Jordan Bardella au siège du RN ce vendredi 21 juin. © Anthony Quittot

Entretien

À une semaine du scrutin, le président du RN détaille sa feuille de route en cas de victoire. Prétendant à Matignon, Jordan Bardella promet un gouvernement d’union nationale. Le ministère de l’Outre-mer sera un ministère d’État. Il en dévoile les contours au JDD.

Le JDD - 22 juin 2024 - par Antonin André, Jules Torres et Geoffroy Lejeune

Le JDD. Vous n’êtes pas sûr d’obtenir une majorité absolue à l’issue des élections législatives. Cette campagne n’est-elle pas perdue d’avance ?

Jordan Bardella. Jusqu’ici, tout nous a donné raison. Durant ma campagne des élections européennes, les observateurs ont passé leur temps à m’expliquer que la dissolution était impossible. Le président de la République a pris acte de notre résultat historique en annonçant, le soir même, la dissolution de l’Assemblée nationale. Les faits nous donnent raison. La dégradation sans commune mesure de la situation budgétaire du pays, l’explosion de l’insécurité et les niveaux d’immigration absolument hors de contrôle attestent de la lucidité qui a été la nôtre, non pas seulement depuis l’élection d’Emmanuel Macron, mais sans doute depuis plusieurs décennies. La politique, c’est une affaire de vagues, et je crois que celle qui nous porte est puissante. Le Rassemblement national est aujourd’hui en capacité de remporter ces élections législatives et d’accéder au pouvoir dans quelques jours. L’histoire s’accélère et je crois que nous pouvons gagner.

Vous avez fait campagne en faveur de la dissolution lors des européennes. Comment expliquez-vous qu’Emmanuel Macron vous ait exaucé ?

Il n’avait aucune autre possibilité, même à moyen terme. Il est à la tête d’un pays sans majorité depuis 2022. Il a pris acte du résultat des urnes. J’ai obtenu plus de 15 points d’avance sur la liste de la majorité présidentielle. C’est inédit. Cela signifie que le désaveu envers la politique qu’il mène depuis 2017 est extrêmement fort et puissant dans le pays. Depuis dimanche 9 juin à 20 heures, nous assistons à la dislocation de la Macronie, qui a probablement été un phénomène de mode, soluble à tel point qu’aujourd’hui, Édouard Philippe l’accuse d’avoir « tué » la majorité présidentielle et Bruno Le Maire qualifie les conseillers du président de « cloportes ». On ne peut pas unir les Français quand on n’est pas capable d’unir son propre camp.

En cas de majorité relative, il existe un risque que le pays soit ingouvernable. Accepterez-vous les clés de Matignon, y compris dans cette hypothèse ?

Je ne veux pas le pouvoir pour ma gloriole personnelle ni pour pouvoir me revendiquer Premier ministre. J’accepterai la nomination à Matignon seulement si nous arrivons en tête et si les Français nous accordent une majorité absolue, c’est-à-dire les leviers nécessaires pour agir et changer les choses. Il est difficile de projeter le scénario à l’avance, mais pour gouverner, je veux une majorité solide. Sans majorité absolue, je crois qu’aucun Français ne considère qu’on peut raisonnablement changer la situation de manière durable. Sans majorité absolue, je serais à la merci d’une motion de censure et je partirais naturellement au bout de quelques jours. J’accepterai d’être nommé à Matignon seulement si j’ai le pouvoir d’agir et la légitimité démocratique et institutionnelle pour le faire.

Si la situation de blocage persiste, envisagerez-vous de demander la démission du président de la République ?

