Rapport d'information n° 674 (2011-2012) de MM. Jeanny LORGEOUX et André TRILLARD, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense du Senat, déposé le 17 juillet 2012

« Il y avait au moins deux France, l'une maritime, vivante, souple, prise de plein fouet par l'essor économique du XVIIIe siècle, mais qui est peu liée avec l'arrière-pays, tous ses regards étant tournés vers le monde extérieur, et l'autre, continentale, terrienne, conservatrice, habituée aux horizons locaux, inconsciente des avantages économiques d'un capitalisme international. Et c'est cette seconde France qui a eu régulièrement dans les mains le pouvoir politique

Fernand Braudel, La dynamique du capitalisme, p. 105

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Mesdames, Messieurs,

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a décidé, à l'initiative de son président, M. Jean-Louis Carrère, de mettre à profit la période de la suspension des travaux parlementaires, liée aux élections présidentielles puis législatives du printemps 2012, pour engager une réflexion de fond sur les enjeux de notre défense nationale et se préparer ainsi à apporter une contribution à la réflexion sur la révision prochaine du Livre blanc sur la sécurité et la défense nationale.

La commission s'est ainsi mise en position de peser sur les grands choix et les grandes orientations qui vont être décidées en matière de défense pour le nouveau quinquennat et de pouvoir participer aux travaux du nouveau Livre blanc en ayant déjà approfondi certains thèmes et pris le recul nécessaire.

Ces groupes de travail rassemblaient des parlementaires de toutes les tendances représentées au Sénat, qui ont travaillé et réfléchi ensemble, en bonne intelligence, malgré la campagne présidentielle, sur des sujets qui, à l'évidence, dépassent les clivages partisans.

 

Cette méthode devrait porter ses fruits et contribuer à la réflexion commune de la communauté des femmes et des hommes qui s'intéressent aux questions de défense.

Car, dans le contexte budgétaire actuel, nous devons plus que jamais avoir les idées claires sur les menaces et les opportunités qu'offre le contexte international, une vision précise de nos priorités, du niveau de nos ambitions et de nos objectifs, afin de déterminer les moyens que nous pouvons et voulons y consacrer.

La mondialisation s'est traduite par une montée en puissance des enjeux maritimes aussi bien en termes de flux que de ressources.

L'importance économique, diplomatique, écologique croissante des espaces maritimes dans la mondialisation fait plus que jamais de la mer un enjeu politique grâce auquel un État peut rayonner et affirmer sa puissance sur la scène internationale.

En 2008, la commission avait eu le sentiment que Le Livre blanc de 2008, sans méconnaître ces enjeux, n'en n'avait sans doute pas mesuré l'actualité et l'acuité.

C'est la raison pour laquelle, la commission a souhaité constituer un groupe de travail sur ce thème.

Le groupe de travail a souhaité approfondir cette question dans laquelle les problématiques civiles et militaires sont imbriquées et réfléchir, voire remettre en cause des vérités que chacun semble prendre comme allant de soi.

Chacun s'accorde ainsi pour dire qu'un domaine maritime de onze millions de km2, vingt fois la superficie de la France, c'est une chance, une opportunité, un atout stratégique, économique et politique. Sans doute, encore faut-il savoir quelle est la proportion de ce territoire dont nous avons une véritable connaissance, une délimitation juridiquement incontestée, voire une simple maîtrise ? Quel pourcentage de ce territoire constitue réellement un atout stratégique ? Où sont précisément situées les ressources en hydrocarbures et en minerais susceptibles d'être exploitées à l'horizon d'une vingtaine d'années ?

Voici le type d'interrogations qui ont motivé les très nombreuses auditions de civils, de militaires, d'industriels, d'experts, d'universitaires auxquels les sénateurs du groupe de travail ont procédé afin d'éclairer leurs réflexions.

Les travaux du groupe de travail ont, en outre, bénéficié des auditions organisées conjointement avec la délégation sénatoriale à l'Outre-mer ou avec le groupe de travail de la commission sur le format des forces armées en 2014 que les rapporteurs souhaitent ici remercier.

