Laurent Wauquiez, David Lisnard et Xavier Bertrand. François BOUCHON/Le Figaro

Politique

La route est longue pour 2027, mais chez Les Républicains, les écuries s’organisent et les stratégies s’échafaudent.

Le Figaro - 20 avril 2023 - Par Emmanuel Galiero et Claire Conruyt

À droite, les ambitions présidentielles de Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand et David Lisnard ne sont un secret pour personne. Certains doutent parfois de leur volonté d’aller jusqu’au bout alors que l’épineuse question de la primaire suscite toujours des débats au sein des Républicains. «Il est trop tôt», répondent régulièrement les intéressés à ceux qui les interrogent, sollicitent, bousculent ou leur reprochent de ne pas oser incarner une famille politique épuisée par la récurrence des échecs. En attendant, tout indique que chacun de ces trois élus placés à la tête d’exécutifs locaux se prépare activement. Ils mènent de front obligations quotidiennes et projet politique, cultivent le temps long, se structurent. Et prennent aussi le risque d’exciter l’impatience, voire d’irriter franchement des Républicains en mal de chef.

À la tête de la région Auvergne-Rhône-Alpes (Aura) depuis plus de sept ans, Laurent Wauquiez trace son sillon en silence. Il a fui l’agitation politique instantanée pour se concentrer sur une offre qu’il veut construire selon son propre rythme. Son «espace-temps». D’ailleurs, sa grande discrétion sur les retraites a suscité mille critiques. Selon France Inter, il aurait regretté ne pas avoir su persuader les deux députés de son territoire qui se sont opposés au texte du gouvernement. Mais, contre vents et marées, Laurent Wauquiez assume sa prise de distance, mûrement réfléchie: personne ne lui imposera ni calendrier ni thèmes sur lesquels se positionner. Et si, comme il le croit, le macronisme est destiné à disparaître avant la fin du second quinquennat du chef de l’État, il faudra quelqu’un pour incarner l’alternance politique.

En partageant ses réflexions sur les réseaux sociaux ou lors de ses rares prises de parole, les sujets qui lui tiennent à cœur s’esquissent. Devant le corridor de Latchine, en Arménie, Laurent Wauquiez a dénoncé une «violation totale des règles du droit international» par l’Azerbaïdjan. On l’a aussi vu retenir «quatre leçons» du risque actuel de crise financière, pointer le problème des étrangers entrés illégalement sur le territoire français, se pencher sur le chaos sécuritaire à Mayotte comme source de réflexion politique pour l’Outre-mer et la métropole…

Construire une offre politique

Dimanche dernier à Vichy, à l’occasion d’un événement régional portant sur les prochains Jeux paralympiques, Laurent Wauquiez a évoqué la question du handicap. «Je pense, a-t-il alors confié, qu’une société qui prend en compte le handicap est une société qui devient meilleure. Je suis très sensible pour des raisons familiales à cette question du handicap, et j’appelle vraiment de mes vœux qu’il y ait ces changements et cette évolution.»

Comme un sportif guidé par un programme d’entraînement qu’il s’est lui-même imposé, il considère que l’offre politique se construit. «Il verra quand les Français seront prêts à écouter un projet mais il estime que ce n’est pas le cas aujourd’hui, ni demain. Quand on est convaincu d’une stratégie, il vaut mieux la mener jusqu’au bout», explique un proche.

Souvent, on entend dire qu’il aurait calé sa stratégie sur les élections européennes de 2024 et prévu de ne pas sortir du bois avant. Mais son équipe affirme, elle, que l’élu de 48 ans n’a «jamais» désigné cette échéance, redoutée par la droite, comme un élément structurant de son calendrier. On juge amusante aussi la contradiction de ceux qui dénoncent aujourd’hui un «Wauquiez hésitant» après avoir critiqué hier un «Wauquiez opportuniste».

Laurent Wauquiez verra quand les Français seront prêts à écouter un projet

Un proche de Laurent Wauquiez

Et même si son timing nourrit l’impatience d’Éric Ciotti à la présidence des Républicains (lequel avait misé sur une entrée en scène plus rapide du «candidat naturel» des LR), on explique qu’une confiance existe toujours entre les deux hommes. «Ils sont très clairs quand ils se parlent», assure-t-on. Le président Ciotti s’est engagé publiquement à respecter le calendrier du président d’Aura.

