Législatives

À l'approche du premier tour des élections législatives, la Fondation Ifrap a chiffré les programmes des trois partis politiques en tête des sondages

Le Figaro - 21 juin 2024 - Par Ghislain de Montalembert, pour Le Figaro Magazine

C'est Noël avant l'heure. Les promesses pleuvent à l'approche du premier tour des élections législatives! Oubliés, la situation dramatique des finances publiques, la dégradation de la note de la France par les agences de notation, le spectre d'une crise financière; l'urgence, soulignée il y a seulement quelques semaines, de réaliser des économies sur le train de vie de l'État pour éviter la banqueroute; ou encore ce double record qui fait de notre pays le champion d'Europe, voire du monde, en matière de pression fiscale et de dépenses publiques. Ces élections précipitées sonnent le retour inattendu d'une illusion tenace et très française, celle de l'argent magique; comme si tous avaient oublié les leçons du passé, le tournant de la rigueur auquel François Mitterrand avait dû se résoudre après les mirages de 1981 et, plus récemment, les promesses – intenables face aux réalités budgétaires – d'Alexis Tsipras en Grèce (2015) ou de Giorgia Meloni en Italie (2022).

«Même le premier ministre Gabriel Attal, qui conduit la campagne du camp présidentiel , propose encore des mesures qui coûtent. C'est pourtant le moment de faire leur aggiornamento par rapport à la politique dépensière menée de facto depuis 2017. Celui qui porte l'action du gouvernement devrait expliquer les yeux dans les yeux aux Français que, compte tenu de la situation de nos finances publiques, l'heure n'est plus aux cadeaux électoraux mais aux baisses de dépenses et annoncer clairement la liste des dizaines de milliards d'économies à faire. Le gel des impôts, c'est bien, mais il faut surtout un gel des dépenses», regrette Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation Ifrap, qui, pour Le Figaro Magazine, a passé en revue les programmes des trois blocs favoris de ces élections (Rassemblement national, Nouveau Front populaire et Ensemble pour la République), afin d'en évaluer le coût.

chiffrage NFP Ifrap

Selon ce chiffrage précis, la palme d'or revient de loin, en matière de choc budgétaire, au Nouveau Front populaire qui propose, selon la Fondation Ifrap, jusqu'à 233 milliards de dépenses publiques supplémentaires par an (à l'horizon 2027). Au programme: l'abrogation des réformes des retraites et de l'assurance-chômage – emblématiques de la présidence d'Emmanuel Macron –, le blocage des prix des biens de première nécessité, le smic à 1600 euros, une hausse de 10% du point d'indice des fonctionnaires, la gratuité intégrale de l'école… Le seul retour de l'âge de départ en retraite à 60 ans coûterait 54 milliards d'euros en 2025 et 68 milliards d'euros en 2027, indique l'Ifrap.

Côté recettes, le Nouveau Front populaire affiche 40 milliards d'euros de rentrées supplémentaires. Fidèle à la tradition de l'extrême gauche, il veut notamment faire payer les plus riches pour financer son «programme de rupture» en rétablissant l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), supprimer la flat tax sur les revenus des capitaux mobiliers, accroître la progressivité de l'impôt sur le revenu dont le nombre de tranches passerait à 14, ou encore alourdir les droits de succession pour les plus hauts patrimoines.

Un choc fiscal

Le choc fiscal est garanti, mais il ne suffirait pas, cependant, pour équilibrer le bilan. «Avec le Nouveau Front populaire, le déficit public s'alourdirait de près de 193 milliards d'euros par an, ce qui signifie qu'il ferait plus que doubler par rapport à son niveau actuel, déplore Agnès Verdier-Molinié. Un gouvernement qui appliquerait un tel programme ne tiendrait pas deux semaines: il serait très vite sanctionné par les investisseurs. La France a déjà besoin, pour financer son déficit et refinancer sa dette, d'emprunter environ 300 milliards d'euros par an sur les marchés financiers. Avec un déficit public dépassant les 340 milliards, plus personne ne voudrait nous prêter, ou alors à des taux prohibitifs qui alourdiraient dangereusement la charge annuelle de la dette.»

Le Rassemblement national promet, lui aussi, des dépenses nouvelles pour, dit-il, redonner du pouvoir d'achat aux Français. Cette semaine, Jordan Bardella a précisé le programme du parti à la flamme, en insistant sur sa temporalité. «Il y aura le temps des urgences et le temps des réformes», a-t-il expliqué au micro d'Europe 1. La baisse de 20 à 5,5% du taux de TVA sur l'énergie et les carburants fera partie des priorités, mais il faudra attendre l'automne, a-t-il expliqué, pour que soit étudiée l'application de cette mesure aux produits de première nécessité. Il entend également permettre à ceux qui ont commencé à travailler avant l'âge de 20 ans et cumulant 40 annuités de cotisations de partir à la retraite dès 60 ans. En revanche, la promesse d'une abrogation générale de la réforme des retraites ne sera étudiée qu'à l'automne. «Il faut rétablir de la raison budgétaire dans les comptes publics avant de promettre tout et n'importe quoi», estime le leader du Rassemblement national, appelant de ses vœux un audit des finances publiques.

