Raphaël Glucksmann, tête de liste du Parti socialiste et de Place publique aux élections européennes, à Paris le 3 juin 2024. SEBASTIEN SORIANO / Le Figaro

Politique

À touche-touche avec la candidate macroniste dans les sondages, la tête de liste sociale-démocrate se confie sur sa campagne et sur l’avenir.

Le Figaro - 4 juin 2024 - Par Richard Flurin et Pierre Lepelletier

Raphaël Glucksmann est la tête de liste aux élections européennes du Parti socialiste et du microparti Place publique qu’il a créé en 2018. À quelques jours du scrutin, la surprise des sondages (14% dans la dernière vague du sondage quotidien Ifop-Fiducial pour Le Figaro) se félicite de la nouvelle offre politique qu’il contribue à créer à gauche. Il insiste également sur ses divergences fondamentales avec La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et appelle à l’humilité de son camp face au probable très bon score du Rassemblement national.

LE FIGARO. - Vous êtes le troisième homme surprise de cette élection. Comment l’expliquez-vous ?

RAPHAËL GLUCKSMANN. - Nous faisons quelque chose d’étrange en France : nous répondons à la question posée par l’élection. Et cette question est : quelle Europe voulons-nous ? Lorsque je me suis lancé dans cette campagne en disant que j’allais parler d’Europe partout, on m’a dit que l’Europe, c’était ennuyeux et que j’allais endormir tout le monde. Pourtant, quand on s’adresse à l’intelligence des électeurs, quand on leur parle des enjeux écologiques, de défense, de sécurité, de solidarité ou d’industrie à l’échelle européenne, cela passionne.

Je pense aussi que nous sommes en train de libérer un espace politique trop longtemps comprimé. Beaucoup de Français suffoquaient, coincés entre Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Avec notre émergence, ils ne sont plus obligés de se scinder intérieurement au moment de voter, ils peuvent voter avec leur cœur et ils sont nombreux à me dire qu’ils respirent à nouveau. Dans nos réunions publiques, il y a des gens qui ont voté Jean-Luc Mélenchon en 2022 et d’autres qui ont voté Emmanuel Macron. Tant mieux !

Le mariage d'une vision géopolitique cohérente, de l'écologie et de la social-démocratie produira la grande force politique dont nous avons besoin en France et en Europe

Raphaël Glucksmann

Faut-il y voir le retour de la social-démocratie à la française ?

Ce n’est pas un retour du passé, mais une nouvelle offre politique, une social-démocratie qui s’est refondée en embrassant l’écologie politique et en prenant à bras-le-corps les questions de défense, de souveraineté et de sécurité. Rien n’est fait encore, nous devons continuer à travailler, mais ce mariage d’une vision géopolitique cohérente, de l’écologie et de la social-démocratie produira la grande force politique dont nous avons besoin en France et en Europe pour faire face à la vague nationale-populiste et poutinophile qui s’abat sur nos démocraties. Notre campagne est fondée sur la clarté et la sincérité, les gens le sentent et éprouvent une forme de fierté à la porter.

En 2019, vous n’aviez pourtant recueilli qu’un peu plus de 6 % des voix. Qu’avez-vous changé ?

Même si je défendais les mêmes principes, j’étais plus abstrait, moins ancré. Ce premier mandat de député européen m’a profondément transformé. J’ai mis les mains dans le cambouis. J’ai appris à négocier une loi avec des forces politiques d’autres bords, à construire des instruments commerciaux… De la défense des droits humains, j’en suis venu à l’élaboration de politiques commerciales et industrielles. Mes mots ont pris du poids, ma vision s’est affinée au contact du réel et aucune des propositions que je formule n’est évanescente désormais. Par ailleurs, cette élection a lieu dans un moment historique très particulier : la guerre en Europe. Cela fait des années que j’alerte sur le risque que Poutine fait peser sur notre sécurité et sur la nécessité de sortir l’Europe de l’impuissance et de l’adolescence. Ce que je défendais est maintenant bien plus audible qu’avant.

