Finances publiques
Impôts, amélioration de la réforme des allègements de cotisations, croissance, déficit, Etat stratège… Dans un entretien aux « Echos », le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Antoine Armand, livre sa feuille de route du budget 2025.
Les Echos - 3 novembre 2024 - Par Isabelle Ficek, Christophe Jakubyszyn, Dominique Seux, Sébastien Dumoulin, Nathalie Silbert
Le ministre de l'Economie et des Finances Antoine Armand plaide pour une amélioration de la réforme des allègements de cotisations portée par le gouvernement, en « commençant par atténuer la hausse de cotisations sur les bas salaires » et en avançant d'autres postes d'efforts comme une hausse « du nombre d'heures travaillées sur l'année pour pouvoir financer notre modèle de protection sociale ».
Le ministre assure aussi que le gouvernement ne touchera pas au pacte Dutreil ni au crédit d'impôt recherche (CIR). Il va aussi plaider auprès de la Commission européenne de ne pas appliquer en 2025 les sanctions à l'encontre des constructeurs automobiles « fermement engagés dans l'électrification des véhicules ».
Les chefs d'entreprise sont très inquiets de la dégradation de la conjoncture et en colère contre le spectacle politique et le projet de budget. En octobre, le moral des industriels a connu sa plus forte chute depuis 2008. Que leur répondez-vous ?
Je les entends et je les reçois chaque semaine. Notre proposition de budget a deux objectifs : présenter une trajectoire crédible de baisse de la dépense publique pour éviter à terme une crise financière, et soutenir l'activité dans un monde incertain, extrêmement concurrentiel, et où l'Europe a la croissance la plus faible de tous les continents.
Les chefs d'entreprise me disent qu'il faut réduire la dette sans affecter la croissance. C'est mon objectif. Et c'est parce que nous allons réduire les déficits et sortir de l'addiction à la dépense publique que nous pourrons investir davantage dans la transition écologique, la digitalisation de l'économie, le soutien à l'intelligence artificielle et donc défendre nos intérêts commerciaux et industriels. Soutien à l'économie et réduction du déficit sont les deux fronts d'un même combat pour notre avenir.
Il y a deux sujets de crispation pour les entreprises : les hausses d'impôts et la hausse du coût du travail. Le gouvernement va-t-il faire évoluer son projet de révision des allègements de cotisations sociales qui représente pour elles une charge supplémentaire de 5 milliards d'euros ?
La contribution demandée aux plus grandes entreprises sera exceptionnelle : il s'agit d'une surtaxe, pas d'un changement de taux de l'impôt sur les sociétés. Elle sera temporaire : elle s'appliquera seulement en 2025 et 2026. Elle sera ciblée : 440 groupes la paieront, ceux qui réalisent plus de 1 milliard d'euros de chiffres d'affaires et font des profits. Je salue l'esprit de responsabilité du Medef et d'autres organisations qui ont reconnu la nécessité de cette contribution.
Et le coût du travail ?
La baisse du coût du travail reste l'ADN de ma sensibilité politique. C'est la politique que nous avons menée depuis 2017 : réduire la différence entre le coût pour l'entreprise et ce que touchent les salariés. Nous ne la renierons pas. La réforme que nous portons consiste à revoir le mécanisme des allègements de cotisations qui aujourd'hui n'incitent pas à augmenter les salaires.
Le gouvernement ne laissera pas faire le matraquage fiscal initié par les députés du NFP. Deux tiers de baisses de dépenses pour un tiers de hausses de recettes, cela restera notre clé.
Le gouvernement entend les inquiétudes exprimées par les entreprises et le groupe EPR, notamment, concernant l'impact potentiel de cette mesure sur l'emploi. Je souhaite que nous améliorions notre proposition en commençant par atténuer la hausse de cotisations sur les bas salaires. Il faudra trouver d'autres efforts. Cela peut prendre plusieurs formes, notamment une augmentation de la durée du travail - qui reste insuffisante en France.
Qu'entendez-vous par l'augmentation de la durée du travail, cela pourrait-il être l'abandon d'un jour férié supplémentaire comme le propose Elisabeth Borne ?
C'est une piste parmi d'autres . Ouvrons le débat. L'objectif doit être, en tout cas, d'accroître le nombre d'heures travaillées sur l'année, pour pouvoir financer notre modèle de protection sociale auquel nous tenons tous. Nous ferons des propositions sur ce sujet.
Dans le débat budgétaire en cours, les députés ont déjà rajouté plus de 40 milliards de hausses d'impôts au-delà des 30 que vous avez vous-mêmes prévus. A vos yeux, c'est le débat démocratique ou du grand n'importe quoi ?
Le débat démocratique doit toujours être respecté. Mais je veux les rassurer : le gouvernement ne laissera pas faire le matraquage fiscal initié par les députés du NFP. Deux tiers de baisses de dépenses pour un tiers de hausses de recettes, cela restera notre clé.
Conserverez-vous néanmoins quelques-uns des amendements votés à l'Assemblée, par exemple sur le crédit impôt recherche et le pacte Dutreil ?
Regardons la situation européenne et nationale en matière d'innovation et d'emploi. L'Europe croît à moins de 1 % quand les Etats-Unis sont à plus de 3 % et l'Asie à 5 % ! Croire que l'on va soutenir la croissance en alourdissant la transmission des entreprises familiales serait une funeste erreur.
Quant au crédit impôt recherche, j'entends qu'il faudrait le « revoir entièrement » : cela fait peur, à raison, aux entreprises et dénote la démangeaison française à rendre tout plus compliqué.
