
Entretien
Le candidat à la présidence des Républicains demande une commission d’enquête sur les liens entre le parti de Mélenchon et les réseaux islamistes. À quinze jours du congrès LR, le député presse Bruno Retailleau de choisir entre le ministère de l’Intérieur et le parti.
Le JDD - 3 mai 2025 - Propos recueillis par Victor-Isaac Anne, Jules Torres et Antonin André
Le JDD. L’assassinat d’un jeune Malien alors qu’il priait dans une mosquée a été qualifié d’« islamophobe » par le Premier ministre. Quelle est votre perception ?
Laurent Wauquiez. Mon analyse est plus large. La réalité, c’est l’ensauvagement total de notre société. Le sujet n’est pas l’islamophobie, mais la bascule générale dans l’ultraviolence : antisémitisme, racisme antiblanc, violence gratuite… La France est aujourd’hui le pays le plus violent d’Europe et cela touche toutes les sphères de la population. Des poignards dans une école catholique, des tirs de kalachnikov contre des prisons, une école fermée à Saint-Ouen sous la menace du trafic de drogue : voilà la vérité. Dans ce contexte, je dénonce l’attitude indigne de La France insoumise.
Lui reprochez-vous d’instrumentaliser le débat ?
Évidemment ! LFI a instrumentalisé ce drame pour relancer son discours sur l’islamophobie, carburant électoral pour flatter l’islamisme. Autant je respecte une gauche républicaine et laïque, autant je n’ai aucun respect pour Jean-Luc Mélenchon et ses alliés. Ils sont en rupture avec la République. C’est une menace pour la France : ils sont le parti de la destruction nationale, un cheval de Troie de l’islamisme. Le premier danger politique dans notre pays, c’est Jean-Luc Mélenchon et ses complices.
Le ministre de l’Intérieur souhaite engager une procédure pour dissoudre la Jeune Garde, mouvement « antifasciste » dont le porte-parole est le député LFI Raphaël Arnault. Vous l’appuyez ?
Oui, mais il faut aller plus loin. Si l’on considère que La France insoumise est devenue une menace pour la République – et le PS en a fait les frais lors du 1er-Mai –, il faut en tirer les conséquences. J’appelle tous les partis républicains à établir un cordon sanitaire autour de LFI. Aucun accord politique n’est possible avec un parti qui attaque les fondements mêmes de la République. La gauche doit clarifier ses positions et rompre tous ses accords électoraux avec LFI. J’appelle aussi la macronie à abandonner le front républicain. Il ne peut y avoir de front avec les ennemis de la République.
Vous appelez donc à une recomposition politique autour d’un nouveau clivage ?
Personnellement, je ne me suis jamais compromis dans des accords de désistement. Et le RN doit, lui aussi, clarifier sa ligne : Marine Le Pen avait fait, lors de l’élection présidentielle, des appels aux électeurs de LFI pour battre Macron. Chacun doit choisir son camp. Il faut mettre hors d’état de nuire LFI.
Iriez-vous jusqu’à demander la dissolution de cette formation politique, comme Christian Estrosi l’a fait par le passé ?
Je rêverais que ce soit possible, mais je crains qu’il ne soit utopique de penser que des juges vont dissoudre LFI… Les ennemis politiques se combattent dans les urnes. En revanche, je vais proposer à l’Assemblée nationale la création d’une commission d’enquête sur les liens entre La France insoumise et les réseaux islamistes. Il règne dans notre pays une forme de privilège rouge : une tolérance médiatique et politique coupable vis-à-vis des dérives de l’extrême gauche et de ses accointances avec les islamistes.
« LFI n’a plus rien de respectable. Il faut les sortir de l’arc républicain »
Sur quels éléments appuierez-vous cette commission ?
Je m’appuierai sur des faits. Rima Hassan, qui considère que l’action du Hamas est légitime. LFI, qui propose de sortir l’apologie du terrorisme du Code pénal. Louis Boyard, dont le colistier était pro-Hamas. Raphaël Arnault, fiché S, qui invite au Parlement une résurgence du CCIF. Trop d’éléments convergents montrent une complicité entre LFI et les réseaux islamistes.
Visez-vous Jean-Luc Mélenchon lui-même ?
Son antisémitisme est désormais ouvertement assumé : il ne s’excuse pas de l’affiche abjecte contre Cyril Hanouna. Ses appels à la sédition, ses attaques contre les policiers – jusqu’à dire que la police tue –, ses menaces contre les magistrats, l’agression inacceptable de journalistes de Frontières par ses députés… Ces gens-là n’ont plus rien de respectable. Il faut les sortir de l’arc républicain, les exclure du débat démocratique.
Le ministre de l’Intérieur a demandé un rapport sur l’entrisme des Frères musulmans. Comment qualifier et combattre leur influence ?
