
Fiscalité
Alors que la présidente de l’Assemblée nationale a relancé cette semaine le débat sur la taxation de la transmission, la France est d’ores et déjà l’un des pays du monde où la fiscalité est la plus lourde.
Le Figaro - 17 octobre 2025 - Par Adrien Bez
Elle est sortie du rang en milieu de semaine, à l’aube, s’aventurant en terrain miné. À rebours de la position majoritaire des macronistes, Yaël Braun-Pivet a profité d’un passage matinal sur France 2 pour appeler à «taxer davantage les héritages», «ce truc qui tombe du ciel», mercredi 15 octobre. La présidente de l’Assemblée nationale a eu beau, le lendemain, expliquer qu’il était «légitime et juste que les Françaises et les Français qui travaillent dur puissent offrir une vie digne à leurs enfants», et que ce qu’elle visait, c’était surtout les «super-héritages», son intervention a produit son effet : «Mettre ce sujet sur la table».
À ce débat, il est nécessaire de rappeler un fait établi par une myriade d’études : la France est d’ores et déjà l’un des pays du monde où la fiscalité sur la transmission est la plus lourde. Et les Français ne s’y trompent pas : en 2017, France Stratégies révélait que 87% d’entre eux souhaitaient que cette taxation diminue, tandis que 9% d’entre eux seulement voulaient qu’elle augmente. Preuve, s’il en fallait une, que Yaël Braun-Pivet nage à contre-courant. D’autant plus que les règles fiscales pour les droits de mutation à titre gratuit (DMTG) - droits sur les successions et les donations - sont quasiment inchangées depuis 2012 et le début du mandat de François Hollande.
Une étude du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), qui compare le poids global de la fiscalité sur les donations et successions dans 39 États membres de l’OCDE ou de l’UE, est très éloquente : la France a l’imposition la plus élevée de l’échantillon, avec un poids de cette fiscalité de 0,74% du PIB en 2021. Seules la Corée du Sud et la Belgique sont à des niveaux comparables. La plupart des voisins se situent entre 0,15 et 0,3% du PIB, comme l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Suisse.
La France, une «exception» dans l’OCDE
Si l’on se concentre sur les successions en ligne directe (père, mère, enfant, petit-enfant), cas les plus favorables aux héritiers, le taux d’imposition maximal français (45%) est trois fois supérieur à la moyenne de l’OCDE (15%). Quant à l’abattement sur les droits de succession en ligne directe, il s’élève à «seulement» 100.000 euros en France contre 337.000 dollars au Japon, 456.000 dollars en Allemagne, 641.000 dollars au Royaume-Uni, 1,14 million de dollars en Italie et 11,5 millions de dollars aux États-Unis, selon une étude de l’OCDE.
D’ailleurs, douze pays de l’OCDE ont purement et simplement supprimé l’impôt sur les successions, comme la Suède, la Norvège, la République tchèque ou encore le Canada. Et alors qu’au sein de l’OCDE le produit des droits de succession connaît un déclin depuis la fin des années 1960, la France «fait figure d’exception», note la Cour des comptes dans un rapport de juin 2024. Dans l’Hexagone, le montant des recettes des seuls droits de succession a plus que doublé entre 2011 (7 milliards d’euros) et 2023 (16,6 milliards d’euros), selon la Cour des comptes.
«Concentration» du patrimoine hérité
Mais Yaël Braun-Pivet dit vouloir cibler particulièrement les «super-héritages», cette «rente qui ne cesse de croître grâce à l’effet boule de neige». La présidente de l’Assemblée nationale cite une note du Conseil d’analyse économique (CAE) selon laquelle la «concentration» du patrimoine hérité est «extrême» dans le dernier décile des héritiers : le top 1% d’une génération recevra en moyenne plus de 4,2 millions d’euros nets de droits et le top 0,1 % environ 13 millions d’euros. De quoi «alimenter les inégalités», selon elle.
Le CAE évoque, de son côté, un «retour de l’héritage», puisque la part du patrimoine hérité dans le patrimoine privé dépasse aujourd’hui le seuil des 50%. En 2024, entre 2000 et 3000 milliards de dollars d’héritage ont été légués dans le monde, selon une estimation du cabinet EY, qui n’hésite pas à parler de «plus grand transfert de fortune de l’histoire financière mondiale». Et cette dynamique n’est pas près de s’essouffler. Au cours des quinze prochaines années, la France connaîtra «le plus grand transfert de richesse de son histoire contemporaine», affirme la Fondation Jean Jaurès : «Plus de 9000 milliards d’euros de patrimoine détenu par les Français les plus âgés seront transmis à leurs enfants». En clair, la taille du gâteau ne cesse de croître et suscite bien des convoitises. À commencer par celle de l’État, qui y voit un moyen commode de combler ses caisses sans s’attaquer réellement à ses problèmes de finances publiques.
Baisse de taux et élargissement de l’assiette : la recette de la Cour des comptes
Faut-il pour autant réformer les droits de succession en France ? De son côté, l’OCDE recommande d’augmenter l’impôt dans les pays où la fiscalité du patrimoine est peu élevée. Mais «ce n’est pas le cas de la France», rappelle la Cour des comptes, puisque «la fiscalité affectant la détention et la transmission de patrimoine représente 4,1 % du PIB en 2022, soit le taux le plus élevé de l’Union européenne».
Les Sages préconisent, bien au contraire, une baisse du taux de l’impôt. Cette baisse serait ciblée sur les successions collatérales, c’est-à-dire entre frères et sœurs, oncles, tantes, neveux, nièces, cousins ou cousines, mais aussi sur les successions vers les enfants du conjoint, ou «beaux-enfants». Pourquoi ? Parce que les taux sont très élevés et non progressifs, c’est-à-dire en contradiction avec la forte augmentation, en France, du nombre de familles dites «recomposées» .
Mais pour le bien des finances publiques, cette baisse de taux doit nécessairement être compensée. La Cour des comptes appelle à «élargir l’assiette» en s’attaquant à deux dispositifs particulièrement critiqués. Le pacte Dutreil d’abord, qui offre un abattement fiscal de 75 % sur la valeur de l’entreprise lors de sa transmission. Le régime des assurances-vie ensuite, bien plus favorable que le droit commun. Les Sages proposent d’en durcir les conditions.
Le pacte Dutreil est justement dans le viseur de Bercy en vue du budget 2026. Selon les informations du Figaro, le gouvernement a un temps envisagé d’inscrire directement dans sa copie budgétaire un coup de rabot sur cette niche fiscale. Le sujet pourrait donc rapidement revenir dans le débat.
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