Le reste de la gauche vous reproche de siéger dans un groupe au Parlement européen qui vote les traités de libre-échange. Que répondez-vous ?

Il existe des discussions profondes au sein de la social-démocratie européenne sur les accords de libre-échange. Nous avons déjà réussi à faire basculer des pans entiers de notre groupe sur ces questions. Cela n’est pas lié qu’à notre force de conviction, mais principalement aux évolutions du monde. Une bascule idéologique est en cours et lors du prochain mandat, notre groupe sera nettement plus axé sur le protectionnisme écologique que sur le libre-échange.

Je tiens aussi à rappeler que notre groupe est le seul, avec celui de droite du Parti populaire européen, à être assez important en nombre pour peser vraiment sur les politiques européennes. Cela nous permet de matérialiser directement nos promesses. Quand on dit qu’on veut faire le « pacte vert », on le fait. Quand on veut le salaire minimum à l’échelle européenne, on le fait. Quand on veut régulariser les plateformes de type Uber, on le fait. Cela nous donne une force que les autres n’ont pas.

Mes mots ont pris du poids, ma vision s'est affinée au contact du réel et aucune des propositions que je formule n'est évanescente désormais

Raphaël Glucksmann

Vous défendez l’idée d’une transition écologique avec « un cap clair » , comme Marie Toussaint. Pourquoi voter pour votre liste et pas pour la sienne ?

Nous avons des points communs évidemment et nous serons alliés pour défendre les lois du « pacte vert ». Mais notre approche est plus centrée sur la réindustrialisation, elle lie plus les enjeux écologiques aux enjeux de souveraineté et de production ou d’emploi. Nous défendons la mise en place d’un projet industriel européen massif pour refaire de l’Europe un continent de producteurs, capable de défendre ses intérêts et ses entreprises. J’essaie de reformuler l’écologie politique dans les termes du réalisme stratégique. Nous devons montrer aux Français que la transformation écologique n’est pas simplement rendue nécessaire par la perspective de l’effondrement climatique, mais qu’elle est un antidote au spectre du déclin qui hante nos nations, qu’elle ne veut pas dire moins d’usines, mais plus d’usines, pas moins d’emplois, mais plus d’emplois. Et nous ne sommes pas bloqués, nous, par des dogmes comme la sortie du nucléaire.

Regrettez-vous malgré tout de ne pas avoir réussi l’union avec les écologistes ?

J’ai toujours dit que j’étais favorable à une liste commune avec les écologistes. Ils n’ont pas voulu. Mais je ne regrette rien : nous faisons la campagne que nous voulions faire et la dynamique que nous avons initiée est porteuse d’espoir !

Vos adversaires rappellent que vous êtes soutenu par François Hollande . Ce dernier aime d’ailleurs rappeler qu’il se retrouve dans votre ligne politique. Ce soutien vous paraît-il gênant ?

Il n’y a aucun soutien gênant puisque notre cap est clair ! La ligne politique fixée ne changera pas. Plus il y a de gens qui s’y reconnaissent et apportent leur soutien, mieux c’est. Quant à moi, je n’ai pas d’action dans le passé. Je trace un chemin sans compromission ni outrance, sans renoncement ni violence. Et je suis convaincu que le sectarisme mène dans une impasse.

Considérez-vous qu’il existe deux gauches irréconciliables au regard de vos divergences sur les questions internationales ?

Il y a des oppositions très profondes qu’il faut trancher et ces élections européennes vont le permettre. Sur l’Europe, sur la guerre en Ukraine, sur les régimes autoritaires, sur la manière même de faire de la politique, sur le rapport à la vérité… Les électeurs trancheront et je veillerai à ce qu’il n’y ait ensuite aucun retour en arrière. Il faut rappeler que ces divergences profondes ont toujours existé à gauche. Léon Blum a rejeté les conditions de Lénine précisément sur la question de la violence et de la démocratie. Plus proches de nous, les communistes soutenaient l’URSS alors que François Mitterrand tenait une ligne dure face à Moscou.