Ce n’est pas à moi de répondre, mais au président de la République. C’est lui qui a suscité cette situation, c’est lui qui a provoqué cette dissolution. Moi, je suis candidat dans cette élection au poste de Premier ministre pour obtenir une majorité absolue. J’appelle les Français à nous accorder cette majorité absolue, car je pense que cette élection nous offre la possibilité d’une alternance raisonnable, responsable et historique, sans précédent depuis des décennies. C’est pour cette raison que j’ai souhaité tendre la main à des formations politiques, à des patriotes qui ne viennent pas du Rassemblement national, ce qui nous a permis de conclure un accord électoral historique avec les républicains de droite et avec Éric Ciotti. Et si je deviens Premier ministre, je formerai un gouvernement d’union nationale.

On distingue clairement trois blocs qui devraient se retrouver à l’Assemblée nationale. Diriez-vous comme le justifie Emmanuel Macron que c’est un moment de « clarification politique » ?

C’est peut-être le seul point d’accord que j’ai avec le président de la République. Cette campagne est un moment de clarification pour toutes les formations politiques. La gauche a sombré en perdant sa boussole républicaine et en réunissant sous une même bannière le pire de ce que peut produire la gauche et l’extrême gauche, allant de fichés S jusqu’à Philippe Poutou, dont le mouvement est poursuivi et sous le coup d’une enquête pour apologie du terrorisme à la suite des attaques du Hamas en Israël. La majorité présidentielle se disloque, et à droite, il y a une fracture entre des républicains patriotes sincères qui ont accepté notre main tendue, et de l’autre côté, des cadres et des barons qui, sous couvert de grandes déclarations contre le président Ciotti, cachent en réalité leur volonté de gouverner avec Emmanuel Macron.

Vous mettez l’accent sur l’apaisement dans votre campagne. Quelle en est la raison ?

Parce que le rétablissement de l’ordre et de l’autorité de l’État est notre ADN politique. Aujourd’hui, je vois des forces politiques menacer la paix civile et la cohésion nationale en France, avec des réflexes autoritaires et totalitaires à gauche, une tendance à la bordélisation et à l’insurrection. Ils nourrissent désormais un antisémitisme d’atmosphère par intérêt électoraliste et clientéliste, en espérant peut-être séduire une clientèle communautaire en banlieue.

Le climat de cette campagne est-il similaire à celui des élections européennes ou est-il plus lourd ?

L’agitation médiatique et celle du petit milieu culturel n’ont plus d’emprise sur le pays. Les idées dominantes dans les médias ne sont plus les idées majoritaires dans le pays. Il y a une déconnexion entre un entre-soi parisien, où l’on vit protégé du déclassement, de l’insécurité et du désordre migratoire, et un pays en situation d’urgence sociale et vitale sur le plan migratoire. Je suis très mal à l’aise et gêné de voir des footballeurs et des youtubeurs, dont beaucoup sont exilés à Dubaï et ont la chance de gagner plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions d’euros par an, venir donner des leçons de morale à des Français qui gagnent 1 400 euros par mois et qui n’ont pas la chance de vivre dans des immeubles sécurisés, surveillés par des vigiles dans de beaux quartiers.

Vous évoquez l’agitation parisienne. Un autre secteur en ébullition est celui des marchés. Comment comptez-vous garantir la stabilité aux acteurs économiques ?

L’incertitude qui règne sur les marchés depuis le 9 juin à 20 heures est légitime compte tenu de la dissolution de l’Assemblée nationale. Il n’y a rien d’anormal, cela reviendra à la normale assez vite. Mon ambition est non seulement d’assurer la stabilité de notre économie, mais surtout de redresser la courbe budgétaire qui est actuellement en chute libre. Si les Français me font confiance dans quelques jours, ils savent que je m’apprête à récupérer un État en quasi-faillite financière, avec des records de déficits publics, de dettes et de déficits commerciaux, tous directement imputables à la mauvaise gestion d’Emmanuel Macron. À cela s’ajoute la procédure pour déficit excessif ouverte par la Commission européenne. Mon ambition économique est très simple et très claire : le retour à la raison budgétaire. Dès les premiers jours de mon arrivée à Matignon, je déclencherai un audit de tous les grands services publics et des comptes publics de la nation pour faire toute la transparence sur la situation budgétaire, qui relève au minimum de l’amateurisme ou, au pire, de la dissimulation.