Il a été souvent souligné, lors de ces auditions, que l'extraction pétrolière et gazière offshore, les traitements des minerais, les services en mer, les énergies marines renouvelables constituaient des secteurs d'avenir. Il est vrai que la France dispose dans ces domaines d'entreprises hautement compétitives. Mais, ont-ils la taille critique pour faire face à la concurrence ? Tous ces secteurs se valent-ils ? Quels en sont les modèles économiques ? A quel horizon ? Quel accompagnement l'Etat peut-il offrir à ces entreprises ?

Onze millions de km2 sur plusieurs océans, n'est-ce pas aussi une contrainte, l'obligation pour les pouvoirs publics et singulièrement pour la marine de cultiver un don d'ubiquité de moins en moins compatible avec nos finances publiques ?

Il a été affirmé devant les membres du groupe de travail que l'étendue de son espace maritime était devenue un enjeu majeur pour notre pays. De nombreux experts ont décrit les opportunités qu'offrent nos Zones Économiques Exclusives d'outre-mer, mais les pouvoirs publics se donnent-ils les moyens de valoriser ces espaces et ces opportunités ?

L'espace maritime français est, en effet, constitué pour 97 % de nos territoires d'outre-mer sans qu'une stratégie politique pour créer autour de ces ressources à long terme une communauté d'intérêt entre ces territoires et la métropole ne soit clairement perceptible. La valorisation des ZEE, si elle peut demain apporter une partie des réponses aux problèmes d'emploi de ces territoires, ne ravivera-t-elle pas sur le plan politique une volonté d'autonomie, voire d'indépendance, bien au-delà de la problématique économique des espaces maritimes de l'outre-mer ?

Il y a des questions économiques, il y a des questions militaires sur lesquelles le groupe de travail s'est concentré afin de préparer la réflexion sur le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité.

La perspective du Livre blanc, mais surtout les choix budgétaires et donc capacitaires qui devront être effectués dans les prochains mois nous imposent de réfléchir sur l'adaptation de notre marine à l'accroissement des activités, des menaces et de la violence en mer. Car si la mer offre de nouvelles opportunités, on y constate une augmentation de la criminalité, des menaces, des trafics illicites, des risques de conflits territoriaux liés à la convoitise que suscitent les ressources naturelles des fonds sous-marins et une fragilisation croissante de nos voies maritimes d'approvisionnement.

Avec un format en nette diminution, des renouvellements repoussés d'année en année, la Marine française semble faire le grand écart. La France souhaite tout à la fois disposer d'une marine océanique porteuse de la dissuasion nucléaire et capable d'entrer en premier sur un théâtre d'opérations avec un groupement aéronaval et une marine capable de sécuriser l'ensemble de ces zones économiques exclusives, et de pouvoir comprendre, prévenir, protéger, projeter, voire intervenir sur l'ensemble des océans de la planète.

C'est une belle ambition, mais la France a-t-elle encore les moyens de cette ambition ? Où en est-on de l'application de la loi de programmation dans le domaine naval ? La Marine française reste-t-elle une marine océanique qui compte ? Qu'en est-il du format défini en 2008 ? Quels sont les programmes de modernisation et de renouvellement prioritaires pour s'adapter au nouveau contexte stratégique ?

L'expérience de la Libye a démontré la pertinence des choix capacitaires et les performances de nos armées, en général, et de la Marine, en particulier, mais n'a-t-elle pas aussi illustré leurs limites ?

En 2016, la France n'aura plus de porte-avions pendant un an et demi, c'est-à-dire que l'Europe n'aura plus de groupement aéronaval pendant une longue période, puisque, à cette date-là, les Anglais n'auront pas retrouvé leurs capacités en ce domaine. Pour construire la défense de l'Europe, il nous faut identifier des intérêts communs tels que la sécurisation de nos voies maritimes d'approvisionnement qui nous relient aujourd'hui à l'Asie et au Golfe persique.

La mutualisation dans ce domaine est-elle un leurre ou une nécessité ?

Dans un contexte où les pays émergents, notamment la Chine et le Brésil, déploient des stratégies maritimes ambitieuses, construisent les marines de demain, peut-on imaginer que, dans la situation financière où la France se trouve, nous pourrons faire l'impasse sur le développement d'une politique maritime commune qui inclut une dimension militaire ?

Voilà les interrogations auxquelles le groupe de travail s'est efforcé de répondre.