Bruno Le Maire (ici vendredi à Paris) continue d’afficher un message de fermeté et de défendre le choix du gouvernement. LP/Olivier Arandel

Interview exclusive

Dans une interview au Parisien, le ministre de l’Économie dénonce « l’attelage clownesque » formé par les Insoumis, le RN et le groupe Liot, « alliés pour faire tomber le gouvernement » grâce à des motions de censure examinées lundi.

Le Parisien - 19 mars 2023 - Par David Doukhan, Pauline Théveniaud et Marcelo Wesfreid

 

« Que chacun prenne ses responsabilités ! » Avant l’étude lundi à l’Assemblée nationale des deux motions de censure déposées après le 49.3 utilisé par Élisabeth Borne sur la réforme des retraites, Bruno Le Maire continue d’afficher un message de fermeté et de défendre le choix du gouvernement. « C’est un outil démocratique », martèle le ministre de l’Économie auprès du Parisien - Aujourd’hui en France. Transfuge de la droite, il s’en prend aux députés LR qui « ont fait défaut ».

Aux contestataires qui continuent de manifester partout en France, il ne veut laisser aucun espoir de retrait de la réforme. « Le texte devra être appliqué », insiste-t-il avant de dénoncer les débordements et heurts apparus en marge des rassemblements. « Aucune violence ne doit être tolérée, à aucun endroit. »

 

Les députés Liot ont déposé une motion de censure transpartisane. Le gouvernement peut-il tomber lundi ?

BRUNO LE MAIRE. (Long silence.) Non. Je pense qu’il n’y aura pas de majorité pour faire tomber le gouvernement. Mais ce sera un moment de vérité. La réforme des retraites vaut-elle, oui ou non, la chute du gouvernement et le désordre politique ? La réponse est clairement non. Que chacun prenne lundi ses responsabilités ! Le gouvernement prend les siennes en acceptant d’engager sa responsabilité sur un texte vital, qui garantit les équilibres financiers de notre modèle de retraite par répartition.

Quoi qu’il en soit, serez-vous toujours dans ce bureau la semaine prochaine ?

Mon sort personnel importe peu. Seuls comptent les résultats : nous approchons du plein-emploi, nous sommes la nation la plus attractive pour les investissements étrangers, nous ouvrons des usines, nous créons des emplois industriels. Maintenant, nous devons accélérer les transformations économiques de la France. Décarboner notre économie, favoriser encore plus les implantations industrielles et résister aux décisions américaines (IRA), réformer le marché européen de l’énergie : les projets ne manquent pas ! Notre ambition collective est intacte.

Le 49.3 est-il l’étincelle qui peut déclencher l’embrasement du pays ?

Qui de raisonnable peut le souhaiter ? Personne. Je comprends les inquiétudes et les angoisses de nos compatriotes, mais ce n’est certainement pas en niant les réalités économiques que nous irons mieux. Pour financer notre modèle social parmi les plus généreux au monde, nous devons progressivement, pour ceux qui le peuvent, travailler davantage. La France sortira plus forte de ces choix courageux.

VIDÉO. Retraites : le recours au 49.3, un « crève-cœur » mais « pas un échec », affirme Dussopt

Le 49.3 est vu par les manifestants comme un « déni » de démocratie…

Le 49.3 est un outil démocratique, inscrit dans notre Constitution.

Vous ne craignez pas que les violences ressurgissent ? On a vécu cela en 2018, 2019…

Les représentants du peuple se prononceront souverainement lundi. Ensuite, le texte devra être appliqué. La liberté de manifestation est totale. Mais aucune violence ne doit être tolérée, à aucun endroit.

Pourquoi ne pas avoir assumé le risque d’un vote, quitte à le perdre ? Pour beaucoup, au sein de la majorité, cela aurait été « plus noble ».

