Gabriel Attal, premier ministre, répond aux questions du Figaro dans un hôtel de Vanves (Hauts-de-Seine), dimanche 23 juin 2024. François BOUCHON/Le Figaro

Entretien

Le premier ministre, qui s'inquiète d'un «risque de grande déchirure du pays», juge que «la victoire du RN ou de la Nupes menacerait notre économie, l'épargne et la sécurité des Français».

Le Figaro - 24 juin 2024 - Par Loris Boichot, Tristan Quinault-Maupoil et Vincent Trémolet de Villers

Dans un entretien au Figaro, en vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, le premier ministre, Gabriel Attal, appelle les Français à ne jamais « se résigner » à « être pris en tenaille entre La France insoumise et le Rassemblement national » (RN). « J’irai toujours là où je me sentirai utile à mon pays. Quelles que soient les configurations », ajoute-t-il, lui qui est candidat à sa réélection dans son fief des Hauts-de-Seine.

LE FIGARO. - Deux semaines après la dissolution, avez-vous réussi à vous convaincre qu’elle n’était pas une prise de risque insensée d’Emmanuel Macron ?

GABRIEL ATTAL. - Je ne regarde pas en arrière. Cette décision est prise, il est inutile de revenir dessus. Les Français ont leur destin en main. Le pays joue sa peau dans cette élection. Je veux les convaincre que la victoire du RN ou de la Nupes menacerait notre économie, l’épargne et la sécurité des Français.

Le chef de l’État portera-t-il seul la responsabilité d’une défaite ?

Ça sera d’abord le choix des Français. Je me bats de toutes mes forces pour éviter cette issue funeste. À mesure que je me déplace sur le terrain, je rencontre des Français qui jamais ne se résigneront à être pris en tenaille entre La France insoumise (LFI) et le RN. Je le crois : dimanche, ce sera l’heure du sursaut français.

Vous faites campagne en vous présentant comme plus raisonnable et compétent que vos concurrents. Mais n’êtes-vous pas contredit par votre bilan s’agissant de la dette et de l’insécurité, ou encore par la soudaineté de la dissolution ?

Le RN comme la Nupes sont prêts à tout pour gagner, quitte à se renier et s’allier avec n’importe qui. Jordan Bardella défend la retraite à 60 ans quand Éric Ciotti prône la retraite à 65 ans. Faut-il faire une moyenne entre les deux pour connaître leur position commune ? Les Français peuvent nous apprécier ou pas, nous critiquer ou pas. On a des qualités comme des défauts, mais chez nous, tout est clair. Il y a des choses qui ont été réussies et d’autres qui ne l’ont pas été. Mais chez nous, tout est sur la table. J’insiste sur notre cohérence, notamment économique. Nous avons ramené la France sous les 3 % de déficit avant le Covid et je compte bien retrouver cette trajectoire. Nous sommes les seuls à le vouloir. Nous sommes les seuls à le vouloir, mais nous sommes surtout les seuls à le pouvoir.

Vous misez sur les sujets économiques. Mais le résultat des européennes ne traduit-il pas l’attente d’un retour à plus d’ordre dans le pays ?

Je tire les conclusions de cette défaite et de mes échanges avec les Français. Ils attendent plus de pouvoir d’achat et plus d’autorité. Je serai au rendez-vous. Par exemple sur le pouvoir d’achat, nous sommes clairs : avec nous, les retraites continueront à augmenter.

Et s’agissant de l’immigration ?

L’autorité, c’est d’abord un État qui est capable de faire respecter ses règles et ses lois. Or, on le voit bien, notre difficulté est de faire respecter nos règles migratoires. Même s’il y a des progrès sur l’expulsion des personnes en situation irrégulière, puisque nous faisons dorénavant mieux que l’Allemagne. Mais je ne pense pas une seconde que la majorité des Français prône l’immigration zéro, sans étudiants, sans travailleurs des métiers en tension, qui n’est ni souhaitable ni faisable. Ni l’immigration sans règles, pas davantage souhaitable que faisable.

Je propose, dans le cadre de cette campagne, de revoir l’excuse de minorité dans certains cas. Elle ne doit plus être le principe, mais l’exception

Gabriel Attal

Vous deviez réformer l’aide médicale d’État après la remise d’un rapport en décembre. Est-ce toujours d’actualité ?

