
Europe
Dans les coulisses du dernier congrès des droites européennes à Valence, Les Républicains membres du PPE ont vanté la piste des « pays tiers sûrs » pour améliorer les politiques migratoires des États membres. Des coopérations avec sept pays hors UE se dessinent.
Le Figaro - 4 mai 2025 - Par Emmanuel Galiero, envoyé spécial à Valencia (Espagne)
Comment améliorer la politique migratoire des États membres de l’Union européenne et comment leur permettre d’expulser les étrangers présents illégalement sur leurs territoires ? Les Républicains, membres du Parti populaire européen, ont eu l’occasion de partager leurs interrogations lors du congrès du PPE qui s’est tenu la semaine dernière à Valencia, en Espagne. Trop souvent confrontés en France à l’impossibilité d’expulser des ressortissants étrangers même quand ils sont déboutés du droit d’asile, les eurodéputés français LR suivent avec intérêt les discussions en cours sur un nouveau règlement européen prévoyant l’implication de «pays tiers sûrs».
François-Xavier Bellamy, chef de la délégation française et vice-président du groupe PPE, vient d’être désigné «shadow rapporteur» de ce texte qui s’inscrit dans le prolongement de la «directive retour» de 2008, avec l’objectif d’améliorer les dispositions existantes. Parmi les avancées sur lesquelles planchent les élus européens, l’une des plus marquantes est donc l’introduction de ce concept de «pays tiers sûrs» par la commission européenne. L’Autrichien Magnus Brunner, commissaire aux Affaires intérieures et à la Migration, membre du PPE, exprimait sa volonté d’avancer sur ces sujets dès le mois de mars.
Sept «pays tiers sûrs»
Le système consiste à s’appuyer sur la contribution de pays extérieurs à l’Union européenne qui acceptent de reprendre sur leur sol des ressortissants étrangers non issus de leur territoire. Cette solution permet de contourner les obstructions quand, par exemple, le pays d’origine refuse de reprendre ses ressortissants en situation irrégulière ou lorsque ces illégaux refusent eux-mêmes de revenir dans leur propre pays, voire dissimulent leur identité pour ne pas y être contraints. Au cœur de la crise diplomatique opposant actuellement la France et l’Algérie, le problème des laissez-passer consulaires refusés par l’Algérie illustre les difficultés auxquelles les États européens se heurtent. Un piège dont beaucoup de pays veulent sortir, dont la France qui se heurte régulièrement au problème des obligations de quitter le territoire français (OQTF) impossibles à mettre en place. Sans parler de l’impuissance des centres de rétention administratifs (CRA) dont l’utilité et le coût font débat.
D’où cette piste nouvelle des «pays tiers sûrs» soutenue par les eurodéputés français impliquant des coopérations internationales. Aujourd’hui, les sept pays ouverts aux partenariats pour recevoir des expulsés sont le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, l’Inde, le Bangladesh, la Colombie et le Kosovo. Concrètement, si la France devait avoir un problème pour l’expulsion d’un ressortissant Pakistanais avec le Pakistan par exemple, elle pourrait l’expulser vers le Bangladesh. «L’idée est d’avoir au moins un pays coopérant dans chaque grande région du monde», précise le député européen Bellamy, en notant que dans le prolongement de cette nouvelle possibilité, les demandes d’asile pourraient également être effectuées hors des frontières de pays concernés, comme le fait déjà l’Italie avec l’Albanie.
En France, l’impuissance des politiques publiques en matière migratoires a poussé récemment Laurent Wauquiez à plaider pour la création d’un CRA à Saint-Pierre et Miquelon. Le député français juge cette solution potentiellement dissuasive car située hors espace Schengen. Il est convaincu que si ce projet était combiné à des délais de rétention d’un an et demi au lieu de 90 jours, il rendrait impossible tout retour sur le territoire hexagonal et finirait par inciter les ressortissants illégaux à rentrer dans leur pays d’origine. Cette idée a suscité une polémique mais sur le fond, même si Laurent Wauquiez est en campagne pour la présidence LR, c’est bien le constat d’une inefficacité patente de la politique migratoire française qui incite certains élus à proposer des solutions nouvelles. Et finalement, le moteur de ces débats européens renvoie toujours à la même question centrale : comment réussir à expulser des étrangers illégaux ?
L’Europe serait dotée d’une arme de dissuasion massive qui finira par contraindre les pays
François-Xavier Bellamy
concernés à une meilleure coopération.
