
Entretien
Dans un entretien aux « Echos », l'ancien Premier ministre, devenu secrétaire général de Renaissance et président du groupe Ensemble pour la République, prend date pour le budget 2026, met en garde contre le retour d'un ISF et dévoile les premières propositions économiques de son parti pour la suite.
Les Echos - 30 juin 2025 - Par Isabelle Ficek, Frédéric Schaeffer, Grégoire Poussielgue
Conclave sur les retraites, année blanche, économies sur les arrêts maladie, l'assurance chômage, nouvelle réforme pour un système de retraites « universel, libre et productif » via un référendum avant 2027, hausse des rémunérations… L'ancien Premier ministre souligne également les profondes divergences qu'il a, au sein du socle commun, avec Les Républicains, et plus encore depuis l'élection de Bruno Retailleau à la tête du parti. Pour Gabriel Attal, les LR ont fait le « choix stratégique » de « partager le même espace politique que le RN. »
L'échec du conclave sur les retraites et le refus des syndicats de renégocier signent-ils l'échec de la méthode Bayrou ?
Le Premier ministre a eu raison de mettre les partenaires sociaux autour de la table pour trouver des améliorations sur la réforme de 2023. Aujourd'hui, je me mets surtout à la place des Français, des acteurs économiques qui ont le sentiment que tout est bloqué. Notre responsabilité, c'est de chercher à bâtir des compromis pour répondre aux problèmes qui se posent au pays.
Soutiendrez-vous cet automne au Parlement les mesures qu'il a retenues pour améliorer les pensions des femmes ou abaisser l'âge de la fin de la décote ?
Je soutiendrai toutes les mesures qui améliorent la réforme si elles sont financées. A ce stade, ce n'est pas clair. Tous ces débats montrent surtout qu'on est au bout du système de retraite actuel. Ma responsabilité en tant que chef de parti, c'est de penser à la suite.
Que proposez-vous ?
Un nouveau système de retraite pour ma génération, celle des moins de 45 ans, qui voit beaucoup d'efforts peser sur elle, tout en se disant qu'elle n'aura pas de retraites. Le système actuel produit des déficits et de la défiance, je veux proposer un système qui produise au contraire de la croissance et de la confiance. Et donc, nous travaillons à un système de retraite universel, libre et productif. Universel, avec un seul régime inspiré du système à points, en corrigeant ses écueils. Libre, car notre modèle social devient un carcan : il faut plus de liberté. Et donc, permettre à ceux qui voudront partir plus tôt avec une décote importante, ou à ceux qui voudraient partir plus tard mais avec un bonus, de le faire.
J'ajoute qu'on ne peut pas demander le même effort au cadre et à l'aide soignante ou au cariste. Et nous entrons dans un monde où l'on pourra de plus en plus, grâce à l'intelligence artificielle, prendre en compte ces différences pour individualiser les départs en retraite.
Sans âge légal ?
Oui, en se basant uniquement sur une durée de cotisation en continuant à travailler plus longtemps, car l'équilibre du système devra être garanti. Mais remonter encore une fois l'âge unique ne me paraît plus adapté. Le système est devenu trop complexe : il y a tellement d'exceptions que, lorsque vous augmentez l'âge légal de départ de deux ans, l'âge de départ moyen des Français n'augmente que de six mois. C'est beaucoup de division politique pour un gain budgétaire minime. C'est pour cela que je propose ce nouveau système avec une part de retraite par capitalisation, qui finance l'innovation et notre économie sur le long terme.
Quelle part de capitalisation ? Edouard Philippe a évoqué 15 %…
Dans les propositions qui sont faites, personne ne donne encore les modalités de financement. Une capitalisation obligatoire tout de suite supposerait un financement caché, par la dette, une augmentation du coût du travail ou une baisse des salaires. Mon objectif à court terme, c'est moins de viser une part des fonds de notre système de retraite en capitalisation, que d'avoir une part la plus importante possible des Français qui peuvent avoir, individuellement, accès à la capitalisation.
Comment faire passer une telle réforme ? Par référendum ?
L'urgence est de garantir l'équilibre du système à court terme. Le projet de nouvelle retraite qui doit venir ensuite et que je propose est tellement majeur, qu'il faudra que le peuple décide. Soit on considère qu'il est urgent de la mettre en place, et alors, c'est par référendum. Soit cela sera tranché par le débat de la prochaine élection présidentielle. En revanche, je ne crois pas, comme le proposent certains, en un référendum juste après l'élection. Si les Français le rejettent, alors il n'y aura aucune réforme pendant cinq ans, et notre système explosera.
Êtes-vous favorable à une désindexation des pensions de retraite ?
Vu le déficit actuel, l'indexation automatique et pleine de l'ensemble des pensions n'est pas intangible. L'an dernier, tous les groupes à l'Assemblée avaient mis comme principal objectif l'indexation à l'euro près. Cela a coûté 15 milliards d'euros en 2024. Nous avions quant à nous refusé la hausse du coût du travail, qui était prévue, et priorisé l'investissement dans la recherche : nous assumons nos responsabilités et préférons défendre notre économie et la compétitivité de nos entreprises, l'innovation et la science.
Soutiendrez-vous, pour le budget 2026, une année blanche ?
