«Que les enseignants ayant conscience de ce qui se joue à l'école recouvrent leur liberté pédagogique.» Sutthiphong / stock.adobe.com

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Les erreurs de raisonnement et autres fausses nouvelles en matière d'économie polluent le débat public, déplorent l'enseignante Lisa Kamen-Hirsig et l'ex-professeur d'économie Pierre Robert. D'où, selon eux, la nécessité de familiariser les enfants avec cette discipline.

Le Figaro-Vox - 2 mai 2023 - Par Par Lisa Kamen-Hirsig et Pierre Robert

Il y a bien longtemps, nos ancêtres avaient constaté que les naissances étaient plus nombreuses dans l'est de la France, région où les cheminées sont souvent coiffées de nids de cigognes : le nombre de naissances leur semblait évoluer dans le même sens que le nombre de ces échassiers. Corrélation vite transformée en causalité : assurément, c'étaient les cigognes qui apportaient les bébés… Ici, l'erreur est patente mais cette confusion entre corrélation (A varie en même temps que B) et causalité (A est la cause de B) est très fréquente et se niche jusque dans les discours politiques et les quotidiens les plus sérieux. De même qu'un chiffre ne refuse jamais de se marier avec un autre chiffre, une donnée ne refuse jamais d'être rapprochée d'une autre. On voit tout de suite l'absurdité de calculer la moyenne de taille des animaux d'une ménagerie en additionnant la taille d'un macaque, d'une girafe et d'un ourson pour dire qu'en moyenne ils mesurent 1,42 m. De même, imputer le taux de divorce dans le Maine à l'évolution de la consommation de margarine aux États-Unis est une corrélation saugrenue, repérée avec bien d’autre part le site Tylervigen.

Il y a pourtant bien des cas où les erreurs de ce type ne sautent pas aux yeux. Elles nourrissent alors des raisonnements fallacieux et enfantent toutes sortes de «fake news», abondamment relayées par les médias. Cela est particulièrement vrai en économie ou, plus qu'ailleurs, on est enclin à postuler des liens de causalité qui n'existent pas. Du haut de notre rationalité, nous pouvons trouver insensés ces aborigènes du Vanuatu pratiquant le culte du cargo, convaincus qu'en mimant les gestes des opérateurs radio américains devant une boîte en fer, ils obtiendront un ravitaillement tombé du ciel. Mais nos incantations sur le retour de la croissance et du plein-emploi sont-elles si différentes ?

Autre causalité fallacieuse récurrente: si la majorité des Français s'appauvrit, c'est parce que les riches s'enrichissent ; si Bernard Arnaud s'enrichit et que la situation des plus défavorisés se dégrade, il doit bien y être pour quelque chose.

Lisa Kamen-Hirsig et Pierre Robert

Et que dire de nos emballements autour de la question des licenciements boursiers qui défraient régulièrement la chronique ? À l’origine, un évènement monté en épingle : en septembre 1999, l'entreprise Michelin licencie une partie de ses effectifs, simultanément son cours de Bourse monte. De là à en déduire que les entreprises licencient leurs salariés pour enrichir leurs actionnaires, il n'y a qu'un pas. On ne devrait pourtant pas le franchir car cette corrélation de court terme porte sur un cas isolé. Elle ne correspond en rien au cas général. Les études les plus sérieuses rejoignent le simple bon sens : quand une entreprise licencie c'est parce qu'elle est en difficulté, ce qui se traduit par une baisse du cours de son titre. S'il y a une relation de causalité, elle est inverse de celle qui a été proclamée urbi et orbi par tous les adversaires de l'économie de marché. L'émoi suscité dans l'opinion a pourtant donné naissance à une loi de circonstances dont se passent fort bien nos voisins du Nord qui souffrent beaucoup moins du chômage.

Plus récemment, on a beaucoup glosé, les Insoumis en tête, sur le fait que d'une part les prix montaient et que d'autre part, «comme par hasard», les profits des entreprises du CAC 40 augmentaient. Cette corrélation a été érigée par Jean-Luc Mélenchon en causalité : les patrons profiteraient de la situation pour augmenter leurs marges et provoqueraient la hausse des prix. Parmi d'autres, un grand quotidien du soir a repris l'antienne le 22 avril dernier, barrant sa une de ce gros titre : «Pourquoi les marges de l'industrie dopent l'inflation», assortie d'un commentaire affirmant que les entreprises étaient les principales responsables de l'inflation, «largement devant les salaires». Le corps de l'article était plus prudent, montrant que l'augmentation récente des marges était un rattrapage après une période de contraction et que la «revanche des industriels» ne pouvait être que brève.

