Énergies
C'est ce qu'affirme, dans un entretien très relayé sur les réseaux sociaux, un ingénieur en physique nucléaire travaillant pour le constructeur français de réacteurs nucléaires Framatome.
Le Figaro - 26 septembre 2022 - Par Mayeul Aldebert
Comment produire de l'électricité propre et assurer en même temps la souveraineté énergétique française ? En pleine crise de l'énergie, et après un été marqué par des chaleurs exceptionnelles qui ont souligné à nouveau l'urgence de la lutte contre le réchauffement du climat, cette double problématique est plus cruciale que jamais.Dans un entretien filmé par le site Le Média pour tous et devenu viral sur les réseaux sociaux, un ingénieur du constructeur de réacteurs Framatome affirme qu'un parc de réacteurs de quatrième génération pourrait permettre de satisfaire toute la consommation énergétique actuelle de la France «pendant 2000 ans», juste en réutilisant l'uranium stocké actuellement en France.
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Le pays serait ainsi complètement indépendant énergétiquement en produisant une énergie totalement décarbonée. L'ingénieur précise en effet que le stock d'uranium actuellement dans les entrepôts français pourrait permettre de répondre à toute la demande énergétique actuelle du pays, y compris «ce qu'on consomme en charbon, en gaz, en pétrole, en hydraulique et en renouvelable». Une telle promesse est-elle vraiment tenable ?
Quantité considérable d'uranium disponible
L'uranium, duquel on tire le combustible des réacteurs, est constitué de deux sortes d'atome, ou isotopes : l'Uranium 235 (0,7% seulement de l'uranium extrait de la mine) et l'Uranium 238 (le reste de l'uranium naturel, soit environ 99,3%). Pour nos réacteurs actuels, seul l'atome l'U235 est fissile, c’est-à-dire que seul le noyau de cet atome pourra se casser avec l'impact d'un neutron (la fission nucléaire) pour produire de l'énergie.
Après avoir donc extrait l'isotope 235 pour nourrir la fission nucléaire, il reste alors une très grande quantité d'uranium que l'on dit «appauvri». Depuis la quarantaine d'années d'exploitation du parc nucléaire en France, on stocke cette quantité considérable d'uranium appauvri accumulée - plusieurs dizaines de milliers de tonnes - dans de grands entrepôts, notamment dans la vallée du Rhône. Depuis le début du développement de la filière nucléaire, l'objectif à long terme est de réutiliser cette quantité colossale d'uranium comme combustible, pour des réacteurs avec un logiciel très différent, dit à neutrons rapides : des réacteurs de quatrième génération. En effet, dans ce type de réacteur, «l'uranium 238, qui n'est pas fissile, se transforme, par capture d'un neutron, en plutonium 239, lequel est fissile», explique Jean-Guy Devezeaux de Lavergne, ingénieur en génie atomique et ex-directeur de l'Institut d'économie I-tésé au CEA.
De tels réacteurs auraient donc un rendement 60 fois supérieur à un réacteur traditionnel. «Les ressources d'uranium aujourd'hui identifiées pourraient alimenter un grand parc nucléaire mondial pendant des milliers d'années. Dans le cas de la France, ces réserves accumulées d'uranium appauvri et de plutonium représentent un potentiel d'environ 5000 ans d'alimentation d'un parc de surgénérateurs pour la production d'électricité !», développe la société française de l'énergie nucléaire dans une note.
Réacteurs expérimentaux
Le CEA abonde d'ailleurs en la matière en rappelant qu'avec le stock d'uranium appauvri actuellement disponible sur le territoire français, «on pourrait alimenter un parc de réacteurs à neutrons rapides pendant plusieurs milliers d'années». Et l'Académie des sciences ne dit pas autre chose dans un rapport de juin 2021 : «Les réserves d'uranium appauvri actuellement inutilisées sont considérables. Par exemple la France possède aujourd'hui un stock d'uranium appauvri d'environ 350.000 tonnes» qui pourrait donc assurer «des centaines d'années de production d'énergie électrique [...] même en cas d'arrêt de l'extraction d'uranium».
La France possède donc un formidable stock de combustible potentiel. Dans le détail, le nombre de centaines ou de milliers d'années sur lesquels le pays pourrait être indépendant énergétiquement grâce à ce stock dépend de plusieurs éléments basiques de calcul. Contacté, l'ingénieur Maxime Amblard explique avoir pris en compte dans son calcul «la demande énergétique primaire en 2021» qui renvoie à toutes les énergies que l'on consomme en France, fossiles et renouvelables comprises, et non seulement l'énergie nucléaire qui composait 39% de notre mix énergétique primaire en 2021 et qui a permis de produire 69% de notre électricité.
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La technologie a de plus largement été éprouvée en France, pionnière en la matière, puisque plusieurs réacteurs expérimentaux à neutrons rapides ont été construits dans l'Hexagone dès le début de l'aventure nucléaire (Rapsodie en 1967, Phénix en 1973 et Superphénix en 1984). Outre ces trois réacteurs expérimentaux, la France avait lancé au début des années 2010 le projet Astrid qui prévoyait le passage de la filière de quatrième génération au stade industriel sur un horizon de 30 ans. Mais décision a été prise par le gouvernement en 2019 d'abandonner la construction du réacteur, jugeant que ses grands avantages (indépendance énergétique et recyclage des déchets nucléaires) ne compensaient pas assez le plus grand inconvénient des réacteurs à neutrons rapides, leur prix.
Coût élevé
Cette décision a bien sûr été motivée par d'autres arguments. L'accident de Fukushima, le surcoût de l'EPR de Flamanville, le faible court de l'uranium naturel encore abondant dans les mines ou encore la solution d'enfouir les déchets actuels les plus radioactifs dans les couches géologiques profondes à Bure ont constitué un contexte général motivant pour le gouvernement Macron.
Bien sûr, cette décision n'a pas fait l'unanimité, au contraire. D'autant plus que la France, qui comptait des années d'avance dans cette filière, en compte désormais plusieurs de retards. La Russie et la Chine ont mis en effet les bouchées doubles avec plusieurs réacteurs expérimentaux en fonctionnement et d'autres projets de réacteurs d'exploitation en cours d'élaboration, comme en Inde, ou plus récemment aux États-Unis qui ont investi pour rattraper leur retard en la matière.
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En résumé, un parc de réacteurs de quatrième génération pourrait en effet conférer à la France une totale indépendance énergétique compte tenu des stocks de combustibles potentiels amassés. Cet argument est connu depuis longtemps et dès le début de son développement, la filière nucléaire française a affiché son ambition de fermer son cycle en articulant les réacteurs actuels avec des réacteurs à neutrons rapides pour recycler une partie des déchets nucléaires ainsi que tout l'uranium appauvri. Mais le développement de ces réacteurs entre en concurrence, à court et moyen terme, avec d'autres sources d'énergie moins chères.
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