Le président du groupe La Droite républicaine, dans son bureau à l’Assemblée nationale. © Anthony Quittot

Entretien

En campagne pour la présidence de LR, Laurent Wauquiez entend résister à la dynamique en faveur de Bruno Retailleau en présentant un projet de rupture pour une France qu’il estime aujourd’hui « bloquée ».

le JDD - 8 avril 2025 - Propos recueillis par Antonin André, Victor-Isaac Anne et Louis de Raguenel

LE JDNews. Budget, loi agricole, loi simplification, loi narcotrafic, loi sur la délinquance des mineurs... Est-ce que vous diriez que, contrairement à ce que prétend Édouard Philippe, le pays avance ?

Laurent Wauquiez. Malheureusement non. Voyez les chiffres : la France connaît un double record d’immigration et d’agressions. Les deux phénomènes sont évidemment liés. Pour preuve, la proportion d’étrangers dans les prisons est trois fois supérieure à celle dans la population. Et notre système social part à vau-l’eau : les Français n’ont jamais été autant pressurés d’impôts et de charges, tandis que les aides sociales non contributives, qui alimentent l’assistanat, grimpent à 140 milliards d’euros.

Donc on ne fait plus rien, on n’agit pas jusqu’en 2027 ? Je me bats au contraire pour que l’on agisse, mais je doute que François Bayrou souhaite réellement faire bouger les choses. Quand il lance ce débat sur la submersion migratoire, on s’attend légitimement à ce qu’il inscrive un texte sur l’immigration à l’ordre du jour de l’Assemblée ; or à ce stade, il n’a rien fait.

Et pourtant, des ministres de votre famille politique participent à ce gouvernement, n’est-ce pas un peu schizophrène ?

Nos ministres peuvent-ils faire du travail utile dans la situation politique actuelle ? Sans doute. Est-ce que cela nécessite qu’ils s’y consacrent à plein temps ? Évidemment. Est-ce que nous les soutenons pour les aider à obtenir des résultats ? Bien sûr. Mais cela ne peut pas être un chèque en blanc à François Bayrou. On n’est pas au gouvernement pour être spectateurs de l’immobilisme et de l’inaction. Pour autant, je suis lucide : le redressement de la France ne se fera pas avec ce gouvernement, en appliquant les recettes du passé. La France a besoin d’un vrai projet de rupture avec l’impuissance.

« On assiste à un dévoiement de l’État de droit qui, au lieu de protéger la victime, protège le délinquant »

Que désignez-vous derrière le terme d’impuissance ?

Aujourd’hui, ce sont les « anti-pouvoirs » qui gouvernent la France. Je parle du coup d’État de droit des cours suprêmes, de la dictature administrative et de la tyrannie des minorités militantes. On assiste à un dévoiement de l’État de droit qui, au lieu de protéger la victime, protège le délinquant ; au lieu de valoriser le travail, favorise l’assistanat ; au lieu de protéger la démocratie, la bloque. Nous ne pouvons plus changer
dans le système, il faut changer le système. Briser le carcan de l’impuissance est la condition sine qua non
du redressement du pays, et c’est par là qu’il faut commencer. « Ce n’est pas possible » est devenu le man- tra des administrations. L’essence de la politique, c’est tout l’inverse : « Rendre possible ce qui est néces- saire », comme le disait Richelieu.

Que recouvre la dictature administrative que vous dénoncez ?

Les ministres passent, l’administration reste. Sur les 1 000 agences et opérateurs de l’État, les deux tiers peuvent être supprimées. Quelqu’un peut-il dire à quoi a servi le Haut-Commissariat au plan au cours de toutes ces années ?

Une vingtaine de rapports et de notes stratégiques...

Un seul de ces rapports a-t-il abouti à quoi que ce soit ? Les exemples d’opérateurs à réformer ne manquent pas : l’Agence de la transition écologique (Ademe) qui se livre à une propagande anti-nucléaire, l’Arcom qui a censuré C8 ou encore la Commission nationale du débat public, dont le président gagne presque autant que le président de la République. Il faut tout changer. On a des opérateurs qui produisent des normes au kilomètre et qui nous coûtent une fortune : 80 milliards d’euros en tout ! Voilà une source d’économies. Deuxième chantier : identifier les 200 postes clés au sein de la haute administration et y nommer des gens déterminés à réformer le pays. À mon sens, dans la foulée de l’élection présidentielle, il faudra agir par une série d’ordonnances.

