
Entreprises
Le président du Medef s’alarme de la faible croissance du pays et déplore que la politique de l’offre soit remise en cause.
Le Figaro - 16 mai 2025 - Par Louise Darbon, Pierre-Loeiz Thomas et Marie Visot
Le FIGARO. - Mardi soir, lors de sa séquence télévisée, Emmanuel Macron a défendu sa politique de l’offre menée depuis sept ans. Partagez-vous son satisfecit ?
PATRICK MARTIN. - Je ne fais pas partie des ingrats qui accablent le président et qui oublient ce qu’il a fait pour l’économie. Mais il faut bien dire que cette politique de l’offre est remise en cause. Nous demandons, instamment, qu’elle soit relancée. La France vit dans un état de léthargie et 84 % de nos adhérents sont inquiets ou pessimistes pour l’avenir, ce qui n’était pas arrivé depuis le Covid. Comment se satisfaire, comme certains, d’une croissance de 0,1 % au premier trimestre ?
Ce n’est pas le signe d’une économie compétitive et dynamique. Surtout quand on se compare à nos voisins italiens ou espagnols, qui font mieux que nous en termes de croissance et, comme par hasard, de finances publiques. Et on peut raconter ce qu’on veut, nous ne sommes malheureusement pas en train de réindustrialiser le pays. On ne peut se permettre de laisser une telle situation d’immobilisme perdurer jusqu’en 2027, en attendant l’arrivée d’un nouveau président. Au contraire, nous exigeons des pouvoirs publics qu’ils se ressaisissent. Et traitent enfin cette hypothermie qui paralyse la France.
Le budget 2026 en préparation prévoit 40 milliards d’euros d’économies. Êtes-vous inquiet ?
J’invite surtout le gouvernement à rétablir la confiance des entreprises dans la parole de l’État. Le report de la suppression de la CVAE - qui avait été votée par le Parlement, je le rappelle - a été pour nous tous un traumatisme. D’autant que, en parallèle, il n’y a eu aucune réduction de dépenses structurelles. Depuis, les entreprises écoutent avec suspicion le discours gouvernemental. On nous promet qu’il n’y aura pas de hausse de l’impôt sur les sociétés (IS), que la surtaxe IS ne sera pas prorogée… mais on sent poindre de l’ambiguïté dans le discours de l’exécutif, qui réfléchit notamment à l’instauration d’une contribution sur le patrimoine. Les budgets 2025 ont déjà un effet récessif et pèsent sur l’emploi ; ne recommençons pas en 2026 ! Nous serons attentifs aux signaux envoyés dès le mois de juillet : nous avons été dupés une fois, ça ne doit pas se reproduire.
Le thème des aides comme « cadeaux aux entreprises » est toujours au cœur du débat. Votre discours est-il inaudible auprès des Français ?
Pas du tout, les Français le comprennent. La cote de confiance des entreprises n’a d’ailleurs jamais été aussi élevée, à 82 %. Les Français pensent désormais majoritairement qu’il ne faut pas plus taxer les entreprises, ils savent que nous sommes le pays avec le plus de prélèvements obligatoires de l’OCDE, et qu’il y va de leurs emplois. Cela montre bien la déconnexion croissante entre un débat politique complètement hors sol et la réalité de la situation : déduction faite des allègements d’impôts et de charges, nos entreprises sont les plus taxées d’Europe
Quelles sont vos solutions pour redresser les finances publiques ?
Que la sphère publique commence par regarder la poutre dans son œil, avant la paille dans le nôtre. Au lieu de prendre un malin plaisir à critiquer le fonctionnement des entreprises, elle devrait regarder ce qui se passe chez elle et se prendre en main. Je rappelle que nos dépenses publiques sont 8 points au-dessus de la moyenne européenne. Ça ne peut pas durer, surtout au regard de l’efficacité ressentie par nos compatriotes. Qu’elle mette le travail au cœur des fonctions publiques, surtout dans les collectivités locales où les 35 heures ne sont même pas respectées. Que les frais de personnels de l’État augmentent de 6,7 % en 2024 - soit 7 milliards d’euros - est incompréhensible quand on demande un surcroît d’efforts aux entreprises.
Le président de la République a lui-même évoqué le non-remplacement d’un certain nombre de fonctionnaires. Plus généralement, nous attendons un plan chiffré de baisse des dépenses courantes de l’État. Je suis effaré de voir qu’il n’a aucune stratégie claire de digitalisation, alors que cela doit permettre de réaliser d’inestimables gains de productivité. Même chose sur la simplification qu’on nous promet depuis des années, qui pourrait nous faire gagner en efficacité, mais qui tarde à arriver.