Mais en restant silencieux et étant au plus bas dans les sondages présidentiels, Laurent Wauquiez ne prend-il pas le risque de laisser le champ libre à la concurrence? Là encore, le potentiel présidentiable fait sienne l’idée selon laquelle concurrence rime avec politique. À ses yeux, ceux qui redoutent la compétition oublient qu’elle est un élément moteur. Et s’il sait parfaitement qu’il faudra bien s’inviter dans l’arène un jour, il considère aujourd’hui que personne n’est identifié à droite comme prochain président de la République. À vrai dire, cette question lui semble agiter surtout un microcosme, toujours à l’affût des projections. «Mais les sondages à quatre ans de la présidentielle ne sont que des attrape-nigauds», mettent en garde les soutiens du «vieux briscard».

Aujourd’hui, Laurent Wauquiez veut multiplier les rencontres avec les élus, leaders d’opinion, professionnels, etc. Il cherche à étoffer sa vision du pays, à préparer des réponses solides. Ne pas commenter l’action de l’exécutif est un choix qui ne l’empêchera pas de dire ce qu’il en pense le moment venu. Quant aux élus et militants qui s’interrogent légitimement sur sa trajectoire, l’intéressé précise qu’il ne restera pas silencieux pendant quatre ans. Puis, dans un quasi-murmure, il se veut rassurant: «Faites-moi confiance, je me prépare.»

Dans la lumière de la Côte d’Azur, une autre ambition se dessine. Quand David Lisnard, le 10 avril, rebondit sur la projection présidentielle Ifop Fiducial réalisée pour Le Figaro Magazine, certains militants ont le sentiment qu’il avançait un peu plus vers la présidentielle. «Aucune alternance n’apparaît sérieuse (y compris à droite où LR n’a plus, à ce jour, de présidentiable éligible)…», écrivait-il sur Twitter. Comme si le maire LR de Cannes posait ses jalons, notamment lorsqu’il juge «plus grave» l’absence d’alternative face au duo «conformisme impuissant du pouvoir actuel/démagogie racoleuse et trompeuse des oppositions».

Face à la macronie, il veut construire «une nouvelle espérance». «C’est à cela que je vais m’atteler avec Nouvelle Énergie», prévient Lisnard, après avoir esquissé le portrait d’une sorte de gouvernance idéale faite de «principes», «solutions», «compétences», «dévouement à l’intérêt de la France…»

Le choix d’une communication sur les réseaux sociaux est perçu par certains comme le signe d’une hésitation à se lancer franco. Mais force est de constater que le président de Nouvelle Énergie saisit toutes les bonnes occasions pour rappeler l’existence de la structure politique qu’il échafaude depuis plusieurs mois, pierre par pierre. «Il continue! Sa stratégie n’a pas changé. Il fait valoir ses convictions, qui sont celles de son mouvement: lutte contre la bureaucratie, efficacité de l’État et unité de la nation. Et il est en train de professionnaliser un parti qui reposait jusqu’à présent sur des bénévoles», explique-t-on à Cannes.

Les trois vies de David Lisnard

Son image de libéral attaché à la souveraineté, soucieux de la bonne utilisation de l’argent public et défenseur de la décentralisation, trouve un écho certain à droite. Même si David Lisnard reconnaît lui-même un déficit de notoriété nationale, ses partisans se réjouissent d’une «réelle dynamique», affirment que Nouvelle Énergie est déjà implanté sur «80 % du territoire». «Il a des adhérents et des relais partout. D’ailleurs, ces adhésions (10 à 20 euros) nous apportent les moyens d’envisager le lancement de notre siège national à Paris avant la fin de l’année, voire d’ici à l’été», annonce un proche.

À 54 ans, David Lisnard semble mener de front trois vies: sa gouvernance cannoise, la présidence de la puissante Association des maires de France et son projet politique national. Ses partisans louent sa volonté de «se rapprocher des faiseurs», sa capacité à renouer avec «des gens très engagés qui ne croyaient plus en la parole politique». Certains enseignants, plutôt à gauche, seraient sensibles à son discours sur l’école et la culture, loue-t-on encore. «Il dit ce qu’il fait et fait ce qu’il dit. Les gens le voient en présidentiable car tout le monde sait que son seul objectif est d’être utile au pays.»

