Dominique Reynié et Malika Sorel. Jean-Luc Bertini pour le Figaro Magazine / JEAN LUC BERTINI / Jean-Luc Bertini pour le Figaro Magazine / JEAN LUC BERTINI

Immigration

Devant les lecteurs du Figaro et du Figaro Magazine, le directeur de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) et l’ancien membre du Haut Conseil à l’intégration ont débattu de la question de l’immigration.

FigaroVox - 12 mai 2023 - Par Alexandre Devecchio et Pierre-alexis Michau

Tous deux sont convaincus qu’il s’agit d’un enjeu existentiel pour la France et qu’il est possible de mieux maîtriser les flux à condition que la volonté politique soit au rendez-vous.

À Mayotte, le gouvernement semble impuissant face à une immigration incontrôlée qui fait sombrer le département dans l’anarchie. Le cas Mayotte est-il une exception liée à la géographie ou un symbole de l’impuissance de l’État en termes de politiques migratoires?

Malika Sorel - Ce n’est pas du tout un cas particulier, l’État a démissionné sur ces sujets depuis fort longtemps. Il continue de donner des signes d’une certaine volonté, mais il ne s’agit que d’une façade et aucune action ne suit. On le constate à Mayotte comme en métropole. L’État français a perdu sa crédibilité et son autorité, il n’est plus respecté, notamment au niveau international. Il s’est par exemple engagé à donner une somme importante aux Comores chaque année pour qu’ils conservent leurs ressortissants, mais les Comoriens ne respectent pas l’accord et laissent les habitants partir en les empêchant même de revenir. Actuellement, Gérald Darmanin essaye de renvoyer les clandestins aux Comores mais le gouvernement comorien le refuse. C’est exactement la même chose pour les pays du Maghreb, que ce soit l’Algérie ou le Maroc.

Est-ce un manque de volonté ou une forme d’impuissance?

Malika Sorel - L’État français a volontairement organisé sa propre impuissance. En Allemagne, 60 % des OQTF (obligation de quitter le territoire français, NDLR) sont effectuées, dans l’ensemble de l’Europe la moyenne est à 43 %, et chez nous seulement à 12 %. Lorsque j’étais membre du Haut Conseil à l’intégration, nous savions parfaitement qu’on ne pourrait pas expulser les immigrés qu’on faisait venir. D’autres pays de l’Union européenne, comme le Danemark qui est de plus dans l’espace Schengen, arrivent très bien à renvoyer les clandestins. Il faut se demander pourquoi nous n’y arrivons pas. Selon moi, il s’agit avant tout d’un problème d’ordre politique. Nos élites politiques, que j’ai beaucoup fréquentées, ne veulent pas regarder en face la gravité du sujet, envoient en permanence des signaux contradictoires, et font parfois semblant d’agir. Cela aboutit au fait que la France, dans sa globalité, n’est plus respectée. L’impuissance est venue à force de ne pas agir, à force de régulariser les clandestins au fil de l’eau, comme on veut encore le faire avec le nouveau projet de loi sur l’immigration. En effet, le principal article de ce projet est de régulariser et donc en quelque sorte de donner une prime à ceux qui bafouent la loi française.

Il ne faut pas compter sur les pays d’origine. Si l’on prend l’exemple du Maroc, certaines années, l’argent envoyé par les résidents à l’étranger représentait la première entrée de devises dans le pays. Ils n’ont donc aucun intérêt à récupérer leurs ressortissants, d’autant plus que ceux qui partent sont des jeunes, ce qui diminue le risque insurrectionnel de la jeunesse dans ces pays.

Dominique Reynié, pour vous, Mayotte est-il un cas particulier ou le symbole d’une situation plus générale?

Dominique Reynié - Il y a bien sûr des particularités historiques et géographiques qui expliquent la situation à Mayotte. Ce qui est sûr, c’est que nous faisons face à des événements dramatiques. Les Mahorais appellent à l’aide parce qu’ils sont victimes de toutes les conséquences désastreuses de cette absence de politique migratoire, que ce soit la délinquance, les trafics, la dégradation généralisée de leur situation, sans parler des services publics… Ce sont donc nos compatriotes qui nous appellent à l’aide, et que nous semblons ne pas pouvoir aider. Ils comptent pourtant sur nous puisqu’il s’agit de compétences régaliennes. Je suis frappé que ce ne soit pas un sujet qui nous occupe davantage. Je le redis, ce sont nos compatriotes qui sont en danger. Certes, quelques actions sont tentées et il n’est certainement pas aisé d’améliorer la situation, mais on peut y voir l’apologue de ce que nous sommes et de ce qui est en train de nous arriver, à grande échelle. La population à Mayotte est maintenant pour moitié étrangère et 50 % de ces étrangers sont en situation irrégulière.

