Pour David Lisnard, président de l’association des maires de France (AMF), «il faut réduire le périmètre d’intervention de l’État». ABACA/Bertrand Guay

Entretien

Le maire (LR) de Cannes s’inquiète de la tournure que prend la discussion budgétaire à l’Assemblée nationale et estime que les semaines qui viennent seront « cruciales » pour l’avenir du pays.

Le Parisien - 19 octobre 2024 - Par Alexandre Sulzer

Tout en souhaitant la réussite du gouvernement Barnier, l’édile cannois David Lisnard, par ailleurs président de l’Association des maires de France (AMF), met en garde contre la « frénésie interventionniste et fiscaliste de toute la classe politique française » alors que commence lundi dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale l’examen du projet de loi de finances.

Comment jugez-vous les premières semaines du gouvernement Barnier ?

DAVID LISNARD. Michel Barnier hérite d’une situation terriblement compliquée et fait un travail ingrat sur une base politique faible et chaotique, en raison de la dissolution. Il faut espérer qu’il réussisse. Il a dans son équipe des personnes de grande qualité, qui ont manifestement envie de bien faire. Ceux qui font la leçon et critiquent Michel Barnier sont souvent ceux qui ont conduit notre pays dans le mur budgétaire et sécuritaire.

Ce gouvernement peut-il échapper à ses propres contradictions ?

On arrive à un moment où l’on vit les derniers soubresauts de l’ancien système qui ne fonctionne plus, où l’on ne peut plus s’autoriser du « en même temps ». Les prochaines semaines seront cruciales : soit Michel Barnier arrive à mener une politique de rupture, comme il l’a dit lors de sa passation de pouvoir, soit il se confirme que l’on est dans la continuité de la politique exacerbée du fiscalisme et de l’interventionnisme. Les deux tendances s’affrontent aujourd’hui. J’espère que la tendance « rupture » va l’emporter. Ce qui, aujourd’hui, ne se dessine pas : je déplore un conformisme budgétaire via des solutions de continuité technocratique. Ce qui s’est passé en commission des finances cette semaine est révélateur de la frénésie interventionniste et fiscaliste de toute la classe politique française, de tous les partis. Ce que proposent la plupart des députés, c’est la confirmation du vieux modèle. En France, on dévalorise le travail, on le surprélève. Et on confisque le capital, on le culpabilise.

 

Si vous étiez parlementaire, voteriez-vous pour le projet de loi de finances (PLF) ?

Je ne suis pas parlementaire, mais ce qu’on propose dans le PLF, ce sont aux trois quarts des hausses de prélèvements supplémentaires, comme l’a démontré le Haut Conseil aux finances publiques. Or, trop d’impôt tue l’impôt et au-delà d’un seuil, trop de dépense publique tue la performance publique.

Est-il vraiment possible de dégonfler la dette de la France sans augmenter les impôts ?

On peut et on le doit dans le pays qui a le record du monde des prélèvements obligatoires. Il faut faire comme dans le privé. Moi, par exemple, quand je gérais des magasins de textile et que j’étais dans une situation économique compliquée, je ne m’en sortais pas en augmentant les prix ! C’est un peu ce que fait l’État quand il augmente les impôts. Il y a trois façons de baisser la dépense publique sans dégrader les services publics. Premièrement, il faut réduire le périmètre d’intervention de l’État. Par exemple, il ne sert à rien que l’État devienne actionnaire de Doliprane, une usine d’empaquetage d’une molécule qui est dans le domaine public et qui est fabriquée en Chine. On a 438 agences de l’État qui emploient 400 000 personnes ! Supprimons les trois quarts des « machins » de l’État, ce seront des économies immédiates. Deuxièmement, il faut augmenter la productivité du service public de l’État, comme cela se fait avec les collectivités. Troisièmement, il faut davantage externaliser les missions au secteur privé même si cela ne doit pas être automatique.

Avec 5 milliards d’euros, les collectivités locales sont-elles trop mises à contribution dans le PLF ?

Oui, cela ne fera qu’accentuer le problème. Les collectivités ne représentent que 19 % de la dépense publique, contre 36 % en moyenne en Europe, mais 70 % de l’investissement public. Soit l’emprunt des collectivités va augmenter, et cela ne changera donc rien à la dette, soit cela va se traduire par une baisse de l’investissement. Ce qui aura un effet récessif sur le plan économique et régressif sur le plan environnemental. Nous, collectivités, ne sommes pas les pleureuses de la République. Nous ne sommes pas un problème, nous sommes une partie importante de la solution. Vous remarquerez que plus on a supprimé d’impôts locaux, plus il y a de prélèvements en France !

 

Saluez-vous le lancement d’une commission d’enquête parlementaire sur la dérive des finances publiques ?

Je salue le lancement de cette commission d’enquête annoncée par Éric Coquerel (LFI) tout en espérant qu’elle sera constituée de personnes qui ne sont pas celles en train de voter partout des augmentations de fiscalité et de dépenses… La responsabilité de la situation budgétaire incombe aux politiques. Comment a-t-on laissé autant de pouvoir à des gens qui n’ont jamais pris eux-mêmes une décision de patron ? Le « quoi qu’il en coûte », nécessaire au début de la crise du Covid, a été ensuite une martingale de clientélisme d’État de ceux qui nous dirigeaient en vue de la présidentielle 2022. Entre 2019 et fin 2023, l’augmentation de la dette publique en France a été de 14 points de PIB. La moyenne européenne a été de 4 points sur la même période. Et ces gens-là nous disent qu’ils ont « sauvé l’économie française » ?

Faut-il reprendre l’ensemble des dispositifs de la dernière loi immigration, censurés sur la forme par le Conseil constitutionnel ?

Oui mais, à un moment, il faudra aller plus loin et en passer par un renversement jurisprudentiel puissant qui nécessitera un référendum. Il faut couper le robinet non seulement de l’immigration illégale mais aussi légale qu’il faut diviser par huit.

Il y a une carence du pouvoir à la tête de LR. Serez-vous candidat ?

Si on veut éviter l’extrémisme en France, et moi je veux l’éviter, il y a une nécessité d’aller à la racine des choses dans les politiques publiques. Je veux que l’on porte un projet de prospérité par la liberté, par le retour à l’ordre et une ambition éducative et culturelle. Cela suppose de se débarrasser du conformisme étatiste qui peut rester chez LR. Est-ce à la tête de LR ou de mon parti Nouvelle Energie que j’arrive à formuler cette nouvelle proposition forte ? Je ne sais pas encore.