
International
La faction favorable à des négociations marque des points à la Maison-Blanche. Toutefois, Donald Trump veut conserver d'importantes recettes douanières et maintenir une pression commerciale maximale sur le reste du monde.
Les Echos - 4 avril 2025 - Par Solveig Godeluck
Succès diplomatique, ou échec ? Lundi, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, est ressorti du Bureau ovale avec une énigme. Sa mission aux Etats-Unis pour éviter les foudres tarifaires de Donald Trump s'est très bien passée. Il est le seul chef d'Etat à avoir été reçu par le président des Etats-Unis depuis le déclenchement de sa guerre commerciale mondiale, la semaine dernière.
Benyamin Netanyahou a tout fait comme il faut, en annonçant avant sa visite la suppression de tous les droits de douane israéliens sur les importations de marchandises américaines, puis en promettant lundi d'éliminer le déficit commercial enregistré par les Etats-Unis avec son pays. Donald Trump l'a remercié. Ils ont affiché leur bonne entente, leur lien privilégié.
Mais à aucun moment le président n'a évoqué la suppression des droits de douane de 17 % qu'il compte infliger aux produits israéliens. « N'oubliez pas que nous aidons beaucoup Israël. Vous savez, nous donnons 4 milliards de dollars à Israël par an, c'est beaucoup », a-t-il dit.
Washington participe en effet au financement de la défense du petit Etat depuis sa création et n'a aucunement l'intention d'y renoncer. En campant sur sa position, Donald Trump laisse entendre que ce service rendu à un allié, jusqu'à présent gratuit, pourrait être rémunéré avec des recettes commerciales.
Des droits permanents et des négociations
Cette entrevue donne une petite idée de la façon dont le président des Etats-Unis compte naviguer dans le chaos qu'il a lui-même créé - même si rien n'est certain, sur un terrain politique mouvant, avec plusieurs factions qui s'affrontent à la Maison-Blanche. Il y aura bien des négociations, et Wall Street l'a pris en compte ce mardi matin à l'ouverture. Mais Donald Trump veut conserver d'importantes recettes douanières, tarifer la protection militaire américaine, et faire durer le plaisir en gardant ses partenaires commerciaux sous pression.
Interrogé par une journaliste qui voulait savoir si les tarifs étaient négociables, ou bien s'ils seraient « permanents », le président a répondu : « Les deux peuvent être vrais. Cela peut être des droits permanents. Et cela pourrait aussi être des négociations, parce qu'il y a ces choses dont nous avons besoin, au-delà des droits de douane. » Il a ajouté que les Etats-Unis avaient « besoin de frontières ouvertes ».
La semaine dernière, quasiment tous les pays se sont vus imposer des droits de 10 %. Mercredi, sauf surprise de dernière minute, le deuxième volet des tarifs douaniers américains entre en vigueur, ce qui va être douloureux pour de très nombreuses nations, dont la Corée du Sud (total 25 %), le Japon (24 %), l'Europe (20 %), le Vietnam (46 %)… sans parler de la Chine, qui a promis de « lutter jusqu'au bout » avec des rétorsions, et qui écope de 104 %.
Nous négocions de la même façon avec de nombreux autres pays.
Donald Trump, président des Etats-Unis
Alors que les marchés mondiaux se sont effondrés, y compris la Bourse de New York, Kenneth Griffin de Citadel, Larry Fink de BlackRock, Jamie Dimon de JPMorgan ont critiqué lundi l'absolutisme tarifaire du gouvernement. De son côté, l'ami et allié du président Elon Musk, dont la firme Tesla risque de souffrir de la guerre commerciale, a dit qu'il espérait la création d'« une zone de libre-échange entre l'Europe et l'Amérique du Nord », avec « zéro droit de douane ».
Et les choses commencent à bouger. Ce mardi, Donald Trump s'est réjoui sur Truth Social de son entretien téléphonique avec le président intérimaire de la Corée du Sud, où il a été question de construction navale, d'achat à grande échelle de gaz américain, de coentreprise dans un pipeline en Alaska et de rémunération de la protection militaire américaine.
« Nous négocions de la même façon avec de nombreux autres pays, qui veulent tous faire affaire avec les Etats-Unis », écrit Donald Trump. Le Vietnam, l'Inde, l'Europe ont notamment proposé d'abaisser, voire de supprimer, leurs droits de douane bilatéraux. « Comme avec la Corée du Sud, nous mettons sur la table d'autres sujets qui ne sont pas couverts par le commerce et les droits de douane », ajoute-t-il, en signalant que la Chine aussi devrait négocier - « Nous attendons leur appel ».
Echec tactique
« Avril, mai, et peut-être juin vont être des mois occupés », a déclaré lundi le secrétaire au Trésor, Scott Bessent. Pour ce dirigeant de hedge fund qui a l'oreille des marchés, ce virage transactionnel n'est pas une mince victoire. Dimanche, il s'est rendu à Mar-a-Lago en Floride pour supplier Donald Trump de mettre l'accent sur les négociations à venir - sans quoi la Bourse continuerait à s'effondrer. Et il a obtenu gain de cause.
C'est un échec tactique pour la faction qui défend des tarifs douaniers qui ne seraient pas juste un moyen de négocier l'ouverture d'autres marchés ou des concessions diplomatiques, mais une fin en soi - une source de recettes budgétaires supplémentaires ou une barrière nécessaire pour réindustrialiser les Etats-Unis.
Cette puissante faction, qui inclut le secrétaire au Commerce, Howard Lutnick, et le conseiller politique, Steven Miller, a perdu du terrain. Lundi, la Maison-Blanche a détruit un post sur X qui mettait en avant une tribune publiée par le conseiller au Commerce, Peter Navarro, dans le « Financial Times ». « Ce n'est pas une négociation. Pour les Etats-Unis, c'est une urgence nationale suscitée par les déficits causés par un système truqué », y affirmait-il. Navarro et consorts ont perdu une bataille, mais pas la guerre.
Solveig Godeluck (Bureau de New York)
- Hits: 44