Le président a évoqué une taxe sur la consommation pour financer le modèle social. Cette proposition, que vous défendez, devrait vous satisfaire…
Je plaide pour cela depuis longtemps car les entreprises du Medef emploient les deux tiers des salariés du privé et sont les plus exposées à la concurrence internationale. Je reste convaincu qu’on ne peut plus faire porter autant le financement de la protection sociale sur le travail. Cette bascule vers une sorte de « TVA sociale » est inéluctable si l’on veut préserver notre modèle français. Tout le monde y serait gagnant : les entreprises en termes de compétitivité, les salariés, puisque cela redonnerait des marges de manœuvre sur les salaires nets. Enfin, l’État à travers l’impôt sur des résultats de ce fait améliorés. Et n’oublions que la TVA frappe nos 700 milliards d’euros d’importations et pas nos exportations.
Comment met-on en œuvre une telle mesure dans un paysage politique aussi éclaté ?
Cessons d’abord de parler de « TVA sociale », il s’agit plutôt de « TVA pour l’emploi et la compétitivité ». Et faisons comprendre à tous que nous n’avons plus le choix, en prenant la peine d’expliquer combien ça serait favorable à la croissance et à l’emploi. Je pense aussi que certains responsables politiques pourraient avoir intérêt à traiter le sujet avant 2027.
Le conclave sur les retraites touche à sa fin. Est-ce un échec ?
Pour l’instant, non. Parce qu’il aura eu la vertu de clarifier le débat. Et même si ce n’est techniquement pas dans la feuille de route, il a permis de mettre la question plus large du financement et de la gouvernance de la protection sociale sur la table.
Emmanuel Macron a enjoint aux partenaires sociaux de reprendre les discussions sur « la qualité du travail et l’évolution des formes de travail » . Qu’en dites-vous ?
Je dis que notre priorité, c’est la quantité de travail, parce qu’elle détermine la production, et donc la prospérité collective. Pour autant, nous accepterons de nous prêter à l’exercice. Il faut parler des transitions professionnelles mais, surtout, de l’emploi des jeunes.
Comment s’attaquer de front à ce sujet ?
En martelant qu’il faut aller au bout de la réforme des lycées professionnels. Nous allons aussi proposer de réformer le premier cycle universitaire, pour enrayer cet autre gâchis humain, social et économique monumental : seul un tiers des jeunes à l’université obtient sa licence. Aujourd’hui, notre rôle est de privilégier le taux d’emploi des jeunes, de les éclairer sur les formations qui favorisent l’entrée sur le marché du travail. Nous nous battrons également pour que cessent les attaques contre les aides à l’apprentissage. Il est incroyable que, pour des raisons purement budgétaires, on remette en cause une formidable réussite collective attendue depuis des décennies. Le gouvernement se trompe en prenant les choses sous ce prisme, au lieu de voir cette dépense comme un investissement pour la collectivité. Je suis totalement contre la réduction des aides qui va inévitablement assécher le flux des apprentis. Nous en verrons les conséquences négatives dès la rentrée.
Des voix de chefs d’entreprise s’élèvent pour dénoncer les dérives normatives européennes. Joignez-vous la vôtre à ce concert ?
Ils sont des nôtres, ils ont raison. Ils expriment notre exaspération collective. Mais je vois des lueurs d’espoir. D’abord, avec l’arrivée de Friedrich Merz au pouvoir en Allemagne, qui a clairement demandé la suppression de la CS3D sur le devoir de vigilance. Le gouvernement français doit avoir le même discours clair. Et obtenir aussi l’allègement de la CSRD.
Il y a d’autres motifs d’espoir, dont la baisse des taux directeurs de la BCE qui desserre un peu la contrainte économique, ou le probable redémarrage de l’Allemagne. C’est ce qui peut nous arriver de mieux. Enfin, la baisse du prix des matières premières a un impact positif considérable sur l’économie mondiale. Mais en France, encore faudra-t-il que l’épargne anormalement élevée - notamment chez les jeunes actifs - revienne sur l’investissement et la consommation.
Qu’attendez-vous de l’Union européenne ? Croyez-vous en sa capacité à tenir face à la politique économique américaine ?
Les Américains nous forcent à réagir, tant mieux ! La réaction européenne a été habile, en ne tombant justement pas dans la surenchère avec Trump. Ne négligeons pas non plus la menace chinoise. Ce qui est malheureux, c’est que je suis plus optimiste sur la relative capacité de l’Europe à se ressaisir que sur celle de la France. L’inertie de ceux qui ne veulent pas voir la réalité, et n’en tirent pas les conséquences est insupportable. Les Français le pensent aussi, et c’est assez inquiétant pour la démocratie.
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