Nous assistons à une dissolution de la puissance publique, puisqu’on touche à l’autorité de l’État sur un territoire géographiquement circonscrit, à la fois département et région, où la population, et avant tout les Français devraient bénéficier de la protection de notre puissance publique. Quelles seraient les conséquences si nous devions conclure à la vacance de l’État sur les critères qui fondent son autorité? Je me souviens d’un terrible calicot récemment exhibé par des manifestants mahorais et qui disait: «Les seuls étrangers à Mayotte sont les Français!»

Dire qu’il est impossible d’opposer notre souveraineté à la souveraineté comorienne, alors que nous sommes dans notre bon droit, serait conclure qu’il n’y a plus d’État

Dominique Reynié

Le droit du sol à Mayotte a été modifié. Était-ce suffisant? Faut-il aller plus loin?

Dominique Reynié - Il va être difficile de redresser la situation, d’autant plus qu’on s’y est pris très tard. La remise en question du droit du sol a été esquissée, mais cela ne fonctionne pas. À Mayotte, les trois-quarts des enfants naissent de mère étrangère. Selon la députée Estelle Youssouffa, on reconnaît officiellement 300.000 habitants sur l’île, alors qu’il y en a probablement 500.000. Malheureusement, notre débat public en témoigne, nous n’avons pas l’air de comprendre que l’enjeu est dramatique pour les Mahorais et crucial pour tous les Français. La situation est choquante, non seulement parce que, de fait, nous n’arrivons pas à affirmer notre souveraineté par le contrôle des entrées sur notre territoire, mais aussi parce que les Comores nous opposent leur souveraineté étatique, pour refuser de respecter l’accord passé avec nous. On ne saurait donc constater la fin de la souveraineté étatique dans le monde. Il faut plutôt considérer la dégradation de la souveraineté française. Mayotte est un sujet compliqué, mais nous ne pouvons pas nous résigner à laisser les choses telles quelles, quand on connaît les enjeux humains et politiques. Dire qu’il n’est pas possible de mettre fin à cette situation est irrecevable. Dire qu’il est impossible d’opposer notre souveraineté à la souveraineté comorienne, alors que nous sommes dans notre bon droit, serait conclure qu’il n’y a plus d’État.

Malika Sorel, doit-on aller plus loin sur la question du droit du sol? Vous avez conseillé un certain nombre de dirigeants, qui ne vous ont pas toujours écouté. Que leur diriez-vous aujourd’hui?

Malika Sorel - La question de la nationalité est décisive. Je plaide, dans mon livre, pour un moratoire sur l’attribution de la citoyenneté française. Le droit de la nationalité est un droit de propriété sur la terre, qui doit être respectueux du peuple et de son identité. Mais aujourd’hui ces titres nous causent des difficultés terribles. Si les élites politiques avaient respecté le Code civil, qui oblige à ce que l’octroi de la carte d’identité française soit subordonné à l’assimilation culturelle et le choix de la France comme patrie, nous n’en serions clairement pas là. Donner la nationalité française et donc le droit de vote à des millions de personnes qui ne sont pas devenues culturellement françaises et qui n’ont pas choisi la France comme patrie, a évidemment orienté l’élite politique vers le communautarisme et le clientélisme politique. Il s’agit là du principal problème qui a engendré tous les autres. C’est ce phénomène qui a conduit la France au séparatisme. François Hollande parle de «partition», Jérôme Fourquet d’«archipel Français» mais je préfère utiliser le terme de «décomposition française». Les citoyens doivent se saisir de cette question et comprendre ce qui est en jeu, à savoir la souveraineté, qui passe aussi par le droit de vote.

