Stephen Miran, président du Conseil économique de Donald Trump, le 24 mars 2025, sur le plateau de Bloomberg TV. Stefani Reynolds / Bloomberg

Portrait

À Bercy comme à Bruxelles, on lit l’article de référence de ce diplômé de Harvard conseiller de la Maison-Blanche. Il y explique que les droits de douane ne sont qu’un écran de fumée masquant une bien plus redoutable guerre monétaire.

Le Figaro - 26 mars 2025 - Par Anne de Guigné

L’influent conseiller de Donald Trump se doute-t-il qu’il alimente depuis un mois toutes les conversations des économistes européens ? Cela ne le préoccupe sans doute pas beaucoup. Stephen Miran laisse bien volontiers la lumière à son exubérant patron. L’éminence grise de 41 ans, fines lunettes sur un visage rond, soigne d’autant plus son image d’austère technicien que ses travaux traduisent une vision très politique de la défense des intérêts américains.

« S’agissant des motivations des États-Unis, je vous invite à lire l’économiste Miran : il y a une véritable idéologie à l’œuvre », conseille lui-même le ministre français des Finances, Éric Lombard. Ceux qui l’ont croisé à Harvard pendant son doctorat, à la fin des années 2010, évoquent un garçon discret et travailleur, qui frayait peu avec les étudiants étrangers. Le jeune homme savait aussi déjà très bien ce qu’il voulait : pour directeur de thèse, il avait choisi Marty Feldstein, figure de l’orthodoxie républicaine et principal conseiller économique de Ronald Reagan.

Un éclairage sur la politique économique américaine

« Je me demande bien ce que Feldstein pense depuis l’au-delà du mémo de Miran », s’interroge alors un ancien condisciple. Le mot est lâché. Ce n’est pas la personnalité du chef économiste de Trump qui fascine les cénacles, mais un long article tordant le cou à nombre de dogmes économiques. Le papier, intitulé « Guide d’utilisateur pour restructurer le système commercial mondial », a été rédigé fin novembre, quand Miran œuvrait encore au sein du hedge fund (« fonds spéculatif ») Hudson Bay Capital. Il présente le document comme un éclairage sur les intentions de la future Administration.

« Je m’attends donc à ce que la politique se déroule de manière progressive, en essayant de minimiser les conséquences indésirables sur le marché », lit-on par exemple au sujet des droits de douane. Ce ton détaché n’a pas trompé grand monde : quand il écrit cet article, Miran est un pilier de la campagne de Trump qui signe ainsi une énergique et, si on en croit le résultat, convaincante lettre de motivation pour le poste de patron du conseil d’analyse économique de la Maison-Blanche. Il ne s’affiche pas pour autant dans le Bureau ovale, les grandes agences de photo ne disposent pas d’image de Miran aux côtés du président.

Passé inaperçu lors de sa publication, son papier trône désormais sur les bureaux de tous les ministères des Finances occidentaux. Il éclaire, en effet, d’une manière tout à fait inquiétante pour les Européens, l’apparente incohérence des deux premiers mois de politique économique présidentielle. « Dans le reste du monde, on considère traditionnellement le statut de monnaie de référence du dollar comme un “privilège exorbitant” des États-Unis. A contrario, pour Stephen Miran et de nombreux autres conseillers de Donald Trump, cette domination internationale représente un véritable fardeau pour le pays. Elle expliquerait son déficit du commerce international, sa désindustrialisation… », introduit la chef économiste du Trésor à Bercy, Dorothée Rouzet, qui rencontrera elle-même Miran dans les prochaines semaines.

«Une véritable idéologie à l’œuvre»

L’article de Miran tourne autour d’une équation complexe : comment financer les déficits américains, maintenir des rendements bas sur la dette publique nationale tout en dévaluant le dollar ? La réponse de l’économiste est plus simple : il faut faire payer les pays alliés. Techniquement, il souhaite les forcer à échanger leurs bons du Trésor actuels contre des obligations perpétuelles ou quasi perpétuelles très peu rémunérées.

