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Tous les deux sont passionnés d'éducation. Philippe Coléon, président d’Acadomia, et Guillaume Leboucher, président de la fondation L’IA pour l'école, sont persuadés que l’intelligence artificielle peut révolutionner l'éducation. Pour le meilleur.

L'Opinion - 30 janvier 2025 - Par Rémi Godeau

Comment l’intelligence artificielle percute-t-elle l'éducation nationale ou comment elle va le faire?

Guillaume Leboucher : L’IA va percuter la salle de classe. Les vraies questions : apprend-on aujourd’hui dans la salle de classe ou à l’extérieur ? Et quel est le rôle du professeur ? Comment les élèves vont aider les professeurs à rester dans la course ? Dans ce sens, car ce sont les élèves qui vont aider les professeurs. Près de 80 % des professeurs ont plus de 30 ans, 30 % plus de 50 ans. La vraie question, c’est celle de la résistance.

La résistance des profs ?

G.L : J’ai créé « L’IA pour l'école » il y a dix ans. Au début, j’avais plutôt un bon accueil. Aujourd’hui, je suis reçu plus durement. Les professeurs ne comprennent pas tous l’impact de l’IA générative. Accessible, cette IA va transformer la manière de faire cours. Un prof de math quinquagénaire a par exemple refusé que je fasse une démonstration avec MistralAI pour résoudre une équation. Il y a une résistance, alors que nous devons nous interroger : que faut-il apprendre aujourd’hui à l'école, quelles sont les compétences universelles d’apprentissage, comment l’IA prendra-t-elle sa part dans l’enseignement ?

Il ne faut pas opposer l’humain et la machine. Si vous partez de ce postulat, c’est perdu. L’IA est une opportunité parce qu’elle remet tous les systèmes éducatifs sur une nouvelle ligne de départ.

Philippe Coléon. Il ne faut pas opposer l’humain et la machine. Si vous partez de ce postulat, c’est perdu. L’IA est une opportunité parce qu’elle remet tous les systèmes éducatifs sur une nouvelle ligne de départ. La France dégringole dans les classements internationaux, et l’IA fait partie des moyens qui peuvent changer la donne. Nous sommes dans une pédagogie de la réponse, de l’apprentissage de la réponse. Demain, nous entrerons dans l'ère du questionnement : l’intelligence ne sera pas seulement dans la capacité à trouver la bonne réponse, mais aussi dans celle de poser les bonnes questions. Il faut donc revoir de fond en comble notre approche pédagogique. L’IA n’est ni un ennemi, ni un outil pour feignants, mais une aide à la réflexion, au questionnement.

Comment imagine-t-on un cours type ?

G. L. : Jamais le rôle de l’enseignant, de l'éducateur ou de l’adulte ne sera aussi important : il sera là pour éveiller à l’esprit critique et à la citoyenneté. Le matin, place aux apprentissages personnalisés ou à la classe. Cet apprentissage personnalisé sera au cœur de la matinée. Après 12 heures, place aux moments collectifs, à l’expérimentation. Il convient de renforcer l’apprentissage du travail en groupe.

L’ordinateur a pu être un outil performant dans les cas de décrochage. Et l’IA ?

Ph. C. : Dans une classe de 30 élèves, personne n’est au même niveau, n’a les mêmes acquis, la même personnalité. L’IA rend possible l’individualisation de l’enseignement. Un enfant timide sera, avec la machine, libéré sur le questionnement. Le rapport à la machine peut être très bénéfique. La clé, c’est de former les profs. Ce n’est pas une évolution, mais une révolution. En jeu : notre capacité à nous adapter, à aller vite et à faire sauter des barrières.

Les barrières, c’est quoi ?

G. L. : La première des barrières, c’est que les profs comprennent que leur premier allier, c’est l'élève. Ils doivent leur faire confiance. Michel Serres disait souvent que les anciens apportent l’expérience, mais les jeunes créent l’usage. On n’a pas fini de voir des jeunes élèves créés de nouveaux supports pédagogiques pour le reste de la classe.

N’est-ce pas idéaliste vu l'état de l'éducation nationale ?

G. L. : Non, parce que les jeunes ont déjà compris. Si l’enseignant ne prend pas cette posture horizontale d’accompagnement, il passe à côté de beaucoup de choses. Car un élève, aujourd’hui, il a ce qu’il veut comme connaissance avant d’arriver en cours. Les élèves implanteront l’IA dans l'éducation nationale naturellement, ou à l’insu de l'éducation nationale !

Acadomia teste-t-elle déjà l’IA en classe ?