Le meilleur moyen de rendre acceptable un effort, c'est qu'il soit partagé par tous. L'année blanche est une manière de le faire. Mais cela ne doit pas nous faire oublier la nécessité de faire des réformes. Je plaide pour la reprise de la réforme de l'assurance chômage que j'avais préparée. Elle est prête. Sur les économies sur transports sanitaires, j'espère que le gouvernement tiendra bon. Sur les arrêts maladie, il faut baisser encore le plafond de remboursement. Mais tout cela ne doit pas être un alibi pour ne pas parler de l'essentiel : la croissance s'éteint et tout le monde regarde ailleurs. Il y a urgence à insuffler une nouvelle stratégie économique et de croissance en France.
Est-ce possible avant 2027 ?
Il n'y a pas de fatalité à l'immobilisme. Ne rien faire serait totalement irresponsable. Le monde, lui, bouge vite. Donald Trump multiplie les initiatives pour attirer les investissements, l'Italie fait des réformes, les Allemands lancent un plan d'investissement à 500 milliards d'euros. La France doit au plus vite monter dans le train de l'intelligence artificielle : si on perd les deux années qui viennent, cela peut être plusieurs décennies de perdues.
Quelles sont vos priorités économiques ?
Simplifier, innover, produire.
Mais avant cela, il faut en finir avec les revirements politiques de ces derniers mois. Et donc, il faudra faire se battre pour que le coût du travail n'augmente pas avec le budget 2026. Attention aussi à ne pas avoir la tentation de recréer l'ISF ou d'augmenter massivement les impôts, alors que la compétition mondiale n'a jamais été aussi forte.
Sur la simplification, il faut passer de la parole aux actes : il faudra une grande loi de paix fiscale et réglementaire pluriannuelle pour les entreprises. Si les règles changent tous les ans, les entreprises ne peuvent pas investir. Il faut aussi consacrer 10 % du temps parlementaire à la simplification. Et nous pouvons aller vers la création du crédit d'impôt recherche à la source.
Pour innover, il faut donner un nouvel élan à nos universités et à la recherche et favoriser la création de géants de la tech et le déploiement de l'IA dans notre pays.
Pour produire, nous voulons créer des zones de croissance industrielle, avec des territoires qui seraient des sortes de petits Singapour, avec un environnement réglementaire et fiscal très pro-business.
Il faut donc poursuivre la politique de l'offre d'Emmanuel Macron ?
La politique de l'offre du Président est un succès, avec une baisse inédite du chômage. Il faut préserver ces fondamentaux et adapter notre politique économique pour entrer de plain-pied dans la décennie 2030 et préparer la génération 2050.
Quelles sont vos pistes à plus long terme ?
Toute notre stratégie économique doit être tournée vers l'objectif de faire de la France le pays le plus prospère d'Europe. Pour des gains pour tous, et notamment pour les salariés. Aujourd'hui, notre problème est que les salaires n'augmentent pas suffisamment. Le salaire médian est à 2.200 euros en France aujourd'hui, contre 3.000 euros aux Etats-Unis. D'ici dix à quinze ans, nous pouvons porter notre richesse par habitant au niveau américain. Une politique économique se pilote avec des objectifs précis, chiffrés, pas avec des intentions vagues. Et donc, notre objectif doit être de créer 3 millions d'emplois, porter la part de l'industrie à 15 % du PIB, favoriser la création de 10 géants de la tech en Europe et globalement faire de la France le pays le plus prospère d'Europe.
Comment mieux rémunérer le travail ?
Je considère que le vrai mouvement social dans le pays, c'est celui de ceux qui travaillent et qui ont le sentiment qu'on leur en demande toujours plus.
Je propose donc un choc de 40 milliards d'euros de hausse des salaires. Il faut rapprocher le salaire net du brut. Cela passerait par la suppression de la part salariale de la cotisation vieillesse, ce qui permettrait peu ou prou un 13ᵉ mois pour les Français qui travaillent. En incluant les indépendants et les fonctionnaires, c'est une mesure à 50 milliards au total.
Passez-vous par la TVA sociale pour la financer ?
Tout doit être regardé et avant toute chose, des économies de structure sur notre modèle social. Mais avant de proposer des pistes de financement, il faut qu'on y voie clair sur les lignes budgétaires qui sont proposées par le gouvernement pour réduire le déficit. Si le gouvernement est amené à proposer une hausse de TVA, elle doit être affectée à 100 % à l'amélioration de la rémunération des salariés.
Que pensez-vous de la motion de censure du PS après l'échec du conclave sur les retraites ?
Le PS a définitivement tranché une ligne lors de son congrès en reconduisant Olivier Faure. Il reste dans la logique du NFP et de la soumission à LFI. Dès que LFI bat le rappel, le PS rapplique. Beaucoup ne se retrouvent pas dans cette ligne. C'est à ces orphelins du PS que je veux m'adresser.
Pouvez-vous continuer à être dans le même gouvernement que Les Républicains ?
Ce socle est avant tout un point commun : que la France ait un gouvernement. Mais nos divergences sont profondes. Elles sont même plus importantes après l'élection de Bruno Retailleau. LR n'est plus un parti pro-européen, n'est plus un parti « pro business » et se positionne contre la transition écologique, comme le montre le vote du moratoire sur les énergies renouvelables. Sans même parler des sujets sociétaux, avec un Bruno Retailleau fermement opposé à l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Le choix stratégique de LR est celui de partager le même espace politique que le RN. Eric Ciotti était traité de traître il y a un an, et aujourd'hui il est vu comme un trait d'union. Comme à gauche, cela fait beaucoup d'orphelins à droite.
Quand serez-vous officiellement candidat à la présidentielle 2027 ?
Il y a beaucoup de candidats sans projet, moi je veux que notre projet ait un candidat, donc je commence par le projet.
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