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Le débat présidentiel américain – pour l’instant remporté par Kamala Harris – concerne toutes les démocraties de la planète : l’argumentation rationnelle prévaudra-t-elle sur les artifices populistes ?
Le journal.info - 11 septembre 2024 - Par Laurent Joffrin
Cette fois, Kamala Harris éclate de rire. Dans une embardée digne de ses plus belles prouesses oratoires, Donald Trump vient d’affirmer qu’à Springfield (Ohio), les immigrés qui ont envahi la ville s’attaquent aux chiens et au chats des bons Américains de souche… pour les manger ! Les deux modérateurs du débat coupent aussitôt l’ancien président pour préciser que cette accusation, qui courait la ville sous forme de rumeur, a été formellement démentie par la police de Springfield. « Mais si, répond Trump, je l’ai vu à la télévision ! »
Comique et tragique à la fois – il s’agit tout de même d’un ancien président des États-Unis – l’échange incarne ce qui se joue vraiment dans cette élection présidentielle. Pas seulement la victoire des démocrates ou des républicains, ou bien l’orientation de la politique américaine pour les années à venir ; mais aussi, et surtout, l’issue d’un combat décisif pour le sort des démocraties, qui se résume à une question simple : la vague d’obscurantisme qui déferle sur les régimes de liberté dans le monde va-t-elle ou non l’emporter ?
Les commentateurs du débat de la nuit dernière (à l’heure française), donnent en général la victoire à Kamala Harris. Calme, souriante mais aussi pugnace et enflammée, la candidate démocrate a mis Trump sur la défensive, réfutant ses mensonges, rappelant ses déboires judiciaires, alertant les femmes américaines sur l’immense régression qu’a entraîné la nomination de juges « pro-life » à la Cour suprême, et arrachant aux trumpistes le thème de la liberté individuelle qu’ils avaient réussi à détourner à leur profit.
Trump, néanmoins, rallie toujours à sa cause plus de 47% des Américains. Il reste un candidat redoutable par son simplisme destructeur et sa compréhension intuitive de la frustration des classes populaires blanches aux États-Unis. Si bien que l’enjeu devient pour ainsi dire universel : le mensonge systématique, l’usage d’un récit certes fictif, mais qui remue les tripes de l’électorat, l’emporteront-ils sur l’argumentation rationnelle et les valeurs d’humanité qui restent la base du discours démocrate ? Une question qui vaut dans la plupart des démocraties de la planète, la France notamment, où la même tactique du « mensonge déconcertant », celle qu’un Orwell avait décelé dans les régimes totalitaires, est à l’œuvre, à l’extrême-droite comme à l’extrême-gauche.
Mensonge ? Une séquence du débat éclaire la question. Harris met le doigt sur les ennuis judiciaires de Trump. « Complot démocrate », répond l’ancien président, qui esquive la question en proclamant : « le vrai problème, c’est l’arrivée de millions de migrants criminels aux États-Unis ». Harris poursuit en dénonçant le rôle du milliardaire dans l’assaut du Capitole. « Je n’y suis pour rien », rétorque Trump, contre l’évidence, et « le vrai problème, c’est l’arrivée de millions de migrants criminels aux États-Unis ». Harris continue son offensive en rappelant que Trump a toujours rejeté, en dépit de toutes les preuves, le résultat de la dernière élection présidentielle. « J’ai gagné, j’avais des millions de voix d’avance », répond Trump, sans plus de précisions, avant de reprendre : « le vrai problème, c’est l’arrivée de millions de migrants criminels aux États-Unis ». Et tutti quanti…
Tel est l’état du débat dans la première démocratie du monde. La mauvaise foi érigée en principe de base, le mensonge caricatural comme mantra, la diffamation et l’invention pure et simple comme ingrédients essentiels. Or il n’y a pas de débat démocratique sans un accord minimal sur les faits et sur leur importance dans la discussion, sans un consensus sur la nécessité de prouver ce qu’on affirme (quitte à opposer à toute déclaration des contre-preuves et des réfutations). Des contraintes dont Trump s’est affranchi depuis le début, remplaçant la logique élémentaire du discours par l’émotion brute et l’activation des angoisses tripales, comme le font les leaders nationalistes de la planète. De cet affrontement entre obscurantisme et raison – vieux débat qui date de la Renaissance au moins – dépend le devenir de la liberté.
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