Les rapports, c’est bien. Les actes, c’est mieux. Il est temps de passer aux choses concrètes. Je demande que les Frères musulmans soient classés comme organisation terroriste, comme l’a fait l’Autriche. Ensuite, il faut dissoudre leurs relais en France, et en premier lieu l’organisation Musulmans de France, héritière de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), qui est leur bras armé. En 2020, Bruno Retailleau avait demandé sa dissolution. Qui peut comprendre qu’une fois au pouvoir, on ne fasse pas ce qu’on demandait dans l’opposition ? Il faut que cette dissolution ait lieu, et vite.
La justice a décidé de rétablir le contrat d’association entre l’État et le lycée musulman Averroès, soupçonné de dérives. Élisabeth Borne a annoncé faire appel. La soutenez-vous ?
Je la soutiens sans réserve. Cette décision est une nouvelle illustration du dévoiement de notre État de droit, devenu le protecteur d’une idéologie de gauche. On l’a vu avec Robert Ménard, poursuivi pour avoir refusé de marier un Algérien sous OQTF. Ou encore avec cette décision du Conseil constitutionnel qui interdit, soi-disant au nom de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, de pénaliser la consultation de sites internet djihadistes. J’en tire une conclusion simple : il faut changer notre système institutionnel pour redresser la France.
Comment ?
En donnant au Parlement, à la majorité qualifiée, la possibilité de passer au-dessus des jurisprudences du Conseil constitutionnel. Et en inscrivant dans la Constitution qu’un juge ne peut plus écarter une loi postérieure en s’appuyant sur un traité international. Force doit rester à la loi française. Sans cela, les dérives de notre État de droit continueront de nous bloquer. La droite doit préparer un projet de rupture. Ce n’est pas dans le cadre du gouvernement de François Bayrou que nous reconstruirons notre pays.
Le chômage remonte en France. Pourtant, il demeure 400 000 emplois vacants, 40 % des entreprises disent avoir du mal à recruter. La France a-t-elle un problème avec le travail ?
Elle a surtout un problème avec l’assistanat. Tout notre système est devenu désincitatif. Il n’y a plus assez d’écart entre les revenus du travail et ceux de l’assistanat. Notre compétitivité s’effondre et on pense que le pouvoir d’achat se décrète à coups d’aides sociales, alors que seul le travail crée la richesse. Je propose une réforme simple : fusionner les trente aides existantes en une seule, plafonnée à 70 % du Smic. Le Royaume-Uni l’a fait. Pourquoi pas nous ? Sur la durée, cela permettrait d’économiser plusieurs dizaines de milliards d’euros d’aides sociales et de rendre cet argent à la France qui travaille, en augmentant de 10 % le salaire net par des baisses de charges.
Le gouvernement s’était engagé à ne pas augmenter les impôts. Deux semaines plus tard, Amélie de Montchalin propose de supprimer certaines niches fiscales, notamment celle des retraités, et François Rebsamen annonce le retour d’une forme de taxe d’habitation…
Face à François Bayrou, j’ai été ce mardi d’une grande fermeté. Ma force, c’est que je suis libre, alors que les ministres sont liés par la solidarité gouvernementale et ne peuvent pas mettre la même pression sur lui. Je lui ai dit qu’il était hors de question d’augmenter encore les impôts, ni sur la France qui travaille ni sur la France qui a travaillé toute sa vie. Dans un pays champion de la dépense publique, le seul chemin à suivre, c’est celui des économies. Alors que le gouvernement procrastine, nous avons proposé, avec les députés de la Droite républicaine, 40 milliards d’économies. Supprimer l’abattement de 10 % sur les retraites est une ligne rouge. Je suis déterminé à faire reculer François Bayrou.
Irez-vous jusqu’à quitter la majorité élargie ?
Si le gouvernement s’entête, nous ne voterons pas le budget et poserons la question de notre soutien au gouvernement. Moi, je ne dois rien à Emmanuel Macron ni à François Bayrou. Je me battrai jusqu’au bout pour empêcher cette hausse. J’ai réduit de 15 % les dépenses de fonctionnement dans ma région sans creuser la dette, et nous sommes la seule région de France à n’avoir augmenté aucune taxe et aucun impôt. On peut faire pareil à l’échelle du pays, mais il faut avoir le courage d’agir, c’est ce qui manque cruellement.
« Je propose un duo avec Bruno Retailleau, non un duel »
Le gouvernement veut obliger les médecins à exercer deux jours par mois dans les déserts médicaux. Êtes-vous favorable à cette mesure ?
Je préfère toujours la liberté à la contrainte. Transformer les médecins en fonctionnaires n’améliorera pas les choses. Notre excellent ministre de la Santé, Yannick Neuder, porte deux très bonnes propositions. D’abord, permettre à tous les étudiants français partis à l’étranger faute de place en France de revenir. Ensuite, mettre réellement fin au numerus clausus et offrir plus de places en médecine, ciblées sur les besoins des territoires. On peut aussi envisager de donner un accès privilégié au secteur 2 non conventionné pour ceux qui s’engagent durablement dans un désert médical.