Les élites politiques, sur le terrain, cultivent le vote communautaire. C’est pourquoi les communautés qui s’installent sur notre sol ne cherchent pas à s’assimiler. Si elles s’assimilaient, les politiques ne les courtiseraient plus. Elles ont bien compris qu’en ne s’assimilant pas, l’élite politique allait leur faire des concessions, leur donner des droits supplémentaires même s’ils sont contraires à la laïcité, leur permettre de ne pas respecter l’égalité homme-femme… Je l’ai vu de mes propres yeux lorsque j’étais à l’intérieur de la machine. Aujourd’hui, il n’y a nul besoin de réformes, il suffit de contraindre les élites politiques et la haute administration à respecter le code de la nationalité ainsi que le Code civil, comme c’est le cas en Algérie et au Maroc. Les pays du Maghreb respectent leurs peuples. L’État français les critique mais renvoie lui-même une image d’impuissance très néfaste. On ne peut pas être respecté si on se met à genoux, si on tombe dans la repentance perpétuelle. Comme disait John Locke, lorsqu’on dit oui à tout, on cesse d’exister.

Nous avons une culture judéo-chrétienne fondée sur la personne et le pardon, et la culture des pays du Maghreb, comme vous le dites dans votre livre, repose davantage sur le respect et l’honneur…

Malika Sorel - N’oublions pas l’héritage grec. Les immigrés arrivent dans un pays où il n’y a pas de respect, c’est-à-dire où l’on n’impose pas de limites, où les délinquants ne sont pas punis, où l’on donne la nationalité française à des personnes qui n’embrassent pas notre culture... Plusieurs chiffres sont très significatifs sur l’évolution de la France. En 2019, l’Insee publie que 44% de l’augmentation de la population française est due aux immigrés, à savoir aux personnes nées étrangères à l’étranger, ce qui n’inclut même pas les populations «issues de l’immigration». C’est absolument monumental. Et un sondage de l’Ifop a montré que 70% des jeunes issus de l’immigration musulmane placent la religion, donc l’islam et les lois de la charia, au-dessus des lois de la République. On se demande alors ce qu’il adviendra demain des libertés individuelles, après avoir donné le droit de vote de manière automatique.

Dans le monde arabo-musulman, la liberté individuelle n’existe pas, il n’y a pas de choix de son propre destin, l’égalité entre l’homme et la femme n’existe pas non plus. Les Français veulent-ils réellement renoncer à tous ces acquis qui ont pris des siècles? Veulent-ils renoncer à la fraternité, qui transcende l’appartenance religieuse, ainsi qu’à la laïcité et à la liberté individuelle? Jean-Paul II, lorsqu’il est venu en France, a bien rappelé que la laïcité est un héritage de la chrétienté, Jésus demandant de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. La France est actuellement en situation d’ébullition. Les Français se demandent ce que la France a fait de toutes ses richesses. Lorsque je suis revenue vivre en France, nos yeux s’illuminaient, nos discussions en tant qu’ingénieurs portaient sur Ariane, Airbus... Aujourd’hui dans les entreprises les préoccupations portent sur l’autorisation ou non des prières au sein des locaux. Il faut bien réaliser où nous en sommes arrivés en termes de cohésion des équipes et de cohésion nationale.

La loi asile et immigration est finalement reportée. Est-ce un nouveau signal de renoncement des élites politiques à s’emparer de ce sujet?

Dominique Reynié - Le report n’est pas non plus surprenant après l’épisode de la réforme des retraites. Emmanuel Macron n’a pas de majorité suffisante pour faire voter des lois compliquées. L’aile gauche de la macronie ferait défaut sur l’immigration. Nous sommes menacés d’inertie législative. Mais ce sont les Français qui ont choisi de ne pas accorder de majorité absolue au camp présidentiel. De plus, le problème de l’immigration n’a cessé d’empirer dans le temps. Il n’a pas été correctement pris en charge par les présidents précédents. Nous payons 50 ans de laisser-aller ou de fatalisme. Alors, qu’il y a tant à faire, nous risquons de ne pas faire grand-chose sans majorité absolue.

Le référendum ne peut-il pas être une solution à cette absence de majorité absolue? Si les élus sont très divisés sur ces sujets, les sondages montrent qu’une grande majorité des Français sont d’accord pour limiter drastiquement les flux migratoires.

Dominique Reynié - Je crois avoir une idée assez claire de ce qu’exprimeraient les Français s’ils étaient consultés. Il existe un consensus plus large sur l’immigration que sur les retraites. Cela dit, si le référendum est une solution intéressante, c’est à condition de préciser sa portée. On ne peut pas faire un référendum sur une question aussi compliquée que la régulation de l’immigration. On pourrait à tout le moins soumettre aux Français l’adoption d’un moratoire sur l’octroi de la nationalité. Si nous décidions par référendum un moratoire, de quatre ou cinq ans, afin de définir une politique efficace, mais sans pouvoir cesser d’accueillir des centaines de milliers de migrants irréguliers, il apparaîtrait alors que la souveraineté populaire n’est pas plus capable que la souveraineté étatique. Le résultat serait tragique.