Autrement dit, partager le « fardeau » du dollar avec le reste du monde, en déplaçant au passage la croissance économique des autres continents vers les États-Unis. Pour motiver les États réticents à accepter une transaction aussi désavantageuse, le stratège recommande de mettre dans la balance le parapluie militaire américain et des baisses de droits de douane. « Le parapluie de défense et nos déficits commerciaux sont liés, par le biais de la monnaie », écrit l’économiste.

Il est convaincu que le dollar fort a trop longtemps pénalisé les secteurs d’avenir essentiels à l’économie américaine, comme l’industrie

Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI

Une stratégie que semble suivre à la lettre Donald Trump, qui a lancé une vaste guerre commerciale, tout en ne cessant de menacer de sortir de l’Otan. « Je ne connais pas personnellement Stephen Miran, mais, dans l’entourage de Donald Trump, c’est probablement celui qui comprend le mieux les mécanismes économiques, abonde l’ancien chef économiste du FMI Olivier Blanchard. Il est convaincu que le dollar fort a trop longtemps pénalisé les secteurs d’avenir essentiels à l’économie américaine, comme l’industrie. D’où son idée de rendre moins attractifs la détention de bons du Trésor par les investisseurs ou les banques centrales étrangères pour faire baisser le dollar. À mon sens, il joue avec le feu, car, s’il détourne les investisseurs de la dette américaine, les conséquences seront dramatiques pour les États-Unis et tout le système financier. »

La Chine ne répondra pas comme le Japon

L’économiste rêve de formaliser cette opération dans d’improbables accords de Mar-a-Lago, du nom de la résidence en Floride de Donald Trump. La référence aux accords du Plaza de 1985 - hôtel new-yorkais racheté également un temps par Donald Trump - est explicite. « À cette époque, en 1985, le dollar était unanimement jugé trop élevé et le G7 avait tenté de coordonner sa baisse. Mais il ne faut pas oublier que ces accords ont été suivis en février 1987 des accords du Louvre à Paris, car le dollar baissait trop vite, note l’économiste Christian de Boissieu. Au final, malgré ces tentatives d’encadrement, la Fed a dû monter ses taux d’intérêt en 1987 afin de maintenir le dollar dans ses zones cibles, ce qui a provoqué une hausse des taux longs. Selon moi, les accords du Louvre ont ainsi en partie engendré le krach de 1987 : la volatilité des changes a été reportée sur les marchés actions. »

La conclusion de tels accords semble hautement fantaisiste : en 1985, le bras de fer américain visait essentiellement le Japon, un pays allié. Aujourd’hui, c’est la Chine qui se trouve au cœur des récriminations de Washington. Un État peu enclin à se laisser intimider par les menaces américaines. Malgré cette faiblesse, le papier de Miran hypnotise, car il donne une idée de l’ampleur de l’hybris américaine. Sans sourciller, le conseiller économique du président envisage de mettre fin au libre marché des changes, d’organiser une quasi-faillite de la dette américaine, accompagnée d’une forme de contrôle des capitaux, tout en s’asseyant sur l’indépendance des banques centrales. « Il ne faut pas oublier que Miran a été formé dans des hedge funds. Il est habitué à jouer contre le consensus, à chercher à casser le marché », analyse Ludovic Subran, chef économiste du groupe Allianz.

Pour Stephen Miran, tout comme le directeur du Trésor, Scott Bessent, les droits de douane ne représentent ainsi que des instruments de négociation, voués à disparaître. Ils s’opposent en ce sens à Peter Navarro, autre conseiller de la Maison-Blanche, et Robert Lighthizer, ancien ministre au Commerce du premier mandat Trump, selon qui la guerre commerciale, qui s’intensifiera à partir du 2 avril, a vocation à durer. Qu’en pense Donald Trump ? Difficile à percevoir dans le fracas des dernières déclarations. Dans une interview récente à Bloomberg, Miran semblait lui-même reconnaître que les batailles tarifaires allaient pour l’instant perdurer. « Il y a un chemin, mais il est étroit », concède-t-il prudemment en conclusion de son article.