Quid enfin du troisième pilier, « la tyrannie des minorités militantes » ?

On a aujourd'hui des minorités militants d'extrême-gauche qui imposent leur volonté à la majorité des Français. Je pense aux associations d’écologistes radicaux qui ont bloqué le projet de l’A69. Il y a aussi les associations pro-migrants, financées par le contribuable ! Le ministère de l’Intérieur leur verse un milliard d’euros par an. Au sein même des centres de rétention administrative, ils agissent pour s’opposer à toutes les reconduites à la frontière ! Avec du courage, on peut agir. Dans ma région, j’ai supprimé une vingtaine d’agences administratives et j’ai mis fin à tous les financements à la Frapna, à la CGT, etc. Et quand le maire de Grenoble a voulu autoriser le port du burkini dans les piscines municipales, j’ai supprimé toutes les subventions de la région.

Les Républicains ont « fait sauter » les zones à faible émission (ZFE). Cela signifie-t-il que, pour vous, la qualité de l’air est secondaire ?

Bien sûr que non. Mais notre écologie, ce n’est pas celle de l’extrême gauche, ce n’est pas celle de l’interdiction et de la norme. On ne fera pas progresser l’environnement avec des mesures de ségrégation et de violence sociales comme les ZFE, qui consistent à refuser à toute une partie de la population l’accès aux métropoles pour se soigner, travailler, étudier. On ne fera pas d’écologie en opposant les territoires et en sacrifiant la France des classes moyennes, celle qui travaille. Et surtout, on passe à côté du sujet majeur : la première cause d’émission de CO2 en France, ce sont les importations chinoises. Je défends un patriotisme écologique qui consiste à remplacer les produits importés par des produits fabriqués en France. C’est la meilleure chose à faire pour l’environnement.

Sur les retraites, la CFDT se retrouve quasiment en tête-à-tête avec le Medef, qu’attendez-vous de leurs travaux ?

Je n’accepterai pas que le gouvernement sorte du conclave avec comme proposition phare d’appauvrir les retraités français. La retraite n’est pas un privilège, c’est le fruit d’une vie de travail. C’est un dû. Si on cherche des économies, j’en ai à proposer.

De quelles natures sont-elles, s’agissant des retraites ?

Posons la question des régimes spéciaux de retraite, soigneusement camouflée par François Bayrou. On peut faire 8 milliards d’euros d’économies. Deuxième tabou : l’égalité public-privé. Plutôt que de faire payer les retraités, que le gouvernement s’attaque d’abord aux injustices et aux inégalités de notre système de retraite.

« La bascule dans la barbarie et la violence gratuite d’une partie de notre jeunesse est sans doute l’un des changements les plus inquiétants de notre société »

Chaque semaine, des histoires de rixes entre jeunes font l’actualité, avec souvent des morts. Comment fait-on pour enrayer ce phénomène ?

La bascule dans la barbarie et la violence gratuite d’une partie de notre jeunesse est sans doute l’un des changements les plus inquiétants de notre société. Plus aucun territoire n’est épargné. C’est le meurtre de Thomas à Crépol, dans un territoire rural de la Drôme. C’est l’agression d’Elias, tué à coups de machette alors qu’il sortait de son entraînement de foot au cœur de Paris. Le pédopsychiatre Maurice Berger dénonce notre angélisme et rappelle une évi- dence : la meilleure prévention, c’est la sanction.

La proposition de loi Attal, précisément, prévoit la comparution immédiate dès 15 ans ou la possibilité de peines de prison ultra-courtes, cela vous agrée ?

Elle va dans la bonne direction et je l’ai votée. Mais il faut aller plus loin. Je propose une remise à plat com- plète de notre politique pénale. Première rupture : abaisser la majorité pénale à 15 ans, comme au Danemark. Arrêtons de chercher des excuses à des individus ultraviolents, prêts à tuer pour un regard ou une parole déplacés, et traitons-les pour ce qu’ils sont, des barbares qui menacent nos enfants. Deuxième
rupture : sanctionner dès le premier délit. C’est le seul moyen pour mettre une butée à la violence.