Il est étonnant que les politiciens ne semblent toujours pas avoir compris l’importance du peuple dans un pays. De toute l’Europe, la France est le seul pays à avoir un système aussi défait et en même temps aussi attractif pour l’immigration. Les irréguliers pénètrent sans trop de difficultés et jouissent des mêmes soins et aides que les citoyens français. Nous avons mêmes des «visas pour soins», le site du ministère de l’Intérieur les met en avant, en soulignant que nous sommes le seul pays au monde à délivrer ce titre de séjour. Cela concerne 30.000 personnes qui, ne pouvant s’offrir les soins nécessaires dans leur pays, rejoignent notre pays pour y être soignées. Une telle pratique est déraisonnable, économiquement et politiquement, car elle pèse sur la solidarité nationale. Je n’ai d’ailleurs pas réussi à trouver le chiffre du coût que cela représente.

Dans la mesure où nos voisins italiens, finlandais, danois, autrichiens, néerlandais ou suédois amorcent un durcissement de leurs conditions d’accueil, nous devenons d’autant plus attractifs

Dominique Reynié

Au fil du temps, en France, une conception compassionnelle de l’immigration s’est installée, alors que nous devrions affirmer une stratégie d’État, conçue depuis l’intérêt de l’État, de notre territoire et de notre population. Comme l’a dit Malika Sorel, l’accès à la nationalité est une question fondamentale, nous pouvons être ouverts mais à condition d’être exigeants. Depuis 50 ans, nous sommes de fait accueillants. Ce n’est pas par choix, mais parce que nous n’avons voulu assumer aucune politique. Notre situation n’est pas le fruit d’un plan, d’une préférence, d’une vision. Il n’y a rien de tout cela. Les majorités successives ont simplement laissé les choses se faire. Les ouvrages et les rapports ont été multipliés, nous savions ce qui allait arriver. Il faut noter que les sciences sociales ont joué un rôle hélas très négatif dans cette situation, en refusant d’étudier ce sujet pourtant majeur, au motif puéril de ne pas se compromettre avec des idées jugées dangereuses, voire répugnantes, et non sans soupçonner les rares chercheurs s’efforçant de le faire. Il est piquant de voir tant de spécialistes de sciences sociales prétendre comprendre les mouvements électoraux parcourant les démocraties européennes sans prendre en considération l’enjeu de l’immigration.

Pour les migrants, avec le temps, la France est devenue de plus en plus attractive. Dans la mesure où nos voisins italiens, finlandais, danois, autrichiens, néerlandais ou suédois amorcent un durcissement de leurs conditions d’accueil, nous devenons d’autant plus attractifs. Pour ma part, je sais que si j’avais dû défendre ma famille dans un pays où la vie est difficile, j’aurais pris ce type de décision. Il n’est pas question de jeter la pierre à ceux qui tentent de nous rejoindre, parfois au péril de leur vie. Mais il est indispensable de faire respecter la souveraineté de notre État. De plus, on ne peut espérer intégrer avec succès si des personnes rejoignent notre pays pour de mauvaises raisons. Or, notre système est trop généreux, trop laxiste. Il ne faut pas confondre le désir de devenir Français et la facilité à venir vivre en France, même sans papier. Ce n’est pas de nature à favoriser leur intégration. Il faut des personnes qui souhaitent mettre leurs compétences à la disposition de notre pays, qui soient fières de contribuer à la nation. Il y en a, mais trop peu et c’est notre faute, parce que nos règles ne sont pas bonnes.

Malika Sorel, que pensez-vous d’une possible consultation du peuple français sur l’immigration et de la générosité de notre système social?

