Europe

Le nouveau Pacte sur la migration et l’asile prévoit notamment un contrôle renforcé des arrivées de migrants dans l'UE, des centres fermés près des frontières et un mécanisme de solidarité obligatoire entre pays membres au profit des États sous pression.

Le Figaro avec AFP - 20 décembre 2023

Après des années de discussion et une nuit entière d'ultimes tractations, les eurodéputés et représentants des États membres sont parvenus ce mercredi matin un accord, dénoncé par les défenseurs des droits humains, sur l'épineuse réforme du système migratoire européen. «Un accord politique a été trouvé sur les cinq dossiers du nouveau Pacte sur la migration et l'asile», a écrit la présidence espagnole du Conseil de l'UE sur X (ex-Twitter). La commissaire européenne aux Affaires intérieures Ylva Johansson a salué un «moment historique».

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a également évoqué un «accord historique». La présidente du Parlement européen, la Maltaise Roberta Metsola, s'est dite «très fière», estimant qu'il s'agissait «probablement de l'accord législatif le plus important de ce mandat».

Hasard du calendrier, cette percée est intervenue peu après l'adoption en France d'une loi controversée sur l'immigration, qui a provoqué une crise dans le camp du président Emmanuel Macron en raison du soutien de l'extrême droite.

Le pacte asile et migration, présenté par la Commission européenne en septembre 2020, est une nouvelle tentative de refonte des règles européennes, après l'échec d'une précédente proposition en 2016 dans la foulée de la crise des réfugiés.

La Hongrie a dit «rejeter avec force» l'accord de l'UE pour modifier en profondeur le système migratoire et d'asile européen, refusant de contribuer au mécanisme de solidarité obligatoire entre pays membres. «Nous rejetons ce pacte migratoire avec force», a déclaré à la presse le ministre des Affaires étrangères Peter Szijjarto. «Nous ne laisserons entrer personne contre notre volonté».

Contrôle renforcé

Il prévoit notamment un contrôle renforcé des arrivées de migrants dans l'UE, des centres fermés près des frontières pour renvoyer plus rapidement ceux n'ayant pas droit à l'asile, et un mécanisme de solidarité obligatoire entre pays membres au profit des États sous pression migratoire. L'accord politique devra encore être formellement approuvé par le Conseil (États membres) et le Parlement européen.

Cet accord représente «une solution équilibrée qui ne laisse plus les pays frontaliers de l'UE, particulièrement exposés à la pression migratoire, se sentir seuls», a affirmé le ministre de l’Intérieur italien Matteo Piantedosi dans un communiqué. «L'approbation de l'accord est un grand succès pour l'Europe et pour l'Italie, qui pourra désormais compter sur de nouvelles règles pour gérer les flux migratoires et lutter contre les trafiquants d'êtres humains», a-t-il ajouté. L'Italie est en première ligne des arrivées de migrants qui cherchent à rallier l'Europe par la Méditerranée depuis l'Afrique du Nord et Rome estime que les pays de l'UE ne font pas suffisamment pour l'aider.

L'objectif est une adoption finale de l'ensemble des textes avant les élections européennes de juin 2024, alors que la question de l'immigration accapare le débat politique dans de nombreux pays européens, sur fond de montée des partis d'extrême droite et populistes.

La réforme suscite toutefois les critiques des organisations de défense des droits humains. L'accord «causera plus de morts en mer», a déploré un collectif d'ONG. «Pas une seule vie ne sera sauvée par la décision d'aujourd'hui (...). Cet accord est un échec historique et un hommage aux partis de droite européens», ont regretté plus de 15 ONG de secours en mer, dont Sea-Watch et SOS Humanity, dans leur communiqué commun.

L'eurodéputé Damien Carême a dénoncé un pacte «qui fait honte aux plus belles valeurs de l'Europe». «On ressort avec un texte qui est pire que la situation actuelle (...) On va financer des murs, des barbelés, des systèmes de protection partout en Europe», a-t-il déclaré sur X (ex-Twitter).

Solidarité obligatoire

La réforme discutée à Bruxelles conserve la règle actuellement en vigueur selon laquelle le premier pays d'entrée dans l'UE d'un demandeur d'asile est responsable de son dossier, avec quelques aménagements. Mais pour aider les pays méditerranéens, où arrivent de nombreux exilés, un système de solidarité obligatoire est organisé en cas de pression migratoire. Les autres États membres doivent contribuer en prenant en charge des demandeurs d'asile (relocalisations) ou en apportant un soutien financier.

La réforme prévoit aussi un «filtrage» des migrants à leur arrivée et une «procédure à la frontière» pour ceux qui sont statistiquement les moins susceptibles d'obtenir l'asile, qui seront retenus dans des centres pour pouvoir être renvoyés plus rapidement vers leur pays d'origine ou de transit. Cette procédure s'appliquera aux ressortissants de pays pour lequel le taux de reconnaissance du statut de réfugié, en moyenne dans l'UE, est inférieur à 20%.

Le Conseil (États membres) a insisté pour que même les familles avec enfants de moins de 12 ans soient concernées par une telle procédure, qui implique une forme de détention, dans des centres situés près des frontières ou des aéroports par exemple.

Hausse des arrivées irrégulières

Le Parlement européen a obtenu des garanties sur un mécanisme de surveillance des droits fondamentaux dans ces procédures à la frontière, sur les conditions d'accueil des familles avec jeunes enfants, sur l'accès à un conseil juridique gratuit pour les migrants, a indiqué à l'AFP l'eurodéputée française Fabienne Keller (Renew Europe), rapporteure de l'un des textes.

Autre texte agréé : un règlement sur les situations de crise et de force majeure, destiné à organiser une réponse en cas d'afflux massif de migrants dans un État de l'UE, comme au moment de la crise des réfugiés de 2015-2016. Il prévoit là encore une solidarité obligatoire entre les États membres et la mise en place d'un régime dérogatoire moins protecteur pour les demandeurs d'asile que les procédures habituelles, avec un allongement possible de la durée de détention aux frontières extérieures du bloc.

L'UE connaît actuellement une hausse des arrivées irrégulières, ainsi que des demandes d'asile. Sur les onze premiers mois de l'année 2023, l'agence Frontex a enregistré plus de 355.000 traversées des frontières extérieures de l'UE, soit une hausse de 17%. Les demandes d'asile quant à elles pourraient atteindre plus d'un million d'ici la fin 2023, selon l'Agence de l'UE pour l'asile (EUAA).