En France, on fait tout l’inverse, en ne sanctionnant que les multirécidivistes une fois qu’ils ont dérivé vers des actes ultraviolents. Résultat : le sentiment d’impunité s’est installé et on réagit trop tard. Je propose d’inverser cette logique, avec des peines de prison dès le premier délit. C’est ainsi que les Pays-Bas ont restauré l’ordre. Chez eux, lorsque des militants d’extrême gauche s’en sont pris au tableau de Vermeer, ils ont passé un mois derrière les barreaux. En France, un individu qui menace de mort un proviseur en expliquant qu’« il faut le brûler vif, ce chien », ressort tranquillement avec un rappel à la loi.

Comment s’y prend-on, selon votre méthode, pour résoudre la question des OQTF ?

C’est le symbole absolu de notre impuissance. L’année dernière, l’État a délivré 336 000 nouveaux titres de séjour, prononcé 140 000 obligations de quitter le territoire, mais expulsé seulement 13 000 personnes. Et si on augmente ce chiffre de quelques centaines, on nous explique que c’est un exploit ! Le Premier ministre parle de submersion migratoire, mais la réalité, c’est que rien ne change. Et donc, là encore, ce que je propose est un changement radical. Aujourd’hui, les individus sous OQTF sont libérés au bout de 90 jours et menacent notre sécurité. C’est de la folie. N’attendons pas de nouveaux meurtres de Lola ou de Philippine : il faut mettre fin à ce système, et vite. Je propose que les étrangers dangereux sous OQTF soient enfermés dans un centre de rétention à Saint-Pierre-et-Miquelon, hors de l’Hexagone.

C’est-à-dire ?

Ils auraient une seule alternative : soit partir à Saint-Pierre-et-Miquelon, soit rentrer chez eux. Vous refu- sez de retourner dans votre pays ? Très bien, vous prenez un aller simple pour Saint-Pierre-et-Miquelon, sans vol retour pour l’Europe. Depuis l’archipel, qui n’est pas dans l’espace Schengen, nous bloquerons tout retour dans l’Hexagone.

Pourquoi Saint-Pierre-et-Miquelon ?

À Saint-Pierre-et-Miquelon, à proximité du Canada, il fait 5 degrés de moyenne pendant l’année, il y a 146 jours de pluie et de neige. Je pense qu’assez rapidement, ça va amener tout le monde à réfléchir.

Combien y aurait-il de places dans ce centre de rétention ?

Autant que nécessaire pour y enfermer les étrangers les plus dangereux. Bien évidemment, cette mesure d’éloignement de l’Hexagone devra s’accompagner d’un vrai allongement de la durée de rétention, comme nos parlementaires l’ont proposé. C’est dix-huit mois en Italie, illimité au Royaume-Uni...

Et cela nécessiterait-il une réforme constitutionnelle ?

Non, toute une partie de mes propositions peut être mise en œuvre sans délai, si le gouvernement en a la volonté. Par ailleurs, vous connaissez mon analyse : il est indispensable de faire sauter le carcan des jurisprudences idéologiques des cours suprêmes comme la Cour européenne des droits de l’homme ou le Conseil constitutionnel. Ce dernier autorise l’aide au séjour illégal sur notre territoire ; il a censuré la quasi-totalité de la dernière loi sur l’immigration ; il a sanctuarisé le droit au regroupement familial. Ces décisions sont avant tout idéologiques.

C’est d’ailleurs pourquoi je me suis fermement opposé à la nomination de Richard Ferrand à la présidence du Conseil constitutionnel. C’est une personnalité issue de la gauche qui va inévitablement poursuivre la même politique idéologique que celle de Laurent Fabius. Il y a deux changements majeurs à enclencher rapidement. Le premier : inscrire dans la Constitution que la loi française prime sur les traités internationaux antérieurs. Le second : permettre au Parlement ou au peuple souverain par référendum d’avoir le dernier mot en cas de censure du Conseil constitutionnel.

« Je plaide pour un référendum sur l’accès des étrangers aux aides sociales »

Pensez-vous notamment au sujet migratoire ?