On ne joue pas à pile ou face une réforme aussi décisive pour notre nation. Nous avons une majorité relative. Chacun sait que nous comptions logiquement sur les voix du groupe LR, qui a été élu sur un projet de report à 65 ans de l’âge légal de départ à la retraite : la moitié nous a fait défaut, pour des raisons incompréhensibles. Avec les votes de demain, la démocratie parlementaire aura le dernier mot.

 

Vous leur dites quoi, aujourd’hui, aux Républicains : « 0n peut continuer à avancer ensemble » ou « Tout est fini entre nous » ?

Je leur dis que la gravité de la situation européenne et internationale, notamment sur le plan financier, mais aussi sur le plan militaire, avec la guerre en Ukraine, justifie que nous abandonnions toutes les postures politiciennes. Espérons que Les Républicains retrouvent leurs esprits. Un certain nombre des députés et sénateurs LR ont fait preuve de courage et de cohérence, comme Bruno Retailleau, Éric Ciotti, et tous ceux qui les ont suivis. D’autres se sont égarés, ont perdu tous leurs repères. Or, je crois que nous sommes dans un temps où nous avons besoin de repères.

Vous appelez ceux qui ont fait preuve « de cohérence », selon vous, à vous rejoindre ?

Oui : travaillons ensemble, texte par texte, projet par projet, au service du renforcement de notre nation.

Pouvez-vous compter sur eux ? Certains ont défendu la retraite à 65 ans pendant la présidentielle, et voulaient voter contre votre réforme jeudi…

Arrêtons avec le bal des hypocrites ! Liot (une formation centriste) qui tend la main à la Nupes et au RN pour faire tomber le gouvernement : quelle hypocrisie ! Mathilde Panot, Marine Le Pen et Charles de Courson, alliés pour faire tomber le gouvernement et constituer une majorité alternative : un attelage clownesque ! Des députés LR qui réclament à cor et à cri le rétablissement des finances publiques mais qui déposent sans vergogne des amendements à plusieurs milliards d’euros : quelle hypocrisie encore ! Quel manque de courage ! Les socialistes qui nous font des leçons de justice sociale après avoir imposé, avec la réforme Touraine, le passage à 43 années de cotisation : hypocrisie toujours ! Sortons du cirque dans lequel est en train de tomber la vie politique française, retrouvons nos repères.

Quel regard portez-vous sur Les Insoumis ?

Ils sont le mouvement du désordre. Ils veulent le renversement de nos institutions. Contre ces marchepieds du RN, nous devons être la majorité de la clarté et de la fermeté.

Le RN est le gagnant de la séquence ?

Nous ne sommes pas dans une séquence, nous sommes à un moment décisif : le seul gagnant doit être la France. Le RN a-t-il des solutions aux difficultés actuelles ? Aucune. Baisser la TVA par exemple, ce sont des milliards d’euros en moins dans les finances publiques, des marges supplémentaires pour les distributeurs et les industriels, et quelques centimes seulement en moins sur les produits pour les consommateurs.

 

Est-ce qu’il y a aussi dans la décision de déclencher le 49.3, la volonté d’un message aux marchés mondiaux ?

Non. En revanche, chacun doit prendre conscience que nous sommes confrontés à une vague inflationniste puissante, insupportable pour nos compatriotes. Pour la faire retomber, la politique monétaire européenne est devenue moins accommodante. Les taux augmentent, l’argent est plus cher, cela pèse sur la charge de notre dette. Dans ce contexte, oui, les équilibres financiers de nos politiques sociales sont plus que jamais nécessaires.

Les inquiétudes autour du Crédit suisse font-elles planer une menace de crise bancaire en France ?