Bruno Retailleau, le ministre LR de l’Intérieur a été directement impliqué dans les négociations pour la préparation du nouveau règlement européen. Le sujet s’est d’ailleurs invité sur la table du Sénat récemment, lors des journées parlementaires du Parti Populaire Européen organisées à Paris. Le PPE et Les Républicains plaident pour des solutions concertées. Et pour François-Xavier Bellamy, les résultats en matière d’expulsions passent par une convergence des politiques européennes : «Si demain, tous les pays européens adressent des messages clairs aux pays qui refusent de coopérer sur les retours en leur disant que s’ils refusent de délivrer des laissez-passer consulaires ils n’obtiendront plus de visa dans aucun pays européen, l’Europe serait dotée d’une arme de dissuasion massive qui finira par contraindre les pays concernés à une meilleure coopération».
Économie et sécurité
La liste de sept premiers «pays tiers sûrs» est considérée comme «dynamique», c’est-à-dire susceptible de s’élargir à d’autres. Mais quel serait l’intérêt pour ces «pays tiers sûrs» de nouer de telles coopérations avec les États européens ? «Pour diverses raisons, certains cherchent à tisser des liens avec l’UE : coopérations économiques, convergences en matière de sécurité, mécanismes d’assistance mutuelle… Nous sommes d’ailleurs en train de réfléchir aux moyens de permettre à l’agence européenne Frontex, chargée de surveiller les frontières de l’UE, d’étendre ses missions aux pays hors UE avec lesquels nous coopérons car nous avons tous intérêt à mieux gérer les problèmes migratoires», explique-t-on au sein du groupe LR à Bruxelles.
Si la Tunisie, en tant que pays de transit, devait se trouver débordée par une crise migratoire, les conséquences en Europe seraient immédiates. C’est pour cela que les Européens jugent utile de nouer des partenariats entre pays touchés par les mêmes phénomènes. L’UE, via Frontex, pourrait parfaitement aider aussi la Tunisie à contrôler ses propres frontières. Mais à droite, on explique aussi que l’objectif visé par le recours aux «pays tiers sûrs» est la «dissuasion». Les Européens cherchent des instruments capables de freiner les départs vers l’Europe. François-Xavier Bellamy insiste : «En réalité, c’est un enjeu d’ordre réputationnel. Aujourd’hui, le monde entier sait que si l’on arrive à mettre illégalement un pied sur le sol européen, on a toutes les chances d’y rester mais s’il devenait parfaitement clair demain que toute entrée illégale n’offrirait aucune chance de pouvoir y rester durablement, ce sera la fin de l’immigration illégale massive vers l’Europe. Nous n’aurons plus de drame en mer Méditerranée, plus d’instrumentalisation de cette immigration, plus de leviers offerts aux dictateurs qui veulent nous mettre en danger».
Face à l’apparente brutalité de la politique migratoire mise en place par Donald Trump aux États-Unis, certains parlementaires européens se disent frappés par la chute du nombre d’entrées illégales que celle-ci aurait entraîné. Ils estiment aussi que les expulsions seraient moins importantes que sous la présidence Biden. Mais quels que soient les modèles cités, les élus du PPE veulent s’équiper de nouveaux outils sans renier leurs fondamentaux, notamment en matière de justice et d’humanité. Certains élus du PPE s’étonnent de voir cette question de la protection des frontières trop souvent instrumentalisée par la gauche, prête à pointer la culpabilité de ceux qui défendent cette protection comme un principe nécessaire largement partagé dans le monde.
Vif débat en perspective
Dans les couloirs du PPE, on s’attend à un débat très vif sur ces sujets, voire à un retour marqué du clivage gauche-droite. Les droites européennes s’estiment en phase avec l’opinion et considèrent que l’Europe ne peut plus reporter les réponses attendues sur ces sujets cruciaux. Lors du congrès du PPE à Valencia, on ne comptait plus les alertes lancées à la tribune, donnant l’impression d’une prise de conscience générale. Pour sa part, le chef de la délégation française n’a pas manqué de rappeler l’urgence de s’emparer du poids politique de la droite européenne pour apporter les preuves de sa détermination à agir.
Publié par la Commission européenne, le règlement sur la directive retour doit désormais recueillir la position de chaque État membre et du Parlement européen. Le Conseil et le Parlement vont donc se mettre au travail au cours des prochaines semaines avec l’espoir d’aboutir à des applications concrètes dès 2026. Par définition, un règlement n’étant pas une directive, il n’est pas contraint de passer par l’étape de la transposition obligatoire en droit national des 27 États membres. Le règlement peut donc s’appliquer directement une fois adopté. Les eurodéputés du PPE sont conscients de l’urgence d’aboutir mais la solidité de ce règlement prime. Les Républicains plaident eux aussi pour la qualité du résultat. «Après des années d’impuissance migratoire en Europe, ce qui compte ce n’est pas d’agir dans la précipitation. L’important est d’avoir un bon texte.»
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