Autre causalité fallacieuse récurrente: si la majorité des Français s'appauvrit, c'est parce que les riches s'enrichissent ; si Bernard Arnaud s'enrichit et que d'autre part la situation des plus défavorisés se dégrade le premier doit bien y être pour quelque chose. Variante : si les uns sont en difficulté, parfois même contraints de renoncer à l'un de leurs repas quotidiens (reportage diffusé le 8 avril par TF1), c'est parce que les profits des entreprises du CAC 40 «explosent». C'est oublier que les firmes multinationales d'origine française réalisent l'essentiel de leurs profits à l'étranger, paient de lourds impôts en France et procurent à nos compatriotes des milliers d'emplois.

Aujourd'hui, l'institution leur fait subir un lavage de cerveau au long de leur scolarité. Les programmes et manuels de sciences économiques et sociales du lycée sont orientés vers des visions marxistes, bourdieusiennes et keynésiennes.

Lisa Kamen-Hirsig et Pierre Robert

L' «effet cigogne» biaise aussi la réflexion sur les déséquilibres de nos finances publiques. D'une part on constate que le gouvernement baisse les impôts sur la production, d'autre part que la dette publique augmente. On peut aussi mettre en regard la suppression de l'ISF transformé en IFI et l'accroissement du déficit de l'État. Il est vrai que dette et déficits publics ont pris des proportions inquiétantes mais pour d'autres raisons dont les moindres ne sont pas la politique du «quoi qu'il en coûte» et notre incapacité à juguler les dépenses de fonctionnement des administrations publiques. Alléger la charge qui pèse sur les entreprises ne peut au contraire que favoriser la croissance et, par là, le financement de notre modèle social.

Ces erreurs de raisonnement et leur cortège de corrélations trompeuses polluent le débat. Elles s'appuient sur des sophismes économiques pourtant simples à détecter. Selon le premier, l'économie serait un jeu à somme nulle : ce que les uns gagnent, forcément d'autres le perdent. Selon le deuxième, l'entreprise constituerait par essence un lieu d'exploitation des uns par les autres. Enfin, selon le troisième, les ressources seraient forcément mieux employées par le secteur public, soucieux de l'intérêt général, que par le secteur privé, mû par la recherche du profit. Ces paralogismes sont les matrices de raccourcis brouillant le jugement, détournant l'opinion publique des vrais problèmes et provoquant la paupérisation de notre pays. Ils se conjuguent à un romantisme révolutionnaire entretenu par l'école prônant l'égalitarisme à tous crins.

Dogmes, préjugés et idées reçues attendent nos enfants en embuscade, au coin du bois, rapaces de la pensée, du bon sens et de l'esprit critique. Aujourd'hui, l'institution leur fait subir un lavage de cerveau méthodique tout au long de leur scolarité. Les programmes et manuels de sciences économiques et sociales du lycée sont, ainsi que plusieurs rapports l'ont montré, orientés vers des visions marxistes, bourdieusiennes et keynésiennes de l'économie et de la société. Ils relaient massivement les raisonnements fallacieux que nous avons évoqués plus haut, associant systématiquement mondialisation et pauvreté, ou encore croissance des inégalités et lois du marché.

Il faut aussi familiariser les enfants avec l'entreprise, les initier à des notions basiques comme la loi de l'offre et de la demande, leur raconter la naissance des marques à succès, dédiaboliser l'argent et la réussite.

Lisa Kamen-Hirsig et Pierre Robert

Ils devraient au contraire insister sur la logique et montrer dès les petites classes que corrélation n'est pas causalité. Les domaines des mathématiques et de l'histoire semblent les plus concernés, mais un travail en français sur les mots de liaisons ou les syllogismes peut également être une occasion d'insister sur l'importance de bien articuler sa pensée. En Suisse, on aime le chocolat et il y a de nombreux prix Nobel. Le pays est septième du classement pour son attribution, ex aequo avec la Russie pourtant beaucoup plus peuplée. Même un jeune enfant peut comprendre que ce n'est pas le chocolat qui rend plus intelligent mais que les deux phénomènes partagent peut-être une cause commune : les pays les plus développés investissent davantage dans la recherche et leurs habitants ont un niveau de vie qui leur permet d'acheter plus de chocolat.

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Il faut aussi familiariser les enfants avec l'entreprise et ses vocations, les initier à des notions basiques comme la propriété privée, la valeur ajoutée ou la loi de l'offre et de la demande, leur raconter la naissance des inventions ou des marques à succès, dédiaboliser l'argent et la réussite. Que les enseignants ayant conscience de ce qui se joue à l'école recouvrent leur liberté pédagogique. Si ce n'est pas possible, créons des lieux alternatifs d'enseignement de la logique, du droit et de l'économie pour les petits enfants.