Ph. C. : Dans notre collège-lycée de Nice, nous avons formé les enseignants et créé un cours pendant lequel les élèves utilisent d’IA à des fins pédagogiques. On fera un premier bilan en fin d’année, mais on remarque déjà le changement de posture de l’enseignant, le travail collaboratif entre les élèves. J’ai connu le passage de la règle à calculer à la calculette. A l'époque, la transition avait été très difficile. Maintenant, on ne se pose plus la question, ça devient naturel. Les possibilités que nous offre l’IA sont immenses.

Le risque est que les élèves surclassent les profs. On voit déjà des enfants qui ont passé beaucoup de temps hors de la classe et qui ont appris par eux-mêmes.

Et si les profs ne s’adaptent pas ?

G. L. : Le risque est que les élèves surclassent les profs. On voit déjà des enfants qui ont passé beaucoup de temps hors de la classe et qui ont appris par eux-mêmes. On aura un jour des générations de familles qui diront : « moi, je ne mets plus mon enfant à l'école car il apprend par lui-même avec l’IA ». Si le professeur refuse de s’adapter, les élèves iront là où ils apprennent le plus.

Le ministère de l’Education nationale en a-t-elle conscience ?

G. L. : Il y a beaucoup d’initiatives, d’agences qui travaillent sur les addictions, sur les savoirs pédagogiques, des professeurs qui essaient de s’organiser. Mais on est encore dans une phase d’expérimentation. Imaginez : à Montréal, des lycées considèrent l’IA comme un partenaire. La France doit être plus audacieuse, il faut accélérer. Quand les profs ont compris que l’IA est un vrai allié, il se passe des choses extraordinaires.
Ph. C. : On va se retrouver face au même problème que sur l’innumérisme. Il y a une volonté, de la recherche et des groupes de travail. Mais pour le déploiement à grande échelle, c’est autre chose ! Avec la liberté pédagogique, l’enseignant fait comme il l’entend. Tous les ans, l’Education nationale recrute environ 25 000 nouveaux enseignants. Cette nouvelle génération va arriver pour transmettre avec d’autres outils. Ce sera la confrontation des deux ou la complémentarité des deux...

L’Education nationale doit regarder trois composantes. Un : expliquer le concept de citoyen numérique, c’est-à-dire faire comprendre que le numérique fait partie de la vie et s’apprend. Deux : développer l’esprit critique. Trois : organiser le lien entre Education nationale et start-up.

Dans l’entreprise, ChatGPT est imposé aux DSI par les employés eux-mêmes...

Ph. C. : C’est juste. Dans l’entreprise, la démarche top down ne fonctionne pas avec l’IA. L’outil est si puissant que chacun peut innover à sa manière. Voilà pourquoi il ne faut pas perdre de temps. Repensons les devoirs faits en classe et à la maison – liberté pour les seconds, pas de machine pour les premiers. Et puis l’IA va nous forcer à revenir à la créativité et à l’expression orale, comme au temps de l’université de Salamanque.
G. L. : L’Education nationale doit regarder trois composantes. Un : expliquer le concept de citoyen numérique, c’est-à-dire faire comprendre que le numérique fait partie de la vie et s’apprend. Deux : développer l’esprit critique. Trois : organiser le lien entre Education nationale et start-up. Aujourd’hui, il y a des techs très pédagogiques. Il faut faire confiance à cette horizontalité.

Ph. C. : Qu’observe-t-on en France dans les classements internationaux ? Les très bons restent excellents et le niveau du « ventre mou » baisse. Dès lors, soit l’IA pour tous est l’opportunité de réduire cette inégalité en relevant le niveau général, soit l’IA, si elle n’est pas généralisée, accroîtra cet écart.

L'école avec l’IA, c’est quoi: plus de cartable, plus de notes, plus de DST ?

Ph. C. : Ça ne marche pas comme ça ! Rappelez-vous, on nous disait que les livres seraient tous remplacés par les tablettes ! Or il y a toujours du papier, des crayons et des livres. La technologie évolue beaucoup plus vite que l’humain, mais l’humain reste indispensable.
G. L. : A l'école, les bons élèves sont ceux qui récitent bien. Dans la vie, on ne cherche pas des gens qui récitent, mais qui raisonnent et qui peuvent réagir à des situations.

Quels modèles suivre dans le monde?

G. L. : Le meilleur modèle, c’est le collège Sainte-Anne, à Montréal. Hugo Cavenaghi, son PDG, y a tout bouleversé, tout reconstruit sur de nouveaux espaces pédagogiques. Fini les classes fermées. L’IA est omniprésente, mais la proximité avec les élèves aussi.

Ph. C. : Partout, de nouveaux modèles apparaissent grâce aux technologies. Un exemple : Minerva. Cette université basée à San Francisco et créée par un ancien de Harvard compte six ou sept campus dans le monde. Les étudiants voyagent de pays en pays, mais leurs cours sont dématérialisés. La sélection est très forte, mais les études coûtent quatre fois moins cher que dans les universités traditionnelles. Tout bouge !

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