Jean-Luc Mélenchon, chef de file de La France Insoumise, et Karim Bouamrane, maire socialiste de Saint-Ouen. AFP / CHARLY TRIBALLEAU / AFP / JOEL SAGET

Politique

Le maire de Saint-Ouen estime qu’Emmanuel Macron doit «donner la main» à un gouvernement technique jusqu’à la «possibilité d’une nouvelle dissolution» à l’été 2025. Une proposition qui ne séduit pas à gauche.

Le Figaro - 25 novembre 2024 - Par Pierre Lepelletier

Si le gouvernement de Michel Barnier venait à être renversé avant les fêtes de fin d’année, c’est toute la classe politique qui se retrouverait dans le brouillard. Karim Bouamrane pense néanmoins avoir la solution pour en sortir rapidement. Prenant acte qu’une nouvelle majorité serait introuvable à l’Assemblée, le maire socialiste de Saint-Ouen a préconisé dans un entretien publié vendredi sur le site du Figaro  la mise en place d’un gouvernement « technique » jusqu’à la « possibilité d’une nouvelle dissolution » à l’été 2025. « Le seul moyen de sauver la France », estime-t-il. Lors du blocage de l’été dernier pour trouver le nom d’un premier ministre, cette piste était déjà venue dans le débat, mais n’avait finalement pas été retenue par le chef de l’État.

«La paix des braves»

« Ce gouvernement devra assurer la paix des braves avec un seul intérêt, celui de la France », expose désormais Karim Bouamrane, dont le nom avait été un temps pressenti pour Matignon fin août. Selon lui, cet exécutif « technique » ne doit compter « aucun élu ». « Pas de politique ! Nous pouvons en France compter sur des hauts fonctionnaires qui maîtrisent parfaitement les arcanes budgétaires, administratifs, parlementaires… Notre pays regorge de personnalités talentueuses avec une vision pour le pays et qui ne seront pas rattrapées par des vieux démons de tactiques politiciennes », estime-t-il.

Pour Karim Bouamrane, « ce gouvernement devra fixer, et se mettre d’accord dessus, un certain nombre de thématiques, avec un calendrier, un financement, seulement dans l’intérêt des Français ». « Il devra être incarné par un premier ministre qui incarne la France, celle d’aujourd’hui, pas celle d’il y a trente ans », souhaite-t-il également, préférant ne pas soumettre de noms qu’il estime légitimes et en capacité d’assumer la fonction.

Il faut que tous les partis politiques s’engagent à ne pas censurer le gouvernement pour l’intérêt suprême de la nation. Sans cela, nous allons pousser notre pays aux tréfonds d’une crise structurelle - économique, sociale, institutionnelle - qui demanderait au moins dix ans pour s’en sortir

Se pose néanmoins l’éternelle question : comment ce gouvernement assurerait une stabilité en évitant les motions de censure ? « Il faut que tous les partis politiques s’engagent à ne pas le censurer pour l’intérêt suprême de la nation. Sans cela, nous allons pousser notre pays aux tréfonds d’une crise structurelle - économique, sociale, institutionnelle - qui demanderait au moins dix ans pour s’en sortir », prévient-il. 

En ajoutant : « J’en appelle à la responsabilité politique de tous les chefs de parti. » L’Audonien estime par ailleurs que ce chemin permettrait d’éviter une démission d’Emmanuel Macron. « Celle-ci serait un mauvais message envoyé aux Français et à la communauté internationale. Ce serait un symbole d’instabilité et d’impuissance. Nous sommes un pays stable, nous devons le rester », juge-t-il.

Des réactions hostiles

L’édile, qui compte peser dans le débat à gauche dans les années à venir via sa nouvelle chapelle, La France humaine et forte, n’a pas été vraiment suivi par la famille socialiste. Très peu de cadres et d’élus ont jugé bon de relayer sa proposition, considérant qu’elle n’était pas adaptée à la situation. « J’y suis totalement défavorable. Autant donner les plein pouvoirs au président de la République », persifle un député socialiste, persuadé qu’un gouvernement « technique », et non politique, serait inévitablement soumis aux injonctions présidentielles.

Défendre un gouvernement technique, c’est généralement un réflexe classique de ceux qui n’en seront pas et qui préféreraient donc que ce ne soit personne

Un responsable de gauche

Karim Bouamrane n’a pas reçu plus d’échos dans le reste de la gauche. Guillaume Lacroix, le président du Parti radical de gauche (PRG), est par exemple totalement opposé à cette option : « On ne va pas livrer la France à une bande de liquidateurs judiciaires qui n’ont aucune légitimité », fustige-t-il. « Sa proposition revient à dire que la situation est trop grave pour les responsables politiques, qu’on reviendra plus tard quand ce sera plus calme… Dans ce cas, la fois d’après, nous n’avons qu’à annuler les élections et nommer tout de suite des experts », ironise-t-il. Le socialiste s’est également attiré les foudres d’un certain Jean-Luc Mélenchon. « Karim Bouamrane condamne le refus du budget Barnier et demande un “gouvernement technique” sans opposition parlementaire ! Du jamais vu dans l’histoire du socialisme en France », a fustigé vendredi le chef de file de La France insoumise. 

« Jean-Luc Mélenchon dit que ça ne s’est jamais vu dans l’histoire du socialisme. Mais est-ce que dans l’histoire de la gauche française, on a déjà vu un comportement comme le sien, qui vise à être dans l’incantation, dans la déstabilisation, dans le chaos ? Moi je suis quelqu’un de responsable », a répliqué le socialiste dimanche au micro de Radio J. Au sein du Parti socialiste, certains estiment qu’il faut également lire un coup tactique derrière la proposition du maire de Saint-Ouen. « Défendre un gouvernement technique, c’est généralement un réflexe classique de ceux qui n’en seront pas et qui préféreraient donc que ce ne soit personne », persifle un responsable de gauche.