C’est une réforme qui sera finalisée cet été si les Français me font confiance. Je m’étais engagé à reprendre les propositions équilibrées du rapport bipartisan Evin-Stefanini. Tout est prêt.

Bruno Le Maire prône l’exécution totale des peines. Reprenez-vous sa proposition ?

J’ai deux priorités. D’abord, refonder la politique pénale autour d’un principe simple : pour tout délit, c’est comparution immédiate puis sanction immédiate. Ensuite, la délinquance des mineurs. Ils sont surreprésentés dans les actes délictueux. J’ai déjà pris plusieurs décisions après mon discours de Viry-Châtillon (Essonne), notamment via une circulaire pénale qui met en place des travaux d’intérêt général pour les moins de 16 ans. Je propose, dans le cadre de cette campagne, de revoir l’excuse de minorité dans certains cas. Elle ne doit plus être le principe, mais l’exception. Si les Français nous font confiance, je proposerai ce texte de loi dès le mois de septembre. Je me suis inspiré d’une réforme initiée par Nicolas Sarkozy en 2007, qui avait été à l’époque validée par le Conseil constitutionnel, avant d’être abrogée par François Hollande et Christiane Taubira. Dans la réforme que je propose, il n’y aura plus d’excuse de minorité par principe, mais le juge pourra l’appliquer en le motivant.

Vous dites que le programme de Jordan Bardella «  fond comme neige au soleil  » . Est-il devenu « trop mou » ?

S’agissant du pouvoir d’achat, il a construit une façade pour faire croire que son parti s’en souciait. La façade s’est totalement écroulée. Ils promettaient la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité : fini. Ils promettaient la suppression de l’impôt sur le revenu pour les moins de 30 ans : fini. Une proposition après l’autre, ils vont de renoncement en reniement. Ils ne sont pas prêts pour gouverner.

Vous devez débattre ce soir avec lui et l’Insoumis Manuel Bompard. Qu’avez-vous retenu de votre précédent face-à-face avec Jordan Bardella ? Il a progressé dans les sondages derrière…

J’ai retenu du débat des européennes ses difficultés à défendre les propositions phares de son programme. Je pense en particulier à la priorité nationale. Ça serait un tel carnage pour nos entreprises d’être privées des marchés publics des autres pays de l'Union européenne… Quatre millions d’emplois seraient menacés. Il a même reconnu qu’il ne lisait pas les projets de loi avant de les voter. Qu’il commence déjà par ça avant de réclamer un audit des finances publiques.

Entre le Nouveau Front populaire et le RN, quel est votre adversaire prioritaire ?

Mon adversaire prioritaire, c’est ceux qui carburent à la division, à la haine, à la stigmatisation d’une partie des Français, qui s’éloignent des valeurs de la République, qui mettent en danger notre économie. C’est le cas à LFI et au RN, avec des ressorts différents, avec des publics différents. Mais moi, je crois profondément que LFI alimente le RN et que le RN alimente LFI. Cette tenaille nous fait porter le risque de la grande déchirure du pays, avec des tensions et des violences à la clé. Des Français ne se retrouvent pas dans cette tenaille et ma responsabilité, c’est de les convaincre.

Au second tour, Les Écologistes ont d’ores et déjà annoncé qu’ils se désisteront en cas de risque d’élection d’un candidat RN. Est-ce aussi votre ligne ?

On se prononcera le moment venu. Pour l’heure, je sens un sursaut et les sondages nous placent sept à huit points plus haut que notre score des européennes. Les Français prennent conscience des conséquences historiques de leur vote. Tout est possible.

Considérez-vous que le bloc de gauche est monolithique ? Ou faut-il faire la différence entre des socialistes et des Insoumis ?

Ce que je constate aujourd’hui, c’est que LFI a imposé ses investitures, son programme et son candidat à Matignon au reste de l’alliance. C’est un fait. Cela attriste des électeurs de gauche modérés qui m’en parlent lors de chacun de mes déplacements. Car la gauche n’arrive pas à tenir tête à LFI. Comment voulez-vous qu’elle soit le rempart contre le RN ?

Vous souhaitez être « choisi » par les Français. Est-ce à dire que le président est trop faible pour user de ses attributions constitutionnelles ?