Une semaine noire s’annonce dans les trains. Soixante-cinq pour cent des Français sont favorables à l’interdiction des grèves pendant les ponts. Partagez-vous cette opinion ?
Bien sûr. L’attitude des syndicats est écœurante. À chaque pont, ils prennent les Français en otage alors qu’ils veulent simplement passer un week-end ou des vacances avec leurs proches. J’ai mené ce combat dans ma région : pas de paiement à la SNCF en cas de grève. Ma proposition est simple : faisons comme en Italie. Interdisons les grèves pendant les vacances scolaires et les jours fériés. J’ai rédigé une proposition de loi que je vais proposer à tous les groupes politiques.
Vous êtes fermement opposé à la proportionnelle. Mais si François Bayrou remettait en échange le cumul des mandats sur la table, pourriez-vous changer d’avis ?
On ne fait pas de chantage avec les institutions. La proportionnelle, sous la IVe République, a plongé la France dans l’impuissance. Le général de Gaulle y a mis fin et c’est l’un de ses héritages les plus précieux. Rétablir la proportionnelle, ce serait faire du chaos la règle. Je suis incapable de vous dire les priorités du Premier ministre en matière d’économie, d’éducation, de sécurité… En revanche, il y a une chose que j’ai bien comprise : il a une obsession, la proportionnelle.
Vous reprochez à François Bayrou d’évacuer les vrais sujets ?
Tripatouiller les règles électorales, il n’y a donc rien de plus urgent pour le pays ? Il va évidemment falloir s’opposer à ce projet. Sur ce sujet comme sur d’autres, on voit l’importance d’une complémentarité entre le travail de nos ministres et le fait d’avoir une parole libre, de l’extérieur, face à Bayrou. Le ministre chargé de faire appliquer la loi électorale, c’est le ministre de l’Intérieur. Si, à la table des négociations, c’est lui qui porte la voix des Républicains, tout en ayant sa casquette de ministre de l’Intérieur, il sera évidemment en conflit d’intérêts et ne pourra pas défendre notre ligne avec force. D’où l’importance d’avoir une parole libre, affranchie de toute solidarité gouvernementale. C’est pour cela que ce que je propose est non pas un duel, mais un duo : d’un côté, Bruno Retailleau au ministère de l’Intérieur et, de l’autre, moi au parti, avec une parole indépendante pour pouvoir mettre la pression sur François Bayrou.
Votre proposition d’envoyer les OQTF dangereux à Saint-Pierre-et-Miquelon a suscité de nombreuses critiques. Que répondez-vous ?
Non seulement je l’assume, mais je vais continuer à me battre pour qu’elle soit mise en œuvre. Ce qui m’a frappé, c’est que tous ceux qui l’ont critiquée n’ont rien proposé. Certains ont parlé d’idée « déroutante ». Mais ce qui est déroutant, c’est d’accepter que 90 % des OQTF restent en France et qu’on relâche des individus dangereux dans nos rues au bout de 90 jours ! Ma proposition est réaliste, inspirée de l’Australie. Elle ne nécessite ni réforme constitutionnelle ni changement de loi. Juste du courage politique. Construire un centre de rétention à Saint-Pierre-et-Miquelon, c’est possible. Il faut simplement le décider. Mon choix est clair : entre laisser des OQTF dangereux dans nos rues et les envoyer à 4 000 kilomètres d’ici, j’ai choisi et je l’assume.
À quinze jours du scrutin à la tête des Républicains, vos prises de position laissent entendre que vous seriez candidat en 2027, quelle que soit l’issue…
Ce n’est pas du tout ce que j’ai dit. Nous choisirons notre candidat à la présidentielle dans un an. Il faudra un seul candidat de droite : si ça n’est pas moi, je soutiendrai le mieux placé et, si c’est moi, je le ferai en équipe.
Si vous gagnez la présidence des Républicains, demanderez-vous à Bruno Retailleau de quitter son poste de ministre pour porter la voix du parti de manière indépendante ? Et si c’est lui qui l’emporte, l’appellerez-vous à en faire autant ?
Ma conviction est qu’être ministre de l’Intérieur aujourd’hui, avec l’explosion de l’immigration et de l’insécurité, c’est un temps plein. Ce n’est pas comme il y a vingt ans ; tout a changé. On ne peut pas tout faire. Le risque, quand on veut tout faire, c’est de tout faire à moitié. Nos ministres LR ont une grosse responsabilité : ils doivent montrer qu’avec des ministres de droite, il y a de vrais résultats par rapport à la macronie. Cela nécessite d’y consacrer toute son énergie. C’est pourquoi je propose que nous incarnions ensemble, avec Bruno Retailleau, un duo fort et complémentaire, lui au ministère, moi au parti. Chacun dans son rôle, avec sa mission. On ne peut pas être à la fois membre du gouvernement de François Bayrou et porter avec indépendance la parole des Républicains. Ma force, c’est, face à François Bayrou, d’avoir choisi la liberté de parole et la clarté politique.
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