L’envie ne peut pas être le premier moteur d’une candidature présidentielle, le vrai moteur, c’est la capacité

Un soutien de David Lisnard

Malgré ces louanges, les plus sceptiques s’interrogent sur la solidité de son expérience. Mais là encore, les réponses sont prêtes. Pourquoi n’a-t-il jamais été ministre? «On lui a proposé mais il n’a jamais voulu et dans sa mairie, c’est lui qui décide.» Pourquoi n’est-il jamais passé par la case parlementaire? «Il a fait le choix de la commune». A-t-il réellement envie de partir à l’assaut de l’Élysée? «L’envie ne peut pas être le premier moteur d’une candidature présidentielle, le vrai moteur, c’est la capacité. Il ne se cache pas mais Macron étant à peine réélu, le moment n’est pas venu.» À cette heure, David Lisnard est dans le temps du maillage des partisans. Ses cibles sont déjà bien identifiées. Pointant régulièrement les failles de l’exécutif, le maire n’a pas manqué la dernière allocution télévisée du président de la République. Elle fut d’ailleurs le déclencheur d’un commentaire assassin lâché, sur Twitter une fois encore, comme une flèche: «L’inaction mène à l’incantation… Six ans de présidence, onze ans de pouvoir, quarante d’étatisme.»

Plus au nord du pays, une autre écurie se prépare. Pour Xavier Bertrand, le temps de l’échec à la primaire LR, à en croire son entourage, est loin. «C’est derrière lui», assure François Durovray, président du conseil départemental de l’Essonne et proche du président des Hauts-de-France. Désormais, l’heure serait à l’implantation du parti Nous France, lancé en octobre dernier à Saint-Quentin dans son fief de l’Aisne. «On est en train de se déployer dans toute la France», assure Bernard Deflesselles, secrétaire général du mouvement et ancien parlementaire LR des Bouches-du-Rhône. «Nous avons une présence dans environ deux tiers des départements, avec des référents régionaux et départementaux», précise-t-on. En parallèle, le président des Hauts-de-France compte bien faire entendre ses idées. «Il veut dégager des lignes de force et une véritable pensée sur les grands sujets de préoccupation de nos concitoyens», décrivent ses proches, dans un vocabulaire feutré. Traduction: faire vivre la «droite sociale» au sein de sa famille politique, être le porte-parole des thématiques travail, justice sociale, énergie ou encore santé. «Xavier Bertrand incarne un courant de pensée qui met l’homme au cœur de l’économie», s’enthousiasme Pascal Coste, président du conseil départemental de Corrèze.

Mais sur ce créneau, dans le brouhaha des retraites, on a eu le sentiment chez LR que sur ces sujets, Aurélien Pradié avait quelque peu volé la vedette à Xavier Bertrand. La réplique de l’ami Coste ne se fait pas attendre et détache le député du Lot de son aîné politique: «On n’est pas sur un concours d’incarnation. Aurélien Pradié porte ces sujets au Parlement. Xavier Bertrand les porte au quotidien et se prépare

2027 déjà dans le viseur? On reconnaît l’hypothèse mais «quatre ans, c’est une éternité», balaye-t-on aussi avec prudence. «L’idée, c’est d’être dans le jeu et de ne pas être de simples spectateurs», assure Bernard Deflesselles. Dans tous les cas, abonde son entourage, il faut «un récit». «C’est un travailleur acharné et doué d’une grande résilience», loue François Durovray, en vantant chez l’ancien ministre les «qualités qu’on attend d’un chef». «C’est un présidentiable possible, celui qui est le plus préparé et qui travaille depuis longtemps pour ça», renchérit à son tour Pascal Coste. Il voit son candidat préféré partout dans les médias depuis deux semaines. «Il n’y a que lui qui parle.»

Revenir au pouvoir

D’aucuns prêtent à Xavier Bertrand, 58 ans, une ambition plus immédiate, directement liée à la rumeur d’un changement de tête à Matignon. Chez LR, certains affirment même avec certitude qu’il se verrait bien au poste d’Élisabeth Borne. «Il a pour lui l’expérience du dialogue social qui peut être utile dans la situation actuelle», juge Philippe Juvin, l’un des trois députés LR qui ont plaidé dans une tribune publiée dans Le Figaro pour un premier ministre issu de leurs rangs «pour sortir de l’impasse politique». «Est-ce que ça peut matcher avec le président? En tout cas, il fait partie du casting.» Quoi qu’il en soit, présidence de l’Élysée ou direction du gouvernement, le périmètre visé reste celui du pouvoir.