De la dissimulation ? N’est-ce pas là une accusation un peu forte ?

Quand on perd 0,6 point de déficit entre décembre et avril, c’est qu’il y a eu soit de l’amateurisme dans la gestion, soit de la dissimulation. Je suis persuadé que cet audit révélera un certain nombre de dossiers cachés. Lorsque nos députés à l’Assemblée nationale ont demandé des informations sur ces comptes, le gouvernement a refusé de communiquer certains chiffres, au point que la presse titrait : « Le gouvernement fait de la rétention d’informations sur la situation budgétaire du pays. » Il faut remettre de l’ordre dans les comptes de l’État et, évidemment, lever toutes les contraintes qui pèsent sur la croissance. Je m’opposerai toujours à la division des forces vives et à ce discours qui oppose les petits aux grands patrons, les artisans aux commerçants et les salariés aux chefs d’entreprise. Le premier chantier que j’engagerai à l’automne sera les états généraux de la simplification, car il y a aujourd’hui une demande pour simplifier l’économie française. Cette simplification ne concerne pas seulement l’inflation des prix du quotidien, mais aussi une inflation de normes qui neutralise une partie de la compétitivité de la France.

Le chômage a diminué et le pouvoir d’achat des Français a augmenté par rapport à celui de nos voisins. Nous avons été protégés pendant la crise sanitaire et, dans une certaine mesure, pendant la crise énergétique. Pouvez-vous garantir le même niveau de protection, ainsi qu’une croissance des salaires, du pouvoir d’achat et de l’emploi, tout en maîtrisant les déficits ?

Vous pouvez dire aux millions de Français qui n’arrivent plus à boucler les fins de mois qu’ils ont moins perdu en pouvoir d’achat que les autres pays européens. Il n’en reste pas moins qu’ils n’ont toujours pas d’argent pour remplir le caddie ou payer les factures d’électricité. En conséquence, la France a aujourd’hui, en valeur absolue, la dette la plus importante de la zone euro, et la situation du déficit public et du déficit commercial est en dégradation record. Les factures d’électricité ont augmenté de 45 % depuis deux ans. Ma priorité sera d’engager dès cet été, par l’intermédiaire d’un projet de loi de finances rectificative, la baisse de la TVA de 20 % à 5,5 % sur l’énergie, l’électricité, le gaz, le fioul et le carburant. Car se déplacer ou se chauffer est en train de devenir un luxe.

Cette mesure ne risque-t-elle pas d’aggraver les déficits ?

C’est toujours paradoxal de voir ceux qui ont accumulé 300 milliards de dettes en deux ans nous demander : « Comment allez-vous trouver 10 milliards ? » Cette mesure coûtera 12 milliards. C’est un choix budgétaire que j’assume et qui sera parfaitement financé. J’ai déjà présenté mes premières pistes d’économie : les superprofits des énergéticiens, la niche fiscale sur les armateurs, la baisse de la contribution française au budget de l’Union européenne et la lutte contre la fraude.

Un autre aspect crucial, souvent ignoré, est l’immigration, qui réduit la capacité financière d’action de l’État. Par exemple, alors que nous offrons la gratuité des soins aux étrangers en situation irrégulière, un Français sur trois renonce à se soigner parce que le reste à charge est trop élevé. Je réaliserai les économies nécessaires en réexaminant les dépenses inefficaces de l’État. L’audit que je lancerai dès mon arrivée à Matignon me permettra également de déterminer les marges et les pistes d’économie envisageables. Je crois que l’État doit également réduire son train de vie, notamment en ce qui concerne les agences d’État et les agences publiques qui représentent un coût faramineux. C’est un choix budgétaire que j’assume, car nous sommes en situation d’urgence sociale. Il y a des millions de Français aujourd’hui qui considèrent que le pouvoir d’achat doit être la priorité et l’urgence absolue.