chiffrage RN

«Le Rassemblement national commence à comprendre à quel point nous sommes déjà proches d'une crise de la dette et que les promesses lancées lors de l'élection présidentielle de 2022 ne sont pas du tout tenables d'un point de vue budgétaire. Résultat, on comprend que cela devient flou sur la temporalité: une mesure “carrières longues” sur les retraites verrait peut-être le jour s'ils arrivaient au pouvoir mais certainement a minima, et l'abrogation de la réforme des retraites de 2023 ne verrait probablement jamais le jour car infinançable avec 8 milliards de coût en 2027 alors que de nouveaux déficits des régimes de retraite sont déjà annoncés. On note aussi l'abandon du projet très coûteux de nationalisation des autoroutes dont les contrats de concession vont se clore d'ici à 2030», note Agnès Verdier-Molinié. Jordan Bardella n'a de cesse de rappeler que «la France n'a plus vocation à être, sur le plan migratoire, un guichet social ouvert à tous les peuples du monde». Il compte aussi sur la lutte contre la fraude pour renflouer les caisses des organismes sociaux, ou encore sur la suppression de certaines niches fiscales, comme celle dont bénéficient les armateurs.

«Les baisses d'impôts et de taxes qu'annonce le Rassemblement national, à hauteur de 17,6 milliards d'euros conjuguées aux 9 milliards d'euros d'économies qu'il dégagerait en dépenses par la baisse des aides sociales aux étrangers (13 milliards) – si celle devenait constitutionnellement possible – et les économies sur les agences de l'État (8 milliards), créeraient du déficit supplémentaire a minima pour 8,5 milliards par an, s'inquiète Agnès Verdier-Molinié. Il est regrettable que ne soit pas tenu dans cette campagne un discours clair sur l'urgence de rétablir nos comptes publics. Dans l'imaginaire collectif, on ne peut soi-disant pas gagner une élection avec un discours churchillien promettant du sang et des larmes. Or, il devient plus qu'urgent d'adopter un langage de vérité, d'expliquer aux Français que la seule voie possible, compte tenu de l'état de nos finances publiques, est celle des économies, à hauteur de 30 milliards d'euros en 2025 et de 80 milliards à l'horizon 2027. La situation n'est plus du tout la même qu'à l'époque où les taux sur la dette étaient à zéro voire négatifs. Aujourd'hui, notre pays s'endette à 10 ans à un peu plus de 3% et cela peut monter très, très vite en cas de perte de confiance en la France. Il était irresponsable d'endetter la France de 840 milliards entre 2017 et 2023. Il est tout aussi irresponsable de laisser croire aux Français qu'on peut encore “raser gratis”!»

 

Un vent d'inquiétude

Dans les milieux économiques, les programmes des deux camps extrêmes inquiètent. Le président du Medef, Patrick Martin a dénoncé des mesures «qui se traduiront immanquablement par une nouvelle dégradation de nos finances publiques et par des hausses d'impôts pour les ménages et les entreprises». Cette semaine, l'Association française des entreprises privées (Afep) a elle aussi fait part de son appréhension face au «risque majeur» d'un «décrochage durable de l'économie française et européenne que les tentations d'isolement international et de fuite en avant budgétaire ne feraient que renforcer». Selon l'Afep, «cette situation compromettrait le maintien de l'emploi et de notre modèle social auquel nous sommes tous attachés». Chez de nombreux épargnants aussi, l'inquiétude est désormais palpable. La menace d'une crise de la dette ferait fondre leurs économies. Et pour les plus fortunés, la perspective d'un retour de l'ISF n'est pas une nouvelle réjouissante: outre le Nouveau Front populaire qui promet un ISF renforcé avec un volet climatique, le Rassemblement national annonce de son côté son intention de supprimer l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) mais de le remplacer par un impôt sur la fortune financière venant frapper spécifiquement les détenteurs de capitaux mobiliers (actions, assurance-vie…); ceux-là mêmes qu'Emmanuel Macron avait exonérés d'ISF en pariant sur le principe du ruissellement économique.

«Ce potentiel retour de la fiscalité punitive, si caractéristique de notre pays, est préjudiciable, estime Agnès Verdier-Molinié. Un certain nombre d'entrepreneurs et d'investisseurs ont déjà appuyé à fond sur le frein des investissements ou des embauches quand ils n'ont pas déjà désinvesti en France. Certains se posent aujourd'hui la question de partir fiscalement de l'Hexagone. D'autres y ont déjà répondu.» Voilà qui n'est pas sans rappeler le vent de panique qui avait soufflé sur la France en 1981.

chiffrage ensemble