Fiscalité
Pour l’économiste Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, la nouvelle taxe sur la «fortune improductive», qui pourrait s’appliquer aux bijoux, aux œuvres d’art ou encore aux fonds en euros, traduit une méconnaissance des mécanismes financiers et risque de pénaliser l’épargne prudente.
Le Figaro - 2 novembre 2025 - Par Jeanne Sénéchal
Vendredi soir, dans un climat politique pour le moins mouvant, les députés ont adopté un amendement transformant l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en «impôt sur la fortune improductive». Une alliance inattendue entre le Rassemblement national, le Parti socialiste, le MoDem et le groupe Liot a permis le vote de ce texte, qui bouleverse la logique de l’impot sur la fortune immobilière (IFI) en intégrant désormais certains capitaux financiers jugés «non productifs».
Alors que la réforme de la fiscalité du patrimoine prend une tournure de plus en plus confuse, l’économiste Olivier Babeau, président de l’Institut Sapiens, analyse pour Le Figaro les conséquences possibles de cet «impôt sur la fortune improductive» sur la location, les bijoux ou les œuvres d’art. Il redoute notamment que la France ne voie partir une partie de son patrimoine artistique.
Le Figaro.- Concrètement, qu’est-ce que les députés ont voté ? Pouvez-vous expliquer ce que recouvre cet «impôt sur la fortune improductive» et en quoi il diffère de l’IFI actuel ?
Olivier Babeau.- L’un des changements majeurs concerne la réintégration dans l’assiette d’une partie du capital financier. Jusqu’ici, l’IFI ne taxait que l’immobilier. Désormais, certains capitaux jugés «non productifs» y seraient ajoutés. On nage en plein délire, il n’y a aucune cohérence.
C’est là que ça devient flou : cela viserait les dépôts non investis, les fonds en euros des assurances-vie, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas placés en actions, et, apparemment, même les placements sur livret. C’est totalement incohérent. Considérer ces produits comme «improductifs», alors qu’ils participent au financement de l’économie, n’a aucun sens.
Sur l’immobilier, il faut noter deux choses. D’abord, les biens loués : dans le projet initial, exclure de l’assiette les logements mis en location était sans doute la seule mesure intelligente et, bien sûr, elle a été supprimée par un amendement des socialistes.
Ensuite, la résidence principale : elle pourra désormais être exonérée jusqu’à un million d’euros, contre un simple abattement de 30 % auparavant. Cela peut alléger la charge pour ceux dont le patrimoine est essentiellement constitué de leur résidence principale, mais cela reste à confirmer. Le taux, lui, est supérieur à 0,7 %.
Si elle va au bout donc, la France pourrait perdre une partie de son patrimoine artistique. D’autant que la valeur de marché des œuvres d’art est, par nature, très incertaine.
Olivier Babeau
Il y a une autre nouveauté : l’entrée des œuvres d’art, métaux précieux et meubles dans l’assiette...
Oui, et c’est très important. C’est une entrée fracassante, car, théoriquement, vous devrez déclarer vos œuvres d’art à leur valeur de marché. Jusqu’ici, elles avaient toujours été exclues précisément pour éviter d’encourager les ventes à l’étranger. Si l’on applique cette mesure à la lettre, il vaudrait mieux vendre son œuvre d’art et placer l’argent. Si elle va au bout donc, la France pourrait perdre une partie de son patrimoine artistique. D’autant que la valeur de marché des œuvres d’art est, par nature, très incertaine.
Le taux prévu serait de 1 %, soit un niveau supérieur à celui de la première tranche de l’IFI, fixé à 0,7 % jusqu’à environ 2,6 millions d’euros. Le nouveau dispositif s’appliquerait ainsi directement à 1 %, sans progression par tranches.
Vous évoquiez aussi les fonds en euros, souvent présentés comme des placements sûrs. En quoi seraient-ils concernés ?