Malika Sorel - Je ne suis pas d’accord pour dire qu’il n’y a pas eu de politique d’immigration. C’était simplement une politique de laisser-aller, de laxisme. Par rapport à l’immigration choisie comme au Québec ou au Canada, ce n’est pas non plus une solution. Lorsque j’étais au Conseil à l’intégration, nous avions reçu les officiels canadiens, qui nous ont avoué à huis clos que leur système d’immigration était un échec. Comme ils nous l’ont expliqué, les immigrés viennent pour avoir une vie meilleure, se conforment aux lois du pays d’accueil, ce qui est très positif, mais leurs descendants vont ensuite se poser les questions très lourdes de l’identité culturelle. Le cœur et l’esprit. Ça se joue là, la question de la Patrie. Que les Québécois ne viennent pas nous dire que l’immigration choisie marche chez eux, c’est faux, on vote en burqa dans leur pays. Brice Hortefeux, lorsqu’il était ministre de l’Immigration sous Sarkozy, a fait des listes de métiers de basse qualification, pour ramener l’immigration nécessaire, alors que nous aurions parfaitement pu former les Français. La future loi immigration entend faire exactement la même chose.

Pour revenir sur le référendum, le peuple est souverain et se positionne au-dessus de toute autre institution, du Conseil constitutionnel y compris. Si on refuse de l’écouter, nous allons faire face à une nouvelle révolution. Ce qui est en jeu, c’est la continuité historique du peuple français, qui remonte à plus de 1000 ans. Il est nécessaire de rendre le pays moins attractif pour ceux qui veulent venir. Certes ces personnes sont dans la misère, mais lorsqu’elles arrivent, une partie non négligeable verse dans la délinquance. Emmanuel Macron l’a reconnu lui-même mais ne change rien à ses politiques migratoires, ça relève de la mise en danger de la vie d’autrui. De plus, on ne peut pas freiner les mouvements migratoires en continuant à faire venir l’élite de ces pays.

Dans le nouveau projet de loi, on veut faire en sorte que les infirmiers, les médecins et les ingénieurs maghrébins viennent en France

Malika Sorel

Dans un décret de décembre 2017, dont personne n’a parlé, tout avait été fait pour attirer les médecins d’Algérie en France. Dans le nouveau projet de loi, on veut faire en sorte que les infirmiers, les médecins et les ingénieurs maghrébins viennent en France. On vide les pays pauvres des catégories qui représentent un espoir de développement, il est par conséquent logique que les autres classes sociales, les malheureux, suivent. Mais ça ne date pas d’aujourd’hui, en 1963 Pompidou affirmait qu’il fallait aller chercher de la main-d’œuvre à l’étranger afin de créer une détente sur le marché de l’emploi, c’est-à-dire pour empêcher les salaires d’augmenter. Dans une lettre au recteur de la mosquée de Paris, George Marchais écrivait que la France ne peut plus accueillir d’immigration, car cela nuit aux travailleurs français. Il parlait également des problèmes de cohabitation culturelle. Nous en étions donc déjà conscients à cette époque.

Nous ne pouvons pas continuer à vider le Maghreb et l’Afrique des sphères qualifiées. Peu d’étudiants étrangers repartent de France. C’est devenu le premier flux avec 100.000 par an. Sur tous ces sujets, les différents gouvernements disposaient de toutes les informations et statistiques. Ils n’ont pas même l’excuse de ne pas savoir. J’ai toujours écrit que j’étais opposée à la publication de ces statistiques ethniques. L’opinion publique pense, à tort, que si ces chiffres avaient été publiés, alors l’État aurait agi. Le Danemark publie ces statistiques et cela ne les a pas aidés puisque, selon l’ONU, ils ont représenté le deuxième contingent de départs au Djihad. Mais surtout, John Locke en traitant de la religion, dit bien qu’«il ne faut pas donner aux hommes l’occasion de se compter, de connaître leurs forces, de s’encourager les uns les autres, et de s’unir promptement en toutes circonstances.»

Il nous faut établir une politique cohérente. Nous devons dissuader les immigrés de venir lorsque leurs pays refusent de reprendre les clandestins, Il faut refuser de donner des visas. Nous avons les moyens, satellitaires et militaires, de contrôler les flux de migration en Méditerranée. J’ai entendu dans une réunion Hubert Védrine dire qu’une solution consistait à envoyer les navires de l’autre côté pour contrôler les flux de migration en Méditerranée, et le général Gomart avait dit la même chose. C’est une question de volonté politique. Pour agir, nous n’avons pas besoin du projet de loi sur l’immigration.

