Le bloc national, porté par une dynamique ascendante, est désormais majoritaire, rassemblant autour de 40% des électeurs (lors des élections européennes). AFP / JULIEN DE ROSA / Reynaud Julien/APS-Medias/ABACA / Reynaud Julien

Législatives

La décision spectaculaire d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale n’a fait qu’accélérer le processus de recomposition qui redessine le paysage électoral depuis de longues années.

Le Figaro - 15 juin 2024 - Par Alexandre Devecchio

Révolution, contre-révolution, décomposition ? En annonçant brutalement une dissolution après les résultats des élections européennes, Emmanuel Macron a, en apparence, déclenché un tremblement de terre politique. En réalité, sa décision spectaculaire n’a fait qu’accélérer le processus de recomposition qui redessine le paysage électoral depuis de longues années. Un processus qui, sous une forme ou sous une autre, a également remodelé le système politique de nombre de démocraties occidentales. Depuis de longues années, les plaques tectoniques politiques bougent de manière souterraine. Une constante s’observe depuis la première élection de Macron en 2017 : la tripartition du système politique.

À l’ancien clivage droite-gauche se sont substitués trois blocs sociologiques et idéologiques : un bloc national dominé par le RN s’appuyant sur une base électorale populaire ; un bloc de gauche dominé par son aile radicale et fondé sur l’alliance sociologique entre la jeunesse des grandes villes et celle des banlieues ; et enfin, le bloc central macronien dont les retraités et les gagnants de la mondialisation constituent le socle électoral. Le résultat des européennes est venu confirmer cette tripartition, mais a vu évoluer la dynamique interne de chaque bloc. En toute vraisemblance, les élections législatives devraient accentuer ces dynamiques.

Premier enseignement des européennes, le bloc national, porté par une dynamique ascendante, est désormais majoritaire, rassemblant autour de 40% des électeurs. Le centre de gravité de ce bloc est le Rassemblement national, formation nationale-populiste, dont Jordan Bardella a réussi à élargir la base électorale bien au-delà des classes populaires. S’il s’inscrit dans une stratégie de dépassement, le RN n’en penche pas moins à droite et c’est pourquoi les alliances qu’il noue se situent de ce côté de l’échiquier politique. Les élections européennes ont montré une forme de complémentarité entre la tête de liste du RN et celles de LR et de Reconquête.

Bien qu’encore partiellement contrariée par des logiques d’appareil, la réunion de la droite nationale-populiste incarnée par la paire Bardella-Le Pen, et des droites conservatrice et identitaire respectivement représentées par Bellamy et Marion Maréchal durant ces européennes, semble inscrite dans la logique électorale autant qu’idéologique. René Rémond soutenait la thèse de l’existence de trois droites (légitimiste, orléaniste et bonapartiste) née de la Révolution française ; de la recomposition en cours sont en train de surgir trois nouvelles droites que l’on pourrait qualifier de populiste, conservatrice et identitaire.

Percée relativisée

Le deuxième enseignement de ces européennes est que le bloc de gauche résiste plutôt bien électoralement. Les quatre principaux candidats de gauche ont ainsi rassemblé plus de 30% des suffrages. Regroupée au sein du Front populaire, la gauche, malgré ses divisions idéologiques, peut espérer être présente au second tour dans un maximum de circonscriptions. La gauche peut-elle se recomposer autour d’un espace social-démocrate comme l’a théorisé Raphaël Glucksmann ? En apparence, le succès de la liste du candidat PS aux européennes marque la revanche de la gauche modérée sur la gauche radicale. En apparence seulement.

René Rémond soutenait la thèse de l’existence de trois droites (légitimiste, orléaniste et bonapartiste) nées de la Révolution française ; de la recomposition en cours sont en train de surgir trois nouvelles droites que l’on pourrait qualifier de populiste, conservatrice et identitaire

Sa percée doit être relativisée et rappelle celle de Yannick Jadot qui avait réalisé sensiblement le même score lors des élections européennes de 2019 avant de s’effondrer à la présidentielle trois ans plus tard. D’autant que La France insoumise a progressé par rapport aux précédentes élections européennes et a consolidé sa base électorale, notamment chez les jeunes. Chez les 18-24 ans, la liste LFI monte ainsi jusqu’à 17 % tandis que Glucksmann réalise une percée chez les 70 ans et plus. Au vu des évolutions démographiques du corps électoral, le futur de la gauche, portée par la coalition de la jeunesse des grandes villes et des banlieues, pourrait donc bien demeurer radical et woke.

Le centre relégué

Mais le principal bouleversement de ces élections européennes et qui pourrait s’accentuer lors de ces législatives anticipées, c’est l’effondrement du bloc central. Si Valérie Hayer a conservé d’extrême justesse sa deuxième place, ce n’est que parce que la gauche s’est présentée en ordre dispersé. Face à une gauche rassemblée au sein du Front populaire, le centre devrait être largement distancé et relégué à la troisième place, évincé des duels du second tour dans la plupart des circonscriptions. Cet effondrement est lié à l’usure du macronisme après sept années de pouvoir, mais aussi à des facteurs structurels.

L’évolution démographique, notamment la diminution du poids électoral de la génération du baby-boom qui votait majoritairement au centre gauche et au centre droit, joue un rôle. Comme la liste de Glucksmann, la liste de Hayer a été majoritairement portée par les seniors et boudée par les jeunes. La liste Renaissance a ainsi recueilli environ 27% chez les plus de 70 ans, contre seulement 8% chez les 18-24 ans. Emmanuel Macron a plaidé pour une grande clarification lors de sa conférence de presse. Celle-ci pourrait bien avoir lieu, mais à son détriment. À terme, ce qui se dessine, c’est l’effacement progressif du bloc central et la rebipolarisation du paysage politique autour du clivage entre le bloc national et la gauche woke.