Plusieurs éléments clés de votre programme, notamment en matière d’immigration, nécessitent une modification de la Constitution. Ne craignez-vous pas de vous retrouver dans une position de Premier ministre impuissant ?

Les Français ont conscience que je ne vais pas réparer vingt ans d’échec politique et de dégradation de la situation, notamment en matière d’immigration, en 72 heures. La cohabitation avec une majorité absolue permet de réaliser de nombreuses actions. Si nous obtenons le pouvoir, nous sommes prêts à agir. Je suis le candidat de ceux qui croient que la France ne peut plus supporter le fardeau de l’immigration, car celle-ci coûte cher et dégrade la sécurité dans de nombreux territoires français.

Il y aura deux niveaux d’actions pour réduire drastiquement les flux migratoires. D’abord, des actions immédiates dans le cadre d’une cohabitation, telles que la fin du droit du sol, une réduction drastique des flux migratoires, le renforcement des conditionnalités des aides sociales versées aux étrangers, et l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, des délinquants criminels et des islamistes étrangers. Ensuite, en 2027, nous déclencherons un référendum pour entériner la réduction des flux migratoires par la constitutionnalisation de ce bouclier juridique, afin de garantir que le peuple français ait le dernier mot sur la question de l’immigration, par rapport à des jurisprudences européennes ou internationales.

Pouvez-vous garantir que votre projet et votre gouvernance ne conduiront pas à un Frexit ? Êtes-vous certain que votre programme est compatible avec le maintien de la France dans l’Union européenne ?

Le comportement budgétaire d’Emmanuel Macron, avec un déficit supérieur à 3 %, a entraîné une remise en cause de fait des traités. Cela ne signifie pas qu’Emmanuel Macron a sorti la France de l’Union européenne. Pendant ma campagne, j’ai clairement indiqué que je n’étais pas favorable au Frexit. En revanche, compte tenu de la contribution française au budget de l’Union européenne, qui est la deuxième plus importante, la France doit mieux défendre ses intérêts. Cela nécessitera un certain nombre de réformes.

Si vous arrivez au pouvoir, envisagez-vous de mettre en place un « spoil system » en changeant les directions d’administration ?

Je veux que le politique reprenne le pouvoir sur la technostructure et sur l’administration. Je nommerai des politiques à des postes de décision, car je pense que beaucoup de décideurs démocratiquement élus, ces dernières années, se sont laissés submerger par le poids de l’administration et de la technostructure. Donc, aux postes de décision, j’entends nommer des politiques. Cela dit, j’ai toute confiance dans les serviteurs de l’État, notamment les hauts fonctionnaires, pour mettre en œuvre ces politiques. Il y a en France un état d’esprit de neutralité des fonctionnaires, peut-être différent de celui du Parlement européen. Ce qui me fait dire qu’il y aura une continuité naturelle et évidente dans le cadre d’une alternance.

Qu’appelez-vous « un poste de décision » ?

Les ministres. Je veux non seulement redonner ses lettres de noblesse à la politique, mais aussi redonner à l’État tout son rôle. Je considère que la politique menée par Emmanuel Macron depuis 2017 a considérablement affaibli l’État, non seulement en termes d’autorité, mais aussi dans sa structure. Je souhaite rétablir les deux principaux corps qui ont été affaiblis dans leur sélection : le corps préfectoral et le corps diplomatique. Je veux également rétablir une forme de verticalité dans l’organisation de l’État.

Avez-vous déjà une idée précise de l’équipe gouvernementale que vous nommerez ? Prévoyez-vous un gouvernement large ou plutôt restreint ?

Tout est déjà prêt. J’ai mon gouvernement en tête et certaines des personnalités concernées ont été avisées. Ma volonté est de former un gouvernement d’union nationale, resserré dans son organisation. Il y aura quelques ministres importants, soutenus par des secrétaires d’État et des ministres délégués de mission.