L’économiste Jean-Paul Fitoussi disait que les trois quarts de la dette étaient dus aux banlieues, c’est absolument titanesque mais personne n’a réagi. Selon l’OCDE, le coût de l’immigration est au minimum de 30 milliards par an pour la France. Mais s’il y a un référendum, il va y avoir un déchaînement de médias, des manipulations, pour affirmer envers et contre tout que l’immigration rapporte à la France. Je ne suis pas certaine qu’un référendum donne des résultats cohérents alors même que la France est à genoux avec 3000 milliards de dettes, et qu’elle est confrontée à des problèmes d’intégration culturelle.

Nicolas Sarkozy avait fait en sorte que les étudiants étrangers repartent après leurs études, ce qui est tout à fait normal, ils doivent participer à l’essor de leur pays. Mais la promesse de l’abrogation de cette circulaire est devenue un enjeu politique car François Hollande, par pur clientélisme, s’est saisi de la revendication du «Collectif du 31 mai» qui avait réussi à entraîner une partie des jeunes derrière lui. Cela a concouru à la défaite de Nicolas Sarkozy. Une fois élu, François Hollande a aussitôt abrogé la circulaire sur les étudiants étrangers qui représentent désormais le premier flux migratoire. Aujourd’hui, l’un des fondateurs de ce collectif est intégré à la direction des LR. Il faut faire en sorte que les élites politiques de droite et de gauche deviennent cohérentes et cessent d’avoir un double discours sur le sujet de l’immigration. Les Français ont absolument tout sous les yeux, ils ne peuvent plus ignorer ce qui se passe. Selon l’Ifop, un enseignant sur deux se censure. Comment voulez-vous que la France se développe économiquement dans ces conditions, si les professeurs ne peuvent plus délivrer le programme scolaire? L’immigration est un problème global qui met en jeu le devenir de la France.

Dominique Reynié, d’autres pays ont mieux anticipé le risque migratoire, comme le montrent les enquêtes de la Fondapol. De quels pays doit-on s’inspirer?

Dominique Reynié - La France peut trouver de bonnes idées chez chacun de ses voisins. Je ne suis pas loin de penser qu’ils font tous mieux que nous en la matière. Il suffit de nous comparer pour le voir, voyez la note de la Fondapol Immigration: comment font les États européens. Exemple, en France on ne peut pas déterminer l’âge des migrants irréguliers qui se prétendent mineur, parce qu’ils ont le droit de refuser le test osseux du poignet. En Finlande, ils ont ce même droit de refus, mais ils sont alors automatiquement considérés comme majeur s’ils refusent. Partout la situation paraît mieux tenue que chez nous. Pour accéder à la nationalité dans un pays de l’Union européenne, il faut généralement attendre neuf ou dix ans et répondre à des exigences élevées et vérifiées en termes de langue, après une formation souvent à la charge du candidat. Chez nous, il ne faut que cinq ans, les compétences linguistiques requises sont faibles et les formations à la charge du contribuable. Nous n’exigeons pas non plus de ceux qui arrivent via le regroupement familial de connaître notre culture, notre langue... Beaucoup disent que nous ne pouvons rien faire à propos de l’immigration, car nous sommes pieds et poings liés à l’Union européenne. Or, c’est bien dans le même cadre européen que la plupart des États membres font mieux que nous.

Nous manquons cruellement d’un débat complètement informé. Si le gouvernement, comme vous l’avez dit Malika Sorel, a toutes les statistiques possibles, on doit constater qu’il ne les publie pas. Nous avons eu beaucoup de mal à obtenir des informations avec les équipes de la Fondapol. Par exemple, nous n’arrivons pas à savoir combien coûtent au total les titres délivrés aux 30.000 personnes qui viennent en France pour recevoir des soins. Selon certaines données, éparses, attrapées ici ou là, on découvre que le coût de certains traitements dispensés dans ce cadre est estimé à plusieurs centaines de milliers d’euros pour une seule personne. Il serait utile que la sécurité sociale communique l’ensemble de ces données. Cette absence d’information est choquante dans un pays où l’on se veut transparent. Aujourd’hui, pour la recherche en sciences sociales, les données manquent si l’on veut savoir quels sont les problèmes auxquels notre société est confrontée du fait de l’immigration. Lorsque l’on soutient qu’il n’y a pas de lien entre immigration et insécurité, qu’il s’agit d’un «fantasme», il faut à tout le moins montrer sur quelles bases statistiques on affirme cela. L’État ou ses représentants délivrent de temps à autre quelques indications parcellaires que l’on peut saisir au vol, mais jamais de données systématiques qui nous permettraient pourtant de réaliser de véritables études utiles au débat et à la décision publique.