Les banques françaises sont solides. Les épargnants n’ont pas d’inquiétudes à avoir sur leurs dépôts. Nous avons en Europe le système de supervision bancaire le plus exigeant de la planète : tant mieux. La faillite de Silicon Valley Bank aux États-Unis montre que le refus de Donald Trump de soumettre les banques régionales américaines à des règles prudentielles strictes était une faute financière, aux conséquences lourdes. Pour le Crédit suisse, ses difficultés sont connues de longue date. Je tiens à saluer les premières mesures prises par le gouvernement suisse. Nous attendons maintenant une solution définitive et structurelle aux problèmes de cette banque. Nous restons extrêmement vigilants et mobilisés.

Pour sortir de l’impasse politique en France, la seule issue ne serait-elle pas de retourner aux urnes ?

La seule impasse politique, ce sont les extrêmes. Et la seule vraie issue est dans le travail et la clarté. Est-ce que les difficultés à résoudre se régleront par de nouveaux rendez-vous électoraux ? Je ne le pense pas. Reprenons sereinement le fil de notre majorité, derrière le président de la République et la Première ministre : la meilleure rémunération du travail, la défense des entrepreneurs, la construction européenne, la transition écologique.

Faut-il changer de méthode ?

Qui ne fait pas d’erreur ? Nous devons sans cesse améliorer notre méthode, pour convaincre inlassablement et avancer. Seuls ceux qui ne font rien ne commettent aucune erreur.

Bâtir « des majorités de projet », c’est ce que vous disiez déjà avant la réforme des retraites, et cela a été un échec. Comment pouvez-vous sortir de l’ornière ?

En nous appuyant sur la solidité de notre majorité, qui a toujours fait bloc avec un courage exemplaire. Et en continuant à chercher des appuis au-delà, sur la base de textes législatifs simples et nécessaires : nous l’avons déjà fait avec huit projets de loi et nous le faisons par exemple avec la proposition de loi sur la régulation des influenceurs.

Emmanuel Macron avait promis une gouvernance moins verticale. Le lien avec les Français n’est-il pas abîmé avec ce 49.3 ?

Je ne pense pas. Où est la verticalité ? Ce projet de réforme a été discuté pendant des mois, avec les partenaires sociaux comme avec les parlementaires. L’âge légal de départ à la retraite a été ramené de 65 à 64 ans. 7 milliards d’euros de mesures d’accompagnement ont été ajoutés. Le Sénat a largement voté la réforme. À un moment, il faut décider.

«Nous devons surtout travailler à la réussite du quinquennat d’Emmanuel Macron, affirme Bruno Le Maire. Sans cela, personne de la majorité ne pourra penser à 2027.»
«Nous devons surtout travailler à la réussite du quinquennat d’Emmanuel Macron, affirme Bruno Le Maire. Sans cela, personne de la majorité ne pourra penser à 2027.» LP/Olivier Arandel

Élisabeth Borne peut-elle rester durablement à Matignon ?

Je le souhaite. La Première ministre a fait preuve d’une combativité exceptionnelle, elle a ouvert la voie à de bons compromis. Elle travaille avec fermeté, intelligence, ouverture.

La majorité sort en lambeaux du débat sur les retraites…

Non. Elle sort grandie.

Le débat sur l’immigration qui arrive au Parlement ne va-t-il pas cliver à nouveau le pays ?

Qui peut contester que nous avons besoin de plus de fermeté en matière migratoire ?

Faut-il conserver dans le texte les mesures sur la régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension ?

Le message principal du projet de loi porté par Gérald Darmanin doit être un message de fermeté.

Êtes-vous candidat à Matignon ?

On me prête cette intention depuis six ans ! Nous arrivons au printemps. C’est la floraison habituelle.

Pensez-vous, au-delà, à 2027 ?

Nous devons surtout travailler à la réussite du quinquennat d’Emmanuel Macron. Sans cela, personne de la majorité ne pourra penser à 2027.

En un mot, comment caractériseriez-vous Gérald Darmanin ?

Créatif.

Édouard Philippe ?

Solide.

Élisabeth Borne ?

Sérieuse.

Emmanuel Macron ?

Transgressif.

Bruno le Maire ?

Calme.