Sarkozy avait créé un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, ce qui était un symbole fort. Quels ministères envisagez-vous de supprimer ou de créer ?

Le ministère de l’Identité nationale ou de l’Immigration, c’est simplement le ministère de l’Intérieur sous un autre nom. Plutôt que de faire de la com', je me concentrerai sur l’efficacité. Mais si vous voulez un symbole, j’en ai un. Puisque personne n’en parle dans cette campagne, sachez que le ministère de l’Outre-mer et de la Mer que nous entendons créer sera un ministère d’État. Je crois que l’Outre-mer est non seulement une chance pour toute la France, mais aussi une réelle opportunité. Je souhaite que l’Outre-mer participe pleinement à ce projet de redressement national que nous voulons mettre en œuvre. Les résultats que nous avons obtenus en Outre-mer nous obligent à leur égard.

Jusqu’où comptez-vous étendre cette union nationale ?

Elle se fait avec tous les amoureux de la France. Je ne veux pas m’enfermer dans un camp contre un autre. J’ai souhaité cette alliance parce qu’il y a effectivement la perspective d’une victoire possible de l’extrême gauche. Mon gouvernement sera composé de personnes issues du Rassemblement national ainsi que d’autres mouvements politiques. Les Républicains d’Éric Ciotti auront naturellement une place au sein de ce gouvernement. Éric Ciotti lui-même d’ailleurs. Il y aura aussi des personnalités de la société civile, sélectionnées non seulement pour leur compétence, leur sérieux et leur expertise, mais aussi pour leur instinct politique.

Quel type de Premier ministre comptez-vous être ?

Je veux changer la méthode. Depuis 2017, le président a souvent donné l’impression de brutaliser le débat et de mépriser ceux qui ne pensaient pas comme lui. Moi, je veux réconcilier les Français et être le Premier ministre de tous les Français, sans aucune distinction. Une fois devenu chef de la majorité, je serai le Premier ministre de tous, y compris de ceux qui n’auront pas voté pour moi. Mon objectif est de recréer du consensus dans le pays. C’est pourquoi, lors de la conférence sociale sur les salaires que je souhaite organiser à l’automne, je veux associer les partenaires sociaux. Dans ma volonté de simplifier l’économie française, je veux donner des responsabilités et des missions aux organisations patronales et aux filières professionnelles. Je veux changer la méthode et respecter tous les Français, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent. Je n’ai pas l’intention de brutaliser le débat démocratique.

Craignez-vous que la gauche ne reconnaisse pas les résultats des élections si vous remportez les législatives ?

Une partie de la gauche aujourd’hui, majoritaire dans l’expression, refuse les règles de la démocratie. C’est pourquoi nous devons les combattre politiquement dans les urnes. Si demain un autre mouvement gagne, je n’aurai jamais de problème avec la démocratie, je reconnaîtrai le résultat des élections. C’est la différence entre eux et nous. La France insoumise veut détruire les institutions, nous voulons les sauver.

Nicolas Sarkozy craint que nous soyons au début d’une période de chaos. Partagez-vous cette inquiétude ?

C’est l’inquiétude de ceux qui ne veulent rien changer. Si nous acceptons le déclin du pays, nous devons aussi accepter un chaos qui est devenu quasi quotidien : 120 attaques à l’arme blanche par jour, des émeutes régulières. Ce qui est certain, c’est que si nous ne faisons rien, cela va se reproduire. Le choix est clair aujourd’hui : c’est le sursaut ou le chaos. Il y a une demande d’autorité dans la société à laquelle je souhaite répondre. Je veux précisément rétablir la paix civile en France. Je n’ai aucune crainte. Je compte inspirer mon action des deux principes chers au général de Gaulle : l’ordre et le mouvement. L’ordre dans le pays, l’ordre dans la rue, l’ordre dans les comptes, et le mouvement pour avancer et répondre aux attentes quotidiennes des Français, que ce soit le pouvoir d’achat, la sécurité, l’immigration ou la santé.