Les Insoumis vous reprochent notamment de ne pas participer aux marches en soutien à Gaza…

Mes positions sont très claires depuis le début. Contrairement à d’autres, je n’ai pas tergiversé une seule seconde pour condamner les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre. Je n’ai pas tergiversé non plus pour condamner la réduction en cendres de la bande de Gaza, le blocus ou l’extension infinie de la colonisation de la Cisjordanie. J’appelle à une politique bien plus ferme à l’encontre de Benyamin Netanyahou et de ses alliés d’extrême droite et je suis favorable à la reconnaissance d’un État palestinien. Mais je suis pour une solution à deux États et je ne mêlerai pas ma voix à ceux qui chantent des slogans tels que « From the river to the sea » (« de la rivière à la mer », NDLR) ce qui revient à nier l’existence de l’État d’Israël. Cela ne veut pas dire que je ne partage pas l’indignation qui s’exprime face aux crimes commis à Rafah.

Le RN est crédité à plus de 30 % des intentions de vote dans les sondages. Qu’est-ce que la gauche a manqué ?

Il y a une responsabilité collective de la classe politique française. Pas seulement de la gauche, de tous ceux qui ont eu le pouvoir et ont consenti à l’impuissance du politique. Mais la gauche a sa part de responsabilité, oui. Elle a consenti à l’impuissance et à la désindustrialisation. Elle n’a pas entendu la colère des classes populaires, des régions désindustrialisées. Elle a pu donner l’impression d’être le camp d’une forme de condescendance sociale. Cela doit interroger tous les partis. Comment des terres socialistes ou communistes, comme dans le nord de la France, ont pu devenir des fiefs du Rassemblement national ? J’ai voulu une campagne centrée sur les usines et les fermes, mais j’ai bien conscience que cela ne se résoudra pas avec une élection européenne. Il faudra prendre un bâton de pèlerin, accepter de se faire engueuler. Nous devrons apporter des réponses concrètes, mais aussi écrire un nouveau récit sur la France, sur ce que veut dire être français.

La gauche a consenti à l'impuissance et à la désindustrialisation. Elle n'a pas entendu la colère des classes populaires, des régions désindustrialisées et a pu donner l'impression d'être le camp d'une forme de condescendance sociale

Raphaël Glucksmann

Que faudra-t-il faire à gauche après les élections européennes ?

Quel que soit notre score, il n’y aura aucun triomphalisme vu la profondeur de la crise que nous traversons et le score prévu du RN. Il faudra ensuite travailler, tra-vai-ller ! Développer une vision cohérente, ancrée, puissante. Si notre campagne européenne fonctionne jusqu’ici, c’est que nous avons travaillé notre vision de l’Europe. Et nous continuerons à la travailler. Tout est question de travail et d’intégrité.

Ce travail pourra-t-il se réaliser avec toute la gauche, y compris Jean-Luc Mélenchon ?

Nous n’avons pas le même rapport au monde ou à la vérité, comme cette campagne l’a bien montré. Nous, nous ne coupons pas les interventions des adversaires politiques sur les réseaux sociaux pour leur faire dire le contraire de ce qu’ils ont dit. Nous ne soufflons pas sur les braises. Nous ne parlons pas d'« antisémitisme résiduel ». Ce ne sera jamais notre manière de faire.

Et vous, quel sera votre rôle ? Excluez-vous d’être candidat à la présidentielle ?

Je n’y ai jamais réfléchi. Ce que j’aimerais, c’est que vous compreniez qu’on peut avoir de l’ambition à l’échelle européenne. Dans les années qui viennent, l’Europe va de plus en plus s’affirmer comme un lieu de pouvoir décisif, que ce soit sur les questions écologiques, commerciales ou géopolitiques… Je vais œuvrer d’arrache-pied à l’émergence de cette puissance européenne qui nous permettra de reprendre en main notre destin et de sonner la fin du déclin, même si je compte bien contribuer en France à l’émergence de ce nouveau pôle démocratique, social et écologique.