Le ministère de l'Économie et des Finances, à Paris. © AFP - Emmanuel Fradin / Hans Lucas

Économie

Pour garder la maîtrise de sa dette publique, la France doit économiser à moyen terme 112 milliards d'euros, selon une note du Conseil d'analyse économique, un organisme rattaché à Matignon. La trajectoire optimale d'un tel effort s'étale sur sept à douze ans, en privilégiant une baisse des dépenses sans exclure une hausse des impôts.

Les Echos - 24 juillet 2024 - Par Sébastien DUMOULIN

La France doit consentir un effort budgétaire énorme, sans tarder, mais en l'étalant intelligemment sur une période de sept à douze ans. Voilà à gros traits le message d' une note publiée ce mercredi par le Conseil d'analyse économique (CAE), un organisme rattaché au Premier ministre. Les trois économistes qui la signent - Adrien Auclert, Thomas Philippon et Xavier Ragot - expliquent aussi pourquoi l'effort initial gagnerait à être plus marqué, y compris en augmentant temporairement les impôts ou en ne revalorisant pas les prestations sociales.

Le constat initial des chercheurs est connu. Les finances publiques tricolores sont en mauvaise posture. En 2023, la dette publique avoisine 110 % du PIB, et le déficit a dérapé à 5,5 % du PIB. Que ce soit pour éviter une hausse des taux d'intérêt, garder l'endettement sous contrôle ou simplement respecter les engagements européens du pays, les futurs gouvernements devront inévitablement s'attaquer au problème. La note du CAE fait office de rappel sur le sujet, alors que la France se cherche désespérément un nouvel exécutif.

112 milliards à économiser

Trois facteurs peuvent jouer sur le ratio d'endettement : le déficit primaire (soit le solde des dépenses et recettes publiques, hors charge d'intérêts), la charge d'intérêts et la croissance du PIB. Dans leur note, les économistes montrent qu'à long terme, ces deux derniers éléments s'annulent en France. Autrement dit, le stock de dette tricolore (3.100 milliards d'euros environ) n'est rien d'autre que la somme des déficits primaires des cinquante dernières années.

La « bonne nouvelle », comme l'écrivent les économistes, est que la France est encore maîtresse de son endettement et ne s'est pas fait prendre dans une spirale de remboursements engloutissant ses ressources, comme l'Italie. La « mauvaise nouvelle » est qu'elle ne peut pas compter sur la seule croissance pour enrayer la progression de sa dette - passée de 21 % du PIB en 1970 à 110 % aujourd'hui. Pour stabiliser le ratio à son niveau actuel, il faut ramener le déficit primaire à zéro ; pour le diminuer, il faut dégager un surplus primaire.

Cette dernière hypothèse est privilégiée par le CAE, car elle permet de conserver quelques marges de manoeuvre en cas de choc majeur dans les années à venir. L'histoire des trente dernières années a montré que tous les dix ans, environ 7 points de PIB étaient engloutis par des mesures exceptionnelles comme après la crise financière de 2008 ou celle du Covid plus récemment. De plus, l'incertitude sur le poids futur de certaines dépenses majeures - les retraites, la transition énergétique ou l'armée - incite à la prudence.

Les économistes prônent donc, à moyen terme, un excédent primaire de 1 % du PIB. En partant du niveau actuel (3,5 % de déficit primaire, soit le déficit total minoré des 2 points de charge d'intérêts), il faudrait donc économiser 4 points de PIB, c'est-à-dire 112 milliards d'euros.

Lissage dans le temps

La somme est énorme et un tel effort pèsera inévitablement sur l'activité économique. Il convient donc de le lisser dans le temps. Selon le modèle du CAE, « un horizon de consolidation d'au moins sept ans est nécessaire ». Cette trajectoire aboutirait à un niveau de dette de 119 % du PIB en fin d'ajustement, avant d'amorcer la décrue.

Il est possible d'étaler l'effort encore davantage, expliquent les économistes, mais « chaque année supplémentaire entraîne une augmentation de la dette d'environ 1 point de plus ». Lisser l'ajustement budgétaire sur plus de douze ans ferait ainsi franchir à la dette française le seuil de 125 % du PIB - un niveau que n'ont jusqu'ici connu que l'Italie et la Grèce et qui ferait peser le risque d'une envolée des taux d'intérêt plombant l'équation.

Des mesures à court terme

Bien qu'étalé dans le temps, l'effort gagnerait à être plus marqué dès maintenant, explique la note du CAE - à la fois pour une question de crédibilité, et parce que cela permet d'infléchir plus rapidement la dynamique de la dette.

Les économistes listent quelques mesures qui pourraient être prises à court terme : recentrer les aides à l'apprentissage (4 milliards d'économies attendues), supprimer les exonérations de cotisations sociales au-dessus de 2,5 SMIC (2 milliards), réduire le crédit d'impôt recherche dans les grandes entreprises (2,5 milliards) ou encore supprimer les dispositifs d'exonérations sur les droits de succession (9 milliards).