Je plaide pour un référendum sur l’accès des étrangers aux aides sociales : il est quand même normal de demander qu’un étranger ait travaillé un minimum en France avant d’accéder aux aides sociales. C’est le souhait d’une immense majorité de Français. Avec les changements constitutionnels que je propose, nous pourrons remettre en cause le regroupement familial, comme vient de le faire l’Autriche. Le général de Gaulle disait : « Il n’y a qu’une Cour suprême, c’est le peuple. »

Dans votre duel avec Bruno Retailleau pour la présidence du parti, ne craignez-vous pas que la compétition dégénère ?

Jusqu’au bout, j’ai proposé à Bruno Retailleau de travailler en équipe. Je ne veux pas d’un duel, je veux un duo. J’ai annoncé que président des Républicains, mon premier acte sera de lui proposer le poste de premier vice-président, pour travailler ensemble, parce que je suis convaincu que chacun, dans son rôle, est utile dans la reconstruction de la droite. Bruno Retailleau assume une tâche extrêmement importante au ministère de l’Intérieur. Elle requiert toute son énergie, avec des résultats difficiles à obtenir. Quand, chaque jour, il y a des faits de délinquance et une immigration si difficile à maîtriser, tout le monde comprend que le poste de ministre de l’Intérieur ne permet pas de faire autre chose en même temps. D’un autre côté, il faut au parti une parole libre et indépendante. Or, quand vous êtes membre d’un gouvernement, vous ne pouvez pas critiquer le Premier ministre ni le président de la République : c’est la solidarité gouvernementale.

J’ai fait le choix de rester libre et je ne dois rien ni à François Bayrou ni à Emmanuel Macron, ce qui me permet de faire entendre fortement la voix de la droite lorsque cela est nécessaire : par exemple, quand Emmanuel Macron nomme Richard Ferrand au Conseil constitutionnel, quand il refuse de dénoncer les accords de 1968 avec l’Algérie ou quand il faut défendre les retraités face à un gouvernement qui ne fait pas d’économies. De plus, au parti, il va falloir consacrer beaucoup de temps pour préparer le projet de rupture dont la France a besoin. Nous choisirons notre candidat à la présidentielle dans un an. Il faudra un seul candidat de la droite et nous devrons tous être unis, parce que je veux que nos idées gagnent. J’ajoute que je suis contre la primaire : c’est un poison mortel qui vient de la gauche et qui a abouti à nous diviser. Beaucoup des soutiens de Bruno Retailleau y sont favorables, j’y suis radicalement opposé.

« Le projet d’Édouard Philippe, c'est la poursuite du macronisme sans Emmanuel Macron »

Y a-t-il de la place pour plusieurs candidats à droite et au centre ? Édouard Philippe est candidat déclaré, cela ne réduit-il pas vos chances ?

Je l’ai dit : un seul candidat pour rassembler tous ceux qui partagent les idées de la droite, quel qu’ait été leur vote par le passé ; mais pas un candidat de la droite, du centre et de la gauche. Et pour l’instant, le projet d’Édouard Philippe consiste à aller de la gauche à la droite, comme il le dit lui-même : c’est la poursuite du macronisme sans Emmanuel Macron. C’est condamné à l’échec : le bilan que je tire du passé et du gouvernement de François Bayrou, c’est que quand on fait un peu de gauche et un peu de droite, on fait surtout beaucoup de rien du tout. Je veux que la droite porte un pro- jet de rupture pour reconstruire la France.

Au lendemain de la condamnation en première instance de Marine Le Pen, notamment à une peine d’exécution provisoire, le RN a organisé un rassemblement de soutien à Paris... Qu’en avez-vous pensé ?

Marine Le Pen n’est pas au-dessus des lois : si elle a détourné des fonds publics, il est normal qu’elle soit condamnée. Il y a par contre une réflexion à mener sur l’exécution provisoire de l’inéligibilité : il n’est pas normal qu’un élu ne puisse pas se présenter s’il n’est pas définitivement condamné. Pour autant, cet appel à manifester n’était pas à la hauteur. Quand on se veut responsable, quand on prétend gouverner le pays, on n’appelle pas la rue à contester nos institutions. Ce sont les méthodes de l’extrême gauche.