Oui, c’est un point méconnu. Pour la petite histoire, c’est intéressant : la plupart du temps, les fonds en euros servent aux banques à respecter leurs ratios de précaution (les exigences imposées aux banques pour garantir qu’elles disposent de fonds propres suffisants face aux risques qu’elles prennent NDLR). De ce point de vue là, les taxer pourrait poser problème. Et puis cet argent est aussi placé en bons du Trésor. Autrement dit, cet impôt reviendrait à décourager, voire à sanctionner, l’achat de dette souveraine française.
Le compte de dépôt n’est pas de l’argent inactif. Il est utilisé par les banques pour respecter leurs ratios prudentiels et pour transformer cette épargne en crédits de long terme, destinés aux entreprises comme aux ménages. De ce point de vue, parler de «capital non productif» traduit une réelle méconnaissance des mécanismes financiers.
Ce nouvel impôt rapportera-t-il plus que l’IFI ?
Difficile à dire. Probablement pas autant que l’ancien ISF, mais sans doute un peu plus que l’IFI. Tout dépendra des précisions à venir.
Taxer la «fortune improductive» , est-ce économiquement cohérent ?
Non. Taxer le patrimoine est, à mes yeux, une très mauvaise idée. Il faut garder à l’esprit qu’il existe une concurrence fiscale, et que la plupart des pays autour de nous ont renoncé à ce type d’imposition. Nous sommes déjà au taquet de la plupart des impôts par rapport à nos voisins : sur la transmission, sur l’acquisition, sur la détention, avec toutes les formes de fiscalité existantes.
La meilleure forme d’impôt sur le patrimoine, c’est de ne pas en avoir, puisqu’il en existe déjà sur tout le reste. Si toutefois on n’y intègre pas les portefeuilles placés, on limite les dégâts. De plus, j’ai un véritable point d’interrogation sur l’imposition des œuvres d’art et des meubles.
Est-ce que vraiment cette mesure ira au bout ? Il semble y avoir une zone grise. Taxer les bijoux à 1 % de leur valeur paraît complètement déraisonnable. Cela demanderait à être précisé, car si la règle était appliquée strictement, ce serait de la folie. Sinon, il y aurait une transgression massive : personne ne déclarerait. Mais au moment d’une succession, cela pourrait entraîner un rappel fiscal très sévère.
Taxer les liquidités et les fonds en euros, cela poussera-t-il les épargnants vers des placements plus risqués ?
Oui, mais paradoxalement, cela pourrait aussi les servir. Ils seront incités à investir dans des actifs un peu plus productifs, sans forcément prendre des risques excessifs. On peut trouver des actions plus conservatrices.
Une question importante reste en suspens : à quel moment ce patrimoine sera-t-il évalué ? Sera-ce au 1er janvier, ou sur la base d’une moyenne annuelle ? L’argent circule en permanence. Il peut se trouver un jour sur un compte de dépôt, puis être placé ailleurs. Si l’évaluation s’effectue à un moment T, il suffirait de transférer temporairement ses avoirs en actions au moment du calcul, avant de les replacer ensuite sur un compte.
Le Rassemblement national a voté ce texte. Est-ce cohérent avec la vision de l’«impôt enraciné» défendue par Marine Le Pen, qui privilégie l’immobilier par rapport au capital financier ?
En partie. Ils défendaient à l’origine l’idée d’exclure totalement la résidence principale, ce qui n’a finalement pas été retenu. En revanche, ils souhaitent taxer le capital mobilier, qu’ils considèrent comme «non enraciné», et épargner l’immobilier. Dans cette logique, ce nouvel impôt va donc partiellement dans leur sens.
Comment ce nouvel impôt est-il perçu dans les milieux économiques ?
Pour l’instant, c’est surtout la stupéfaction. Dans les milieux économiques, personne n’avait vu venir cette mesure. En réalité, le débat autour de Gabriel Zucman a servi de diversion, et c’est un tout autre impôt qui surgit derrière, par surprise.
Pour conclure, c’est un impôt très technique, et rien n’est encore figé. Tout le monde n’est pas d’accord sur ce qui a été voté ; nous aurons sans doute plus de clarté dans les prochains jours. Les grands principes sont posés, mais la mise en œuvre demandera du temps et des ajustements.
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