Europe
Après des décennies de leadership allemand, Paris s’impose de plus en plus comme «l’homme fort» de l’Europe, note l’influent hebdomadaire Der Spiegel.
Le Figaro - 6 septembre 2023 - Par Thomas Engrand
Toujours aussi peu populaire en France, la politique menée par le chef de l’État, suscite l’admiration de nos voisins allemands. Cette fois c’est l’influent hebdomadaire hambourgeois Der Spiegel , qui n’hésite pas à titrer de façon provocatrice : «La France : l’Allemagne en mieux» (Frankreich – das bessere Deutschland). Un virage à 180 degrés, comme le reconnaît le journaliste Michael Sauga lui-même.
«Emmanuel Macron n'a pas été épargné par les éditorialistes allemands récemment», souligne-t-il d’entrée. Ni récemment, ni les années précédentes. Dès 2017, celui qui n’était encore qu’un jeune chef d’État avait ainsi accordé une interview au journal, titrée : «Je ne suis pas arrogant». La réélection difficile de 2022, suivie de la perte de majorité à l’Assemblée nationale et de la très conflictuelle réforme des retraites avait fini de faire pâlir l’étoile du leader européen, sur lequel nombre de pro-européens avaient placé beaucoup (trop?) d’espoirs.
Pourtant si l’on se concentre sur les grands indicateurs économiques, le bilan change radicalement, souligne le journaliste qui cite pêle-mêle des prévisions «de croissance plus de deux fois plus élevée pour le pays cette année et l'année prochaine par rapport à l'Allemagne», selon le FMI et un prix de l’électricité plus de deux fois inférieur ou encore une compétitivité qui se redresse pendant que «l’Allemagne recule depuis des années dans les classements mondiaux». À la clef, des investissements qui se multiplient dans l’Hexagone, y compris sur des secteurs habituellement chasse gardée de Berlin comme la construction automobile. Conclusion sans appel de l’auteur : «La France est actuellement meilleure que l'Allemagne» écrit-il en reprenant une analyse du cabinet d'audit EY.
Un retournement de situation dû avant tout à «un mélange fatal d'arrogance et de complaisance», selon Michael Sauga. Après les bons succès des réformes passées sous le chancelier SPD Gerhard Schröder -de gauche comme l’actuel chef du gouvernement Olaf Scholz - l’Allemagne a un peu vite cru à la prospérité éternelle et s’est reposée sur ses lauriers, estime-t-il.
Un nouveau leadership européen
Ces divergences de trajectoire sur le plan économique n’ont pas tardé à avoir des répercussions par-delà les frontières et notamment au sein de l’Union européenne. À Bruxelles, la France se saisit progressivement de la casquette de capitaine longtemps vissée sur la tête des Allemands. Une situation que Berlin n’accepte pas sans se battre. Les deux capitales se sont ainsi livrées à plusieurs passes d’armes ces dernières années, mais dans chacune, ou presque, Paris semble sortir victorieux. L’auteur cite plusieurs exemples comme la volonté d’une plus grande intégration «que l'appareil bureaucratique de Berlin a initialement rejetée avec condescendance avant de les accepter à contrecœur». C’est aussi Emmanuel Macron qui fait nommer Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission européenne ou encore a été à l’initiative d’une réponse européenne au conflit «froid» entre Chine et États-Unis, mettant sur le devant de la scène le concept très français «d’autonomie stratégique», ajoute-t-il.
Mais s'il y a un dossier qui cristallise le décrochage allemand, c'est celui du nucléaire. Angela Merkel a certes pu compter sur une large coalition de pays prêts à sortir de l'atome après l'accident de Fukushima, mais la guerre en Ukraine est venue complètement rebattre les cartes. Aujourd'hui il ne semble rester pratiquement qu'un dirigeant européen majeur, Olaf Scholz, qui s'entête à considérer le sujet comme un «cheval mort». À la longue, ce glissement du centre de gravité vers Paris pourrait considérablement infléchir la politique économique européenne. Hier farouchement libre-échangiste, sous l'influence du géant commercial allemand, il pourrait demain privilégier une approche «Europe first», plus dans la lignée française.
Une hirondelle ne fait toutefois pas le printemps et les Français auraient tort de se voir comme le nouvel homme fort de l’Europe. «Les rapports de force économiques en Europe sont encore clairement établis», pointe Der Spiegel, qui rappelle que «le produit intérieur brut allemand dépasse de plus de 40 % celui de la France». Sans même parler de l’état respectif des finances publiques.
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