
Chronique
La chorégraphie américaine autour de la destruction des installations nucléaires de la Perse a été, une fois n’est pas coutume, relativement élégante. Car elle fut à la fois diplomatique et militaire, sans excès dans l’usage de la force, avec une porte de sortie honorable laissée aux Iraniens.
Le Figaro - 1er juillet 2025 - Par Renaud Girard
Il y a d’abord eu une phase diplomatique, dont ne voulait pas le premier ministre israélien mais qu’a imposée le président américain. Grâce à la médiation du Sultanat d’Oman, les Américains et les Iraniens ont négocié pendant deux mois, à partir du 12 avril 2025, se rencontrant chaque fin de semaine, soit à Mascate, soit à Rome. Donald Trump avait donné deux mois à l’Iran pour accepter la proposition américaine, qui exigeait l’interruption totale de l’enrichissement d’uranium. Les Iraniens n’ayant pas répondu positivement, Benjamin Netanyahou a, le 13 juin 2025, lancé sa campagne de destruction du programme nucléaire iranien. Il y a ensuite eu une phase militaire, que Donald Trump a réussi à limiter à 12 jours. Dans cette « guerre de douze jours », les Israéliens – qui échangeaient en permanence avec les Américains – ont détruit les principales défenses antiaériennes de l’Iran, avant de bombarder les sites nucléaires et militaires sensibles du pays. Dans un second temps, le 21 juin 2025, les Américains sont passés à l’action, pour finir le travail de destruction israélien sur les sites de Fordo, Natanz et Ispahan. Le site souterrain d’enrichissement d’uranium à Fordo a reçu quatorze bombes géantes GBU-57 (13,6 tonnes chacune…) tandis que les deux autres sites étaient plus classiquement bombardés à coups de missiles Tomahawk en provenance d’un sous-marin à propulsion nucléaire. L’action américaine n’a visiblement pas fait de victime humaine iranienne. La riposte iranienne à l’attaque américaine tenait également de la chorégraphie géopolitique. Non sans avoir prévenu à l’avance les militaires américains, les Iraniens ont lancé quatorze missiles sur une base aérienne américaine située au Qatar, tout en prévenant l’émir qu’ils ne s’estimaient pas en guerre contre lui. Aucune victime américaine ne fut à déplorer. Quatorze partout, la face était sauve, il était temps d’arrêter. C’est ce qu’a très bien compris Trump en imposant un cessez-le-feu aux Israéliens comme aux Iraniens. Trump a même obtenu, le 25 juin 2025, que des chasseurs-bombardiers israéliens, qui fonçaient vers l’Iran pour venger un incident minime, retournent à leur base sans achever leur mission. Le président américain a réussi à éviter qu’un Israël victorieux ne tombe dans l’hubris et qu’un Iran affaibli ne se précipite dans une fuite en avant désespéré (comme le minage du détroit d’Ormuz). Mais le plus important est que Donald Trump ait donné une porte de sortie aux Iraniens. Sur l’uranium faiblement enrichi qui sert à la production de l’électricité nucléaire, le président américain a dit qu’il était prêt à en fournir à l’Iran. Ce pays dispose en effet d’une centrale nucléaire en cours de construction (par les Russes) à Bouchehr (sur le Golfe Persique, à 200kms à l’ouest de Chiraz). Cette porte de sortie pourrait d’autant plus facilement être empruntée par la théocratie iranienne que son fondateur, l’ayatollah Khomeini, avait déclaré impies la fabrication, la détention et l’usage de l’arme atomique. Par ailleurs, tous les dirigeants raisonnables jugent très dangereuse une possible nucléarisation du Moyen-Orient. Si l’Iran avait la bombe, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Egypte et la Turquie la voudraient à leur tour. Or, au sein de la poudrière moyen-orientale, un jeu nucléaire à six puissances (si l’on ajoute Israël, pays doté, aux cinq puissances musulmanes déjà nommées) est ingérable. Sur un simple malentendu, on pourrait déboucher sur l’apocalypse nucléaire. C’est quelque chose dont ne veulent pas les cinq puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu. C’est un des rares dossiers où elles sont, aujourd’hui, d’accord. Trump a donc raison de rappeler qu’il ne saurait y avoir de Moyen-Orient nucléarisé. Mais l’important est maintenant de ramener l’Iran au sein de la communauté internationale. Trump a eu raison de lui proposer un autre destin que celui d’un expansionnisme militarisé finissant en catastrophe. La Perse peut redevenir la grande puissance commerciale et culturelle qu’elle fut depuis la nuit des temps. Trump a invité l’Iran à suivre cette voie. La jeunesse iranienne est éduquée (les femmes avec un diplôme universitaire y sont plus nombreuses que les hommes), elle parle anglais, elle manie l’informatique, elle ne rêve que d’ouverture au monde extérieur. Cette jeunesse n’a strictement rien contre Israël. Elle sait que, dans leur histoire, les Perses n’ont jamais fait que libérer les Juifs. Trump a également eu raison de refuser, en terre d’islam, toute politique de changement de régime par la force. Comme l’ont montré les exemples récents de l’Irak, de la Libye, de l’Afghanistan, cela ne marche pas. C’est aux Iraniens à choisir leur régime et à personne d’autre. Via un intermédiaire, les Américains ont demandé aux Iraniens de reprendre les négociations (sur l’abandon de l’enrichissement d’uranium en échange d’une levée progressive des sanctions). L’Iran a répondu qu’il y était prêt, à la condition que les Américains n’utilisent pas la force militaire contre lui pendant ces négociations. C’est une exigence raisonnable. Trump serait bien avisé de l’accepter. C’est à partir de ce moment précis que pourraient commencer les pourparlers cruciaux. L’intérêt des Etats-Unis d’Amérique et de toutes les autres nations raisonnables de la planète est d’obtenir des Iraniens qu’ils renoncent volontairement au nucléaire militaire. Car c’est la seule manière fiable de garantir l’extinction de ce programme. Des bombardements extérieurs peuvent retarder le programme nucléaire militaire d’une nation qui possède les savants pour le poursuivre ; ils ne peuvent jamais en garantir le terme. Pour cela, Trump devra offrir à l’Iran sa carotte, après avoir brandi son4 bâton. Il s’agit de lever les sanctions qui handicapent l’économie iranienne depuis plus d’un demi-siècle. Il s’agit de renouer les relations diplomatiques, interrompues depuis 1979, après la prise en otages des diplomates de l’ambassade américaine à Téhéran – dont, rappelons-le, aucun n’est mort. L’économie iranienne a besoin, pour la réfection de son industrie pétrolière, de la technologie américaine. Et dans tout ce processus, les Américains devront traiter les Iraniens avec le respect dû à une civilisation millénaire. C’est une prouesse dont Trump est tout à fait capable. Et c’est seulement une fois que la tension régionale avec l’Iran aura été désamorcée, que Trump pourra se concentrer sur l’exercice politique le plus délicat, qui est la résolution du séculaire conflit israélo-palestinien. Depuis la convocation de la conférence de Madrid (1991) par les Etats-Unis, pas moins de six présidents américains s’y sont cassé les dents. Mais le moment et les esprits n’ont jamais été aussi mûrs pour offrir enfin, à la Maison Blanche, un grand succès diplomatique. (Chronique internationale du Figaro du mardi 1er juillet 2025)
Renaud GIRARD
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