Nicolas Sarkozy a salué votre « talent », mais a pointé votre manque d’expérience dans le JDD. Il a posé une question qui sera également la nôtre : « Peut-on conduire la France quand on est si jeune et sans expérience ? »

Ce n’est pas une question d’âge. Chaque jour qui passe, je me prépare à l’exercice du pouvoir. Aucun des faits d’actualité, aucun des sentiments qu’expriment aujourd’hui des millions de Français ne vient démentir les diagnostics que nous avons posés et les réponses que nous souhaitons déployer au pouvoir et qui sont majoritaires dans l’opinion. On juge un leader aussi à sa capacité à s’entourer. J’ai démontré lors des élections européennes ma capacité à réunir autour de moi des profils extrêmement différents. Je suis prêt à mettre toute mon énergie au service du redressement du pays. Et si les Français m’accordent leur confiance, je me dépenserai sans compter de la première seconde jusqu’à la dernière, car je pense que notre pire ennemi, c’est le temps. Je terminerai ma réponse au président Sarkozy en le citant : « Les mêmes qui vous disent que c’est trop tôt vous diront demain qu’il est trop tard. »

Ressentez-vous un vertige face à la perspective de diriger le pays à 28 ans ? Vous dites souvent qu’en politique, « plus on monte, moins il y a d’oxygène ». À quel niveau d’oxygène êtes-vous actuellement ?

Si je vous dis que je ressens un vertige, vous allez vous inquiéter. Si je vous dis que je n’en ressens pas, vous n’allez pas me croire. La vérité se trouve probablement à mi-chemin. La politique est un sacerdoce, devenu un chemin de croix pour tous ceux qui s’y aventurent en première ligne. Effectivement, plus on se rapproche du sommet, moins il y a d’oxygène. À la place où je suis, chaque marche supplémentaire que j’essaie de franchir est un défi, car on tente souvent de me pousser en arrière. Mais je pense avoir hérité de la solidité de Marine Le Pen, ce qui est très appréciable en ces temps.

Comment qualifieriez-vous la relation, ou le peu de relations, et les échanges que vous avez eus avec Emmanuel Macron ? Et comment envisagez-vous votre éventuel lien ou rapport futur avec lui ?

Il n’y a pas de lien personnel. Il y a un lien entre un président en fonction et son opposant. Je suis respectueux de la fonction, respectueux de l’institution, et je le serai toujours parce que c’est mon éducation, ma mentalité et ma conception de la démocratie. La différence, peut-être, avec les Premiers ministres qu’il a connus depuis 2017, c’est que je n’ai pas vocation à être son collaborateur. J’assumerai un rôle respectueux de la fonction présidentielle, mais je resterai intransigeant sur mes principes, mes convictions et la politique que j’entends mener, qui sont aux antipodes de celles qu’il conduit depuis 2017. C’est ça, la cohabitation. S’il me nomme et reconnaît la légitimité démocratique du projet que je porte, alors je crois que tout se passera bien.

Quand vous êtes à votre bureau, imaginez-vous que dans deux semaines, vous pourriez potentiellement vous retrouver face à lui lors d’un Conseil des ministres ? Est-ce une perspective concrète pour vous ou est-ce encore abstrait ?

Est-ce qu’on s’y projette ? Je ne sais pas. En tout cas, on s’y prépare. On s’y prépare en sachant que nous menons une course contre le temps, que les attentes sont très fortes dans le pays, et que la peur de voir l’extrême gauche arriver au pouvoir peut aussi pousser vers nous des électeurs qui se sont tenus éloignés du Rassemblement national, y compris ceux qui ont voté pour Emmanuel Macron. J’ai aussi vocation à être leur Premier ministre, donc je les accueille également.