combats. La bataille de Bakhmout est déjà perdue, mais la guerre de la Russie contre l’Ukraine est maintenant à l’avantage de ceux qui ont résisté.

 L'Ukraine préserve ses forces pour des batailles ultérieures 

Oui, Poutine va pouvoir se vanter d’avoir enfin atteint un objectif dans son « opération militaire spéciale » qui n’en finit pas de s’enliser, mais il aura perdu toute capacité de s’emparer de l’Ukraine. En un mois d’une « offensive de grande ampleur », l’armée russe a conquis 0,01 % du territoire ukrainien au prix de pertes colossales, en vies humaines comme en matériels militaires. La bataille de Bakhmout aurait pu constituer un succès si elle avait consommé nettement moins de soldats russes, et surtout si elle avait attiré les forces ukrainiennes dans le piège que les Russes leur tendaient. En effet, loin de cette bataille, les forces ukrainiennes sont en train de constituer une force blindée considérable qui assemble des matériels pris aux russes et ceux – beaucoup plus modernes et puissants – que livrent actuellement les 50 pays alliés qui soutiennent la résistance ukrainienne.

L’enjeu majeur des combats actuels est de préserver cette force qui formera d’ici quelques semaines un « fer de lance » capable de mener une à deux attaques redoutables contre des armées russes disséminées sur plus de 1 000 kilomètres de front et que leurs pertes ont rendues exsangues. Cette force blindée redoutable apportera aux Ukrainiens la capacité de défaire les armées russes sur leur propre sol, lorsqu’ils choisiront le lieu et le moment de leur contre-attaque. À la clé, il y a la perspective et le potentiel de l’Ukraine de gagner cette guerre et sans doute de faire chuter son auteur, Vladimir Poutine