C’est la première fois depuis plus de vingt-cinq ans que les Français votent pour des législatives au cours d’un mandat, et non dans la foulée d’une élection présidentielle. Cela leur donne un sens nouveau. Cette élection donnera une légitimité nouvelle à une majorité, à un gouvernement et au premier ministre qui en sera issu. Le premier ministre choisi aura une légitimité populaire, issue du suffrage universel, sur un programme et sur une méthode.

La gauche n’arrive pas à tenir tête à LFI. Comment voulez-vous qu’elle soit le rempart contre le RN ?

Gabriel Attal

Du fait des tiraillements entre le président et vous, assistera-t-on à une forme de cohabitation si vous vous maintenez à Matignon ?

Je ne pense pas que ce serait dans l’intérêt des Français. Moi, j’ai toujours été à la fois respectueux des institutions, loyal et libre. Mes priorités et ma méthode sont claires. Elles auront une légitimité forte si nous sommes majoritaires.

Vous avez esquissé une nouvelle méthode de gouvernement. Si la majorité était reconduite, qu’est-ce qui changerait en réalité ?

Il faut trouver les moyens d’associer davantage les Français aux décisions. On a cherché à le faire avec des conventions citoyennes sur l’environnement et la fin de vie. Mais je pense qu’il y a probablement d’autres manières à employer. Le poids du Parlement doit être reconnu et probablement mieux assumé. Cette clarification, entre trois blocs, donnera un nouveau souffle à l’action menée par le gouvernement. Il y aura forcément un avant et un après la dissolution, quelles que soient les configurations.

Emmanuel Macron intervient tous azimuts dans cette campagne. Il a parlé de risque de « guerre civile » lundi. Ses sorties sont-elles un atout ou un problème ?

Le président intervient quand il le souhaite. Ma priorité, c’est de mener cette campagne parce que c’est ma responsabilité, parce que c’est aussi mon choix. Malgré les fortes tentatives de Marine Le Pen de présidentialiser cette élection, après avoir cherché à nationaliser les européennes, les Français ont bien compris la logique : c’est une élection législative, pas un référendum pour ou contre le président de la République. Le seul qui est certain de rester à sa place jusqu’en 2027, c’est le président de la République, parce que les Français l’ont élu.

Le macronisme est-il voué à disparaître ?

Je suis convaincu qu’il y a plus de raisons de croire au dépassement politique aujourd’hui qu’en 2017. En 2017, la guerre n’était pas revenue en Europe. L’intelligence artificielle n’avait pas fait irruption dans nos vies. La réponse à ces défis majeurs ne se trouve pas dans un camp partisan, mais seulement dans un dépassement politique qui rassemble des personnes d’horizons différents. Ça a toujours été ma ligne et ça le reste. Je sais qu’elle n’est pas totalement partagée, y compris par certains dans la majorité, qui considèrent qu’il faudrait en revenir à un des blocs de gauche ou de droite.

Vous pensez à Gérald Darmanin, qui a déclaré dimanche dans Le Figaro que « la France est à droite  » ?

Je suis très respectueux des positions des uns et des autres. Le travail, l’autorité, la justice sociale… Je ne suis pas sûr qu’on puisse emprisonner ces valeurs à droite ou à gauche.

J’irai toujours là où je me sentirai utile à mon pays. Quelles que soient les configurations.

Gabriel Attal

Le macronisme a-t-il été perçu comme le camp d’une sociologie privilégiée ?

Ce qui est aujourd’hui un carburant, notamment pour l’extrême droite, c’est un sentiment d’impuissance publique. Le sentiment, pour beaucoup de Français, que la politique n’a plus vraiment la main. Que les décisions annoncées ne se traduisent pas dans la réalité. J’ai toujours voulu lutter contre cela : notamment avec ma décision sur l’abaya.

Vos soutiens vous encouragent à briguer la tête du parti Renaissance à l’automne. Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Je ne me suis pas posé la question aujourd’hui. Aujourd’hui, ma priorité, c’est de faire gagner nos candidats aux élections législatives.

En cas de défaite, continuerez-vous en politique ?

Je me suis engagé en politique pour être utile. J’irai toujours là où je me sentirai utile à mon pays. Quelles que soient les configurations. Le jour où je ne me sentirai plus utile à mon pays, je ferai peut-être autre chose, mais je n’ai pas le sentiment que ce temps-là soit venu.

Quitte à siéger dans l’opposition ?

On peut être utile dans toutes les configurations. Mais je veux d’abord être utile dans une majorité nouvelle.