Nous ne toucherons ni au pacte Dutreil ni à ce qui fait le succès du crédit impôt recherche qui sont des outils puissants, car ils sont simples et stables.
En France, la croissance a été dopée au troisième trimestre par les JO, mais depuis les indicateurs sont médiocres. L'Allemagne va mal. Votre prévision de 1,1 % de croissance en 2025 est-elle sérieuse ?
Oui, notre prévision est crédible. L'économie sera tirée par l'investissement des entreprises et le retour de la consommation, avec une inflation et des taux d'intérêt orientés à la baisse. Cette prévision tient compte des mesures de redressement que nous proposons.
Les agences de notation, le FMI et de nombreux économistes estiment déjà que la France ne parviendra pas à atteindre l'objectif d'un déficit public à 5 % fixé pour l'an prochain…
J'y suis déterminé. C'est ma responsabilité. Toutes les mesures de dépenses supplémentaires ou de moindres recettes seront financées par des économies, y compris en cours d'année si besoin.
Comment les experts de Bercy ont-ils pu se tromper à ce point sur les finances publiques cette année ? Est-ce une faute technique ou une faute politique de votre prédécesseur, Bruno Le Maire ?
Le plus important n'est pas de chercher des responsabilités individuelles. Mais de comprendre. Oui, il y a eu des écarts de prévisions importants, dans des délais resserrés. La qualité du travail des agents de Bercy n'est pas en cause : leur professionnalisme est immense.
Nous avons énormément agi et nous intensifierons les efforts : en orientant l'épargne - par exemple avec la création du Livret d'épargne industrie appelée par le Premier ministre.
Nous vivons dans un monde incertain, avec des évolutions conjoncturelles heurtées par les crises Covid, énergétiques et inflationnistes qui rendent l'exercice particulièrement difficile. Les Allemands constatent eux aussi un écart de plus de 30 milliards d'euros par rapport à leur projet de loi de finances 2024.
Une commission d'enquête s'est constituée à l'Assemblée. Elle permettra à chacun de s'exprimer et de faire des préconisations pour l'avenir.
Précisément, vous-même à Bercy, qu'allez-vous faire pour que les prévisions soient plus fiables ?
J'ai annoncé avec Laurent Saint-Martin un plan d'action pour renforcer le pilotage de nos finances publiques. En plus d'une mission d'inspection interne, je réunirai dans les prochains jours un comité scientifique chargé d'éprouver nos modèles aux effets des récents chocs que nous avons connus. Au-delà des prévisions, je veux associer davantage la représentation nationale, afin de suivre la dépense publique au plus près, plus régulièrement, et sans doute mieux qu'avant.
Gérald Darmanin et d'autres responsables de l'ex-majorité demandent que l'Etat cède certaines de ses participations. Y êtes-vous favorable ?
Ce n'est pas une question budgétaire puisque ce type d'opérations financières ne réduit pas le déficit et a un impact marginal sur la dette. En revanche, c'est une question stratégique qui m'a occupé dès ma nomination. L'Etat doit être stratège, je ferai évoluer la doctrine dès le début de l'année prochaine. Je me rendrai mardi à Calais pour la signature du rachat d'Alcatel Submarine Networks qui produit et installe les câbles sous-marins. Ce sont des actifs stratégiques clés pour la France et pour l'Europe.
Les défaillances d'entreprises progressent. Valeo envisage des fermetures d'usines. Après le démantèlement de Casino, les syndicats d'Auchan redoutent un plan social. C'est un tournant ?
Notre mission, c'est de défendre l'emploi où qu'il soit et nous sommes saisis de chacun de ces dossiers. La solution de moyen terme, c'est de préserver la compétitivité. Nous avons énormément agi et nous intensifierons les efforts : en orientant l'épargne - par exemple avec la création du livret d'épargne industrie souhaitée par le Premier ministre ; en menant la bataille européenne de l'union des marchés de capitaux pour mieux financer les investissements nécessaires aux transitions verte et numérique et en simplifiant encore davantage les normes.
Faudrait-il repousser le règlement CSRD sur le suivi et la publication des normes extra-financières ?
C'est typiquement un sujet qui réclame un peu de bon sens européen. Sans remettre en cause l'objectif du reporting extra-financier, le nombre d'entreprises concernées et d'indicateurs obligatoires n'est pas raisonnable. Ce dossier comme la question de la simplification doivent être traités au niveau européen pour être efficaces. C'est un enjeu majeur pour la compétitivité européenne. Je l'aborderai vendredi à Berlin avec mes homologues allemands.
Faut-il aussi décaler les sanctions européennes applicables dès 2025 aux constructeurs automobiles qui n'arrivent pas à vendre suffisamment de voitures électriques (CAFE) ?
Oui. Il faut garder le cap de la décarbonation et l'échéance de 2035 sur la fin du moteur thermique. Mais ne nous tirons pas une balle dans le pied ! Si nous devons infliger des amendes gigantesques aux constructeurs parce qu'ils ne sont pas allés assez vite, la première conséquence sera d'affaiblir l'investissement et surtout de renforcer nos concurrents asiatiques. Les constructeurs fermement engagés dans l'électrification des véhicules ne devraient pas avoir à payer d'amendes en 2025 : je défendrai cette position avec Marc Ferracci auprès de la Commission et de nos homologues.
Que dites-vous aux dirigeants d'entreprise qui envisagent de délocaliser leur siège social ?
Je leur dis de rester. La France est le pays le plus attractif d'Europe depuis cinq